Sand, George « Les Maîtres Mosaïstes » (1838)
Ce roman fut d’abord publié dans La Revue des Deux Mondes en 1837 –
Considéré par André Maurois comme un des meilleurs romans de George Sand, Les Maîtres Mosaïstes, roman vénitien, tout de charme et de vivacité, est aussi un texte d’histoire de l’art qui met en scène la querelle et le procès opposant deux ateliers de mosaïstes à Venise, en 1563. Le récit et les théories esthétiques sont intimement liés, l’argument principal portant sur la liberté de création, et d’interprétation du mosaïste par rapport au peintre qui donne le carton de la composition. En filigrane, apparaissent également les préoccupations esthétiques de l’entourage de George Sand.
Présenté et annoté par un grand spécialiste de la mosaïque, Henri Lavagne, Les Maîtres Mosaïstes sort enfin de l’oubli et nous apporte les lumières sur une riche période de l’histoire de l’art à Venise.
Mon avis :
Alors ce livre-là… il était fait pour moi ! Amoureuse de Venise et de la mosaïque… je ne pouvais que savourer ce petit roman de George Sand… Les Zuccati et les Bianchini … deux familles qui travaillent dans la basilique San Marc et dont le concept de mosaïste est diamétralement opposé.. L’art contre l’argent… Les Bianchini, deux frères : l’un extrêmement doué et sérieux, l’autre doué également mais adepte de la vie de plaisirs… leur père ne veut pas reconnaitre le talent, considérant la mosaïque comme un art mineur et regrettant que ses fils se consacrent à la mosaïque et non à la peinture.. Les Bianchini, nettement moins doués et peu recommandables constituent la seconde équipe œuvrant à la restauration de San Marc.… Mais il ne suffit pas d’être artiste, ami des peintres et reconnu par eux (le Titien et le Tintoret entre autres)pour vivre son art… Surtout qu’entre le savoir-faire et la jalousie, la grandeur d’âme et la mesquinerie, il y a un homme, un apprenti, le Bozza, amer et éternellement insatisfait qui se fait manipuler. Plus on est attentionné envers lui, plus il le prend mal… persuadé qu’on se joue de lui, qu’on le manipule… Les Zuccati finiront en prison, malades ; ils entameront une longue et pénible traversée du désert… Sortiront-ils vivants de cette aventure ? Connaitront-ils enfin la gloire ? Lisez, pénétrez dans le monde des mosaïstes de Venise du XVIème siècle.
Extraits :
Nous vivons dans un siècle de décadence, c’est moi qui vous le dis ; les races dégénèrent, l’esprit de conduite se perd dans les familles. De mon temps, chacun cherchait à égaler, sinon à surpasser ses parents. Aujourd’hui, pourvu qu’on fasse fortune, on ne regarde pas aux moyens, on ne craint pas de déroger. De noble, on se fait trafiquant ; de maître, manœuvre ; d’architecte, maçon ; de maçon, goujat. Où s’arrêtera-t-on, bonne sainte mère de Dieu ?
Ainsi parlait messire Sébastien Zuccato, peintre oublié aujourd’hui, mais assez estimé dans son temps comme chef d’école, à l’illustre maître Jacques Robusti, que nous connaissons davantage sous le nom du Tintoret.
La mosaïque n’est point, comme vous le dites, un vil métier ; c’est un art véritable, apporté de Grèce par des maîtres habiles, et dont nous ne devrions parler qu’avec un profond respect ; car lui seul nous a conservé, encore plus que la peinture sur métaux, les traditions perdues du dessin au Bas-Empire.
« Honneur au graveur, dépositaire et propagateur de la ligne pure ! Honneur au mosaïste, gardien et conservateur de la couleur ! »
La haine, concentrée depuis longtemps au fond de leurs âmes, commence à briller dans leurs yeux.
Il ne voit dans la mosaïque qu’une application de parcelles coloriées plus ou moins brillantes. La vérité des tons, la beauté du dessin, l’entente de la composition, ne sont rien pour lui.
– C’est une ambition noble, mais c’est une ambition, et toute ambition est une maladie de l’âme,
Peut-être, sans le besoin d’être admiré, n’y aurait-il ni grands artistes ni chefs-d’œuvre. L’admiration des indifférents est une amitié dont on n’a que faire. On la trouve indispensable pourtant.
Si j’échoue, rien ne me décourage, et l’espèce de colère que j’éprouve contre moi est encore un plaisir du genre de celui que procurent un cheval rétif, une mer houleuse, un vin brûlant.
Sa grande plaie était un amour-propre immense, éternellement froissé, éternellement souffrant.
le plus grand obstacle au développement de tes facultés, c’est l’inquiétude où tu te consumes. Rien de beau et de grand ne peut éclore sans le souffle fécond d’un cœur chaud et d’un esprit libre. Il faut toute la santé du corps et de l’âme pour produire une œuvre saine ; et ce qui sort d’un cerveau malade n’a pas les conditions de la vie
Mais tu t’arranges de manière à être toujours triste, à défaillir à toute heure sous le poids de la vie ; comment veux-tu donner à ton œuvre cette vie qui n’est pas en toi-même ? Si tu continues ainsi, tous les ressorts de ton génie seront usés avant que tu aies pu les faire servir. À force de contempler le but et de t’exagérer le prix de la victoire, tu oublieras de connaître les douces émotions et les joies pures de la production. L’art, pour se venger de n’avoir pas été aimé pour lui-même, ne se révélera que de loin à tes yeux éblouis et trompés ; et si tu arrives par des moyens bizarres à obtenir les vains applaudissements de la foule, tu ne sentiras pas en toi-même cette satisfaction généreuse de l’artiste consciencieux qui contemple en souriant l’ignorance des juges grossiers, et qui se console de sa misère, pourvu qu’il puisse s’enfermer dans un taudis ou dans un cachot avec sa muse, et goûter dans ses bras des ravissements inconnus au vulgaire.
On voit encore à Venise plusieurs scuole, que le gouvernement a fait conserver comme des monuments d’art, ou qui sont devenues la propriété de quelques particuliers. Celle de Saint-Marc est aujourd’hui le musée de peinture de la ville ; celle de Saint-Roch renferme plusieurs chefs-d’œuvre du Tintoret ou d’autres maîtres illustres. Les pavés de mosaïque, les plafonds chargés de dorures ou ornés de fresques du Véronèse ou de Pordenone
One Reply to “Sand, George « Les Maîtres Mosaïstes » (1838)”
J’ai beaucoup aimé ce livre .L’écriture de G. Sand .La dualité entre ces deux familles ,animées par des sentiments opposés le profit contre l’art .La mesquinerie qui peut découler de cet état de fait ,la jalousie ,les trahisons .
La pugnacité de ces gens qui travaillaient dans de très mauvaises conditions . Et le besoin d’être reconnus qui est sans doute qui sans doute la plus grande satisfaction des artistes.
Et tant d’autres choses dont parle si bien Catherine.