Doerr Anthony « Le mur de mémoire » (2013)

Doerr Anthony « Le mur de mémoire » (2013)

Auteur : Ecrivain américain né le 27 octobre 1973 à Cleveland dans l’Ohio.
Récompensé en 2015 par le Prix Pulitzer pour « Toute la lumière que nous ne pouvons voir », traduit en une quarantaine de langues et en cours d’adaptation pour Netflix, Anthony Doerr s’est imposé au cours des vingt dernières années comme l’un des plus grands écrivains américains contemporains.

Après « Le Nom des coquillages » (2003), « À propos de Grace » (2006) ou encore « Le Mur de mémoire » (2013) et « Toute la lumière que nous ne pouvons voir », tous parus aux éditions Albin Michel, « La Cité des nuages et des oiseaux » (RL2022)  confirme l’inventivité de son œuvre ambitieuse et inclassable.

Résumé : De l’Afrique du Sud à la Lituanie, de l’Allemagne nazie à la banlieue de Cleveland, le livre d’Anthony Doerr est un voyage troublant dans l’espace et dans le temps. Le temps de la mémoire qui relie, comme un fil fragile, les personnages de ces six nouvelles, tous hantés par la perte ou la résurgence de leur passé, et confrontés à ce manque vertigineux de ce qui a été mais n’est plus. À l’image d’Alma, une veuve septuagénaire de Cape Town, à qui l’on tente curieusement de voler ses plus précieux souvenirs, dans la magnifique nouvelle qui donne son titre au recueil.
Nulle nostalgie sous la plume d’Anthony Doerr, plutôt la volonté d’évoquer, de son écriture fluide, cristalline et élégante, en quoi la mémoire façonne nos destins et fait de nous des êtres véritablement humains. Récompensé par les plus prestigieux prix anglo-saxons, révélé en France par Le Nom des coquillages, il poursuit une œuvre ambitieuse et originale qui ne ressemble à aucune autre.
Mon avis : 6 nouvelles dans ce livre : « Le mur de mémoire » (les souvenirs sont stockés dans des petites cartouches que l’on peut s’insérer dans la tête pour les revivre ; on peut ainsi vivre les souvenirs que quelqu’un d’autre.)   « Engendrer, Créer » (sur la difficulté d’avoir un enfant), La Zone démilitarisée » (un soldat en Corée correspond avec ses parents restés aux Etats-Unis) , « Village 113 » (un barrage va noyer un village), « La Nemunas » (une jeune fille doit quitter le Texas pour aller vivre chez son grand-père en Lituanie suite au décès de ses parents. Elle va s’immerger dans la jeunesse de sa mère et tenter de vivre certains de ses souvenirs, « Vie posthume» (une jeune épileptique et ses jeunes amies orphelines dans l’Allemagne nazie.
Ce ne sont donc pas des récits sur la vieillesse. Il y a plusieurs raisons qui poussent à construire (reconstruire) la/une mémoire.. Mémoire des gênes, mémoire de sa propre vie, besoin de connaitre la vie de ses proches pour se retrouver en eux, mémoire des lieux, mémoire collective, mémoire de l’histoire.
Mes préférées sont « Village 113 » et « La Némuras ».
« Village 113 » ou la disparition programmée d’un village chinois.. Je n’ai pu m’empêcher de faire un parallèle avec la « noyade » de la Nubie…les personnes déplacées, le passé englouti à jamais, la perte d’une façon de vivre et d’une culture..  La vie des personnes qui sera balayée par une vague.
Dans « La Némuras » deux solitudes s’ancrent l’une à l’autre. Une jeune orpheline déracinée de 15 ans et sa vieille voisine vont tisser des liens muets en partant sur l’eau à la pêche à l’esturgeon qui a disparu de la rivière depuis un demi-siècle.. La vieille dame doit se remémorer des bribes de son passé qui s’effiloche en même temps que sa santé décline, la jeune fille refuse de croire que ce qui la relierait à sa Maman disparue est du domaine du passé et du mythe.. et toutes deux vont à la pêche au poisson en se refusant de le prendre pour une légende.  Elles communient dans la pensée et non dans la parole. Et cette nouvelle est porteuse d’espoir..
