Bernard, Michel «Deux remords de Claude Monet» (RL2016)

Bernard, Michel «Deux remords de Claude Monet» (RL2016)

Gallimard – Collection Vermillon, La Table Ronde, 224 pages – Parution : 18-08-2016

Résumé : «Lorsque Claude Monet, quelques mois avant sa disparition, confirma à l’État le don des Nymphéas, pour qu’ils soient installés à l’Orangerie selon ses indications, il y mit une ultime condition : l’achat un tableau peint soixante ans auparavant, Femmes au jardin, pour qu’il soit exposé au Louvre. À cette exigence et au choix de ce tableau, il ne donna aucun motif. Deux remords de Claude Monet raconte l’histoire d’amour et de mort qui, du flanc méditerranéen des Cévennes au bord de la Manche, de Londres aux Pays-Bas, de l’Île-de-France à la Normandie, entre le siège de Paris en 1870 et la tragédie de la Grande Guerre, hanta le peintre jusqu’au bout.»

Mon avis : Quel beau moment de lecture. J’aime Monet. Ceux(celles) qui me connaissent le savent. J’ai lu des bio, vu des expos, bien aimé aussi le polar de Michel Bussi, « Nymphéas noirs » ; je suis la cible rêvée … Et j’ai adoré ce livre … L’auteur, par touches et nuances, en traits et couleurs, trace le portrait de cet homme hors normes et de ses amis illustres, en des temps difficiles, entre les deux guerres. On y parle amour, amitié, pauvreté et richesse, douleur, mort et renaissance. Il nous peint sa vie, ses doutes, ses – ou plutôt – son amour. C’est l’histoire de Monet, mais plus encore l’histoire de sa muse, Camille, des toiles où elle est représentée, des lieux qu’elle a habités, de son aura une fois qu’elle l’aura quitté pour d’autres cieux… Monet, c’est la création, la nature, les couleurs. C’est peut-être une biographie mais cela se lit comme un roman… Je vous laisse vous immerger dans les tons et la nature… plonger dans les teintes chères à Monet. Et découvrez un Monet bourru certes, mais humain et attachant…

Et comme j’aime Ravel et la manière d’écrire de cet auteur, j’ai lu également son précédent livre , « Les Forêts de Ravel »

Extraits :

Les cyprès, lanternes des morts au soleil de la Méditerranée, fusaient au-dessus des murs du cimetière.

Comme les arbres du paysage familier, l’amour des siens avait grandi avec lui et s’épanouissait dans l’harmonie simple et naturelle de la composition.

Quand Courbet lui avait présenté Alexandre Dumas lors d’un séjour au Havre, deux ans avant la guerre, il y avait repensé. Il s’était alors demandé comment une si délicate figure avait pu sortir de l’énorme, rigolard et tonitruant bonhomme avec lequel il déjeunait. Son admiration pour le père de D’Artagnan, en s’épaississant d’un nouveau mystère, s’en était accrue.

L’air de la Manche lui clarifiait les idées et décrassait sa peinture que l’atmosphère de Paris, contre son gré, embourbait.

Même les conseils des peintres qu’il respectait lui étaient pénibles. Il avait le sentiment qu’on essayait de verser en lui quelque chose que non seulement il n’assimilerait pas, mais qui pouvait corrompre sa vision.

Il avait fini par concevoir contre la société, les bourgeois, les académies, les artistes patentés, Paris, ses façades prétentieuses, ses rues charbonneuses, son brouillard de fumée, ses cochers, ses voyous, ses filles faciles, leur parler gras, tout ce qui faisait son époque, un ressentiment infini, à la mesure de sa passion.

Dans le souffle léger de sa femme, il lui semblait que s’évaporaient, par quelque mystère inconnu des lois de la physiologie, sa peur de l’échec, sa colère et sa tristesse.

Le passé était fait de ces promesses perdues.

Les jambes étendues sur le canapé, le livre à la main, ses doigts marquant la page dont elle venait d’interrompre la lecture, elle regardait vers la fenêtre. Que regardait-elle ? Rien, sans doute, que les paysages intérieurs ranimés par les phrases imprimées […]

Ils saisissaient la silhouette des ponts flottant entre deux grisailles que mordorait par endroits une faible lumière, les sombres bateaux dont le gréement griffait on ne savait quoi.

Ils rêvaient leur vie au moment de la vivre.

Descendu avec la nuit, le froid avait arrêté le temps. La plaine bleuie éclairait le ciel, cuivrait le ventre des nuages

Au jardin, comme devant la toile à peindre, il perdait la sensation de l’écoulement du temps et la notion de la durée. Le service de la vie végétale, la sélection et l’entretien de ses infinies propositions, et la jouissance de son regard sur le résultat de son travail, ou de ce qu’il en imaginait, l’absorbaient tout entier.

Il continuait pourtant de dépenser sans compter, ou plutôt en comptant mal

Il aimait la manière dont les arbres y semblaient ralentir les nuages, leurs frondaisons retenir la lumière, et branches et feuilles diviser le jour.

Comme un vieux cognac, le nom des choses aimées lui coulait dans les veines.

Sur le visage et le corps de la femme qu’il aimait, ce qui était rond était devenu anguleux, ce qui était doux était devenu dur, ce qui était lisse était devenu rêche, ce qui était souple était devenu tendineux, ce qui était pâle était devenu livide. Il voyait la mort entrer dans la peau de la vivante, et s’en travestir.

Pour la première fois, les nénuphars, qu’il  préférait appeler nymphéas, peut-être parce que le nom plus élégant et mystérieux lui rappelait le Japon d’où il les avait fait venir, avaient fleuri en grand nombre.

La vie semblait monter d’une profondeur invisible, de dessous la toile. Les choses présentes devant lui, par une mystérieuse vibration de la vie, de leur souffle humide avaient fait lever une buée de couleurs.

Elle absorbait son angoisse, le rassurait. Il sentait le silence de sa femme éponger l’inquiétude de son âme.

Il attachait peu d’intérêt à ces traces mortes de l’existence. Elles n’étaient que papier flétri, vains reflets du passé, caricatures inexactes de la splendide et vivante mélancolie des souvenirs.

L’absence du passé, le vide du présent et l’avenir à peupler étaient le programme de travail formé dans le cœur d’un homme seul, un vieil homme

Les photographies ne l’aidaient pas à peindre, mais à remuer la vision qui infusait en lui, à nourrir le désir de voir ou revoir. Elles étaient des souvenirs de voyage glissés dans les livres.

Il disait alors que la peinture, ce n’est ni le temps passé, ni l’éternité, c’est l’espace et l’instant, le paysage et le temps, ce que durent des traces de pâtes vertes, bleues, jaunes et rouges répandues sur de la toile tissée serrée.

L’hiver était une saison pour l’esprit, l’écho du monde à la mélancolie des hommes. C’était le temps suspendu, la fête de la mémoire, avant que la lumière du soleil revenu allonge le jour et fasse remonter la vie dans les plantes, dans les bêtes et dans les cœurs humains.

Dans une débauche de peinture fraîche, il oubliait la tristesse de vieillir parmi les souvenirs de ses morts.

Actu ! Frédéric Bazille (1841-1870) – La jeunesse de l’Impressionnisme – Expo du 15 novembre 2016 au 5 mars 2017 – Musée d’Orsay – Paris (75007)

Cette exposition invite ainsi à la redécouverte d’un acteur majeur, malgré sa disparition précoce, de la genèse de l’impressionnisme, permise notamment par les recherches les plus récentes qui éclairent les méthodes de travail de Bazille, ses liens avec Monet ou Renoir et ont permis de retrouver la trace de créations considérées comme disparues, chaînons manquant d’une œuvre rare.

Image : la capeline rouge

3 Replies to “Bernard, Michel «Deux remords de Claude Monet» (RL2016)”

  1. J’adore le style qui se dégage des passages que tu as sélectionnés. Comme il se trouve que je suis passionné de Monet, moi aussi, (mais comment ne pