Solà, Irene « Je chante et la montagne danse » (2022) 214 pages

Solà, Irene « Je chante et la montagne danse » (2022) 214 pages

Autrice: Irene Solà est une écrivaine, poète et artiste née le 17.08.1990 à Malla en Catalogne. Ses poèmes et ses courts-métrages ont été présentés à la Whitechapel Gallery de Londres, ainsi qu’à Barcelone, Santander et Gérone. Je chante et la montagne danse a obtenu quatre prix littéraires, dont le prix de littérature de l’Union européenne en 2019. Il sera traduit en dix-sept langues. Le livre a également été adapté au théâtre en Catalogne.Edmond Raillard est professeur émérite à l’Université Grenoble Alpes et traducteur du castillan et du catalan. Il a reçu le Grand Prix de la Société des gens de lettres, le prix Laure-Bataillon, et le prix Rhône-Alpes du livre.

Seuil – Collection Cadre vert – 13.05.2022 – 217 pages /  Points Poche – 24.05.2024 – 214 pages  Traduit du catalan par Edmond Raillard (Canto jo i la muntanya balla) – Prix de Littérature de l’Union Européenne 2019

Résumé : 

Dans un village perché en haut des Pyrénées, on conserve la mémoire des drames familiaux, des persécutions guidées par l’ignorance, des exécutions sommaires de la guerre civile. Mais rien, jamais, ne vient altérer la profonde beauté du lieu, terre propice à l’imagination, à la poésie, aux histoires transmises de génération en génération.Chaque voix raconte : d’abord les nuages et l’éclair qui foudroya Domènec, le paysan poète. Puis Dolceta, qui ne peut s’empêcher de rire lorsqu’elle se rappelle avoir été pendue pour sorcellerie. Sió, qui dut s’occuper seule de ses deux enfants. Puis les trompettes de la mort qui annoncent l’immuabilité du cycle de la vie. Le chevreuil, l’ours, la femme amoureuse, l’homme blessé par balle, et les autres.Dans ce lieu hors du temps, amitiés, mariages, deuils, naissances s’entrelacent au fil des saisons.Ode à la puissance de la nature, Je chante et la montagne danse mêle les légendes et le folklore catalans aux histoires bien réelles de ceux qui habitent ce lieu protégé par ses montagnes. Aussi limpide que poétique, la langue d’Irene Solà est un doux murmure qui enveloppe, transporte et résonne longtemps.

Mon avis:

Un livre intemporel et poétique…Il n’y a que lire le titre… Un de ces livres inclassables, ceux que je range dans les OVLI (Objet livresque non identifié) qui parle du cycle de la vie, de légendes,  la vie, de la mort, de la terre, des animaux, de la montagne, de sorcières, de la guerre d’Espagne, de la « Retirada », de traditions.
Un livre original, très surprenant, qui ne ressemble à aucun autre. 

Tout commence par l’orage en montagne, l’éclair porteur de mort qui foudroie Domènec, un paysan poète qui va laisser une veuve, Sió et deux petits enfants Mia et Hilari. 

Une tragédie, une ode à la nature, à la montagne en particulier, le tout avec une écriture adorable, déstructurée, poétique. Un livre court: quatre chapitres, un roman choral, des voix qui se mêlent et s’entrelacent. Un livre qui parle des Pyrénées, de poésie, du rapport à la nature, aux éléments, aux animaux, aux prédateurs. Qui parle d’odeurs, d’amour, de survie, de mort, de blessures – physiques et  morales -, du sens de la vie… Les quatre éléments sont présents : l’eau, la terre, le feu, l’air. Le végétal, l’animal,
Le style -ou plutôt devrais-je dire les styles –  d’écriture se côtoient, comme les personnages .. la narration, la poésie, l’oralité … D’ailleurs c’est un dialogue, un entrecroisement de voix, d’images, de sensations, de magie des êtres et de la nature. Les spores, c’est la vie, la transmission… Les animaux sans poils… c’est le danger…
Nous sommes tour à tour éléments du ciel et de la nature (nuages, pluie, animaux, végétaux) et bercés par la poésie.

La deuxième partie est enchanteresse, particulièrement pour les personnes qui aiment la poésie.