J’ai beaucoup aimé ce recueil de nouvelles, d’une grande sensibilité. Pour une fois, le fait que ce soit des nouvelles ne m’a pas trop gêné. Il faut dire qu’elles ne m’ont pas semblé trop courtes…
Extraits :
Luis Buñuel : « Il faut commencer à perdre la mémoire, ne serait-ce que par bribes, pour se rendre compte que cette mémoire est ce qui fait toute notre vie. Une vie sans mémoire ne serait pas une vie, tout comme une intelligence sans la possibilité de s’exprimer ne serait pas une intelligence.
Notre mémoire est notre cohérence, notre raison, notre sentiment et même notre action.
Sans elle nous ne sommes rien. »
p.92 : « A force de se rappeler un souvenir, il s’en crée un nouveau : le souvenir du souvenir »
p.129 : « le néant est la seule permanence. Le néant est la règle. L’exception c’est la vie ».
p.140 : « Ou vont les souvenirs, une fois qu’on a perdu la capacité de les conjurer ? »
p.156 : «  la mémoire est une maison aux dix mille pièces ; c’est un village condamné à être submergé »
p. 164 « Elle reste là assise pendant un certain temps, jusqu’à ce que le jardin soit bordé d’ombres et que le crépuscule emplisse le ciel de tranchées et de blessures. »
p. 175 : « Chaque pierre, chaque marche est une clé qui ouvre sur un souvenir. »
p. 176 :  » Peut-être, dit-il, qu’un lieu paraît différent quand on sait qu’on le voit pour la dernière fois. Ou bien c’est de savoir que plus personne ne le verra. C’est peut-être cela qui change tout. »
p. 211 : « On se rappelle toujours qu’Emily Dickinson a dit ça, mais moi, quand j’essaie de me rappeler une phrase de maman ou papa, je ne trouve rien du tout. Il ont dû m’en dire des millions avant de mourir, mais ce soir, il ne me vient que des prières et des clichés. »
p. 246 : « Si on dessine les ténèbres. Se dit-elle, celles-ci mettront en valeur la lumière qui était dans le papier, cachée. A l’intérieur de ce monde ci, il en est un autre »
p. 277 : « il y a toujours le maintenant – une odeur de vent sans cesse changeant, le brillant des étoiles, le cri-cri des grillons dans le parc. Il y a le maintenant qui est aujourd’hui, tombant dans le maintenant qui est ce soir : crépuscule sur le bord de l’Atlantique ; … »
p. 278 : « C’est comme si des parties d’elle-même tenaient à peine ensemble – si jamais elle se relâchait, elle risquerait de tomber en morceaux. »
p. 284 : « Toutes les heures, songe-t-il, partout sur la planète, des quantités infinies de souvenirs disparaissent, des atlas entiers sont entraînés dans des tombes. mais au même moment des enfants s’animent, explorent des territoires qui leur semblent complètement nouveaux. Ils repoussent les ténèbres, ils sèment des souvenirs derrière eux comme des miettes de pain. Le monde est recréé. »
p. 285 : « Nous enterrons notre enfance çà et là. Elle attend toute notre vie, que nous revenions l’exhumer. »

One Reply to “Doerr Anthony « Le mur de mémoire » (2013)”

  1. J’ai lu cet été ce livre de nouvelles ,moi qui n’aime pas trop lire les nouvelles ,mais comme toi Catherine elles ne m’ont pas paru courtes ,et je suis passée facilement de l’une à l’autre .Chacune m’a laissé un bon ressenti, une impression de grande sensibilité un peu indéfinissable , une petite préférence pour « 113.

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