La troisième partie commence par « le choc » .. . le choc c’est le réveil des éléments, et surtout de la terre, qui se plisse, se craquelle, fait bouger la croute terrestre et remodèle la surface avec des armes puissantes telles les éruptions volcaniques, les glissements de terrain et qui nous montre sa puissance, que les humains ne sont pas en mesure de dompter. Elle nous signifie que la puissance des éléments est en mesure de balayer les humains.
Les hommes sont des menteurs, ils se racontent des histoires, inventent une réalité qui n’en et pas une. 
J’ai beaucoup aimé le passage sur la neige et la pluie, qui changent la perception des choses… et l’évocation du conte de la reine des neiges et du miroir en mille morceaux. Et aussi la description de la rivière, qui est décrite comme une langue qui lècherait les rochers…
Dans cette partie on est aussi à la place du chien « Lluna » et on absorbe les sensations, les odeurs, les sens  -les odeurs des humains, les odeurs mouillées, de transpiration, de sexe, de peau, de peur – et on est rendus attentifs aux bruits, au toucher.
Que ce soit en vers ou en prose, la poésie est partout…

La quatrième partie est le réveil du roi de la montagne, l’ours. L’Ours qui sort de l’hibernation et vient se venger et reprendre ce que l’humain lui a volé. L’homme, un grand destructeur et prédateur, qui prend pour prendre et non pour vivre.
On y parle aussi de l’antiquité, des anciens villages, des restes des anciens peuples qui ont séjourné là il y a des siècles. 
Elle parle aussi du retour à la nature, des personnes qui fuient ville et civilisation pour retrouver nature et vraies valeurs. Mais c’est celle que j’ai le moins aimé car elle parle beaucoup des humains des relations humaines et beaucoup moins de nature et de sensations et est moins poétique. 

Un livre qu’il faut prendre le temps de lire; revoir en arrière, reprendre, et sans aucun doute relire.
Un grand merci pour cette lecture commune à mes amies Delphine et Aurore et remerciement  tout particulier à Aurore pour avoir suggéré ce livre merveilleux.
Et je le dis et redis : j’aime de plus en plus les auteurs espagnols ( catalans, basques et autres).  

Extraits: (Difficile ! Faudrait recopier tout le livre) 

Il a dit ça à voix haute, parce que, quand on est seul, on n’a pas besoin de penser au silence.

Quel dommage que les hommes se consument si vite et que les autres hommes s’accrochent aux corps vides et les cachent et les enterrent pour ne pas voir ce qui leur arrivera à eux aussi.

Et tu cesses d’être une femme et tu deviens une veuve, une mère. Tu cesses d’être le centre de ta propre vie, tu cesses d’être la sève et le sang, parce qu’on t’a obligée à renoncer à tout ce que tu voulais. Là, jette-les toutes, les choses que tu désirais, au milieu du chemin, dans ce fossé, les choses que tu pensais. Les choses que tu aimais.

Comme un échange. Comme une loi de la vie. Les uns s’en vont pour laisser la place à ceux qui arrivent. 

Et je ne sais pas ce qui fait souffrir le plus : ne penser qu’aux bons souvenir et laisser agir la nostalgie, tellement aiguë, et la fièvre qui ne s’apaise jamais et qui enivre mon âme. Ou me baigner dans des torrents de pensées qui m’emportent vers les souvenirs tristes, mauvais, troubles, qui submergent mon cœur (…) 

Les pleurs commencent comme un petit animal. Comme un nuage isolé, comme une fine brume sur la poitrine.

La mémoire de l’une est la mémoire de toutes. L’obscurité. Oui, l’obscurité. Comme une étreinte. Délicieuse. Protectrice. Accueillante. Comme une chute. Qui s’amorce. La terre. Comme une couverture, comme une mère. Noire. Humide. Nous sommes toutes des mères, ici. Nous sommes toutes des sœurs.

La pluie fait tic, tic, tic. La terre l’avale. La pluie fait tic, tic, tic. Nous l’avalons. La pluie vient de quelque part et elle sait des choses.On est bien, là en bas. Sur ce bout de terre. Sur ce bout de monde. La pluie nous réveille, un réveil frais, un renouveau. La pluie nous fait grandir, elle nous fait croître.

Les spores de l’une sont les spores de toutes. L’histoire de l’une est l’histoire de toutes. Parce que la forêt appartient à celles qui ne peuvent pas mourir. Qui ne veulent pas mourir. Qui ne mourront pas, parce qu’elles savent tout. Parce qu’elles transmettent tout. Tout ce qu’il faut savoir. Tout ce qu’il faut transmettre. Tout ce qui est. Semence partagée. L’éternité, une chose légère. Petite, quotidienne.

Il n’y a pas de peine s’il n’y a pas de mort. Il n’y a pas de douleur si la douleur est partagée. Il n’y a pas de douleur si la douleur est mémoire et savoir et vie.

Dans la poésie, il y a tout. Dans la poésie, il y a la beauté, la pureté, la musique, il y a les images, le mot prononcé, la liberté et la faculté d’émouvoir et de laisser entrevoir l’infini. L’au-delà. L’infini qui n’est ni sur la terre ni dans le ciel. L’infini à l’intérieur de chacun. Comme une fenêtre tout en haut de la tête, dont on ignorait qu’elle était là et que la voix du poète ouvre un peu, un tout petit peu, et là-haut, dans cet interstice, il y a l’infini.

— Tu sais ce que j’en pense, moi, des hommes secrets et mystérieux qui ne disent rien, qui ne racontent rien ? me demande-t-elle. Je pense qu’ils sont vides comme une coquille et qu’ils n’ont rien à raconter.

Les arbres se penchent vers moi comme s’ils me regardaient, et moi je reste immobile une seconde, tournant le dos à l’obscurité et à la mort.

Il était comme l’air au petit matin. Frais et subtil et plein d’idées et d’envies et de possibilités. Toujours comme l’air du matin. Jamais comme l’air pesant de l’après-midi. Jamais comme l’air paresseux de midi, l’air bleu du soir ou l’air sombre de la nuit. 

Informations:
Les « dones d’aigua » (dames de l’eau, femmes d’eau) sont, comme les encantades (enchantées) ou les goges, des figures mythologiques des Pyrénées. Elles sont vues de différentes façons, selon les lieux : naïades ou femmes aussi insaisissables que l’eau, esprits malins, guérisseuses, sorcières…   (note du traducteur)

 

6 Replies to “Solà, Irene « Je chante et la montagne danse » (2022) 214 pages”

  1. Je suis très attirée par ton récit sur cet OVLI. La partie poésie me le rend encore plus attirant. J’espère le trouver en numérique. Merci encore pour ce blog où je viens flâner dans un moment de liberté et de curiosité.

  2. Merci à mon amie Delphine de m’avoir permis de partager son avis après cette lecture commune ( Delphine – Aurore et moi-même)
    Un résumé qui en dit beaucoup.Je rejoins mes compagnes de lecture.Une belle découverte,une écriture qui m’a enchantée.Le livre est toujours encore à portée de main pour en relire certains passages avec toujours le même ravissement. Oui,il y a au fil des pages tant de poésie mais aussi des drames,la vie s »ecoule au fil des pages avec ce qu’elle a de beau et de terrible.
    La nature est reine, mariages,naissances, amitiés,deuils s’entrelacent au fil des saisons. J’ai rencontré des enfants,les ai vus grandir avec leurs blessures et pertes,j’ai pleuré avec cette femme qui se retrouve seule pour élever ses enfants .J’ai tremblé pour cette homme qui perd sa voix.
    Et il y a la montagne,ceux qui partent,ceux qui y reviennent.
    Les maisons abandonnées,la forêt et ses habitants. Montagne refuge où chemin de mort pour ceux qui fuient la guerre civile….Ce roman est riche…
    Alors oui,venir ,revenir à la montagne et moi lectrice venir,revenir à la poésie car… » Dans la poésie,il y a tout. Dans la poésie,il y a la beauté,la pureté,la musique ,il y a les images,le mot prononcé,la liberté et la faculté d’émouvoir et de laisser entrevoir l’infini. L’au-delà. L’infini qui n’est ni sur la terre,ni dans le ciel. L’infini à l’intérieur de chacun. Comme une fenêtre tout en haut de la tête,dont on ignorait qu’elle était là et que la voix du poète ouvre un peu,un tout petit peu,et là-haut,dans cette interstice,il y a l’infini ».
    En refermant ce livre je suis un peu triste de le quitter et me dis »tout est bien « car tout est lié.
    Un livre avec une grande force de vie m’invitant à ouvir  » ma fenêtre  » tout en haut de ma tête.

  3. Je ne me suis pas risquée à un retour détaillé, Catherine ayant déjà tout dit, et si joliment en plus!

    Ce que je retiens pour ma part de ce livre, c’est un patchwork de voix, humaines et non humaines qui reflètent l’identité d’un lieu et d’une époque. Un livre qui se parcourt des yeux mais chante dans les oreilles. Il peut paraitre un peu imperméable au premier abord mais, pour peu qu’on ait la disponibilité, on peut se laisser porter et devenir chevreuil, trompettes de la mort ou même montagne. Et ces citations sur la poésie qui ouvrent sur l’infini! Une lecture que j’ai appréciée, mais que je ne mettrais pour ma part pas en coup de cœur.

    Un grand merci pour ce voyage en bonne compagnie avant, peut-être, une prochaine destination!

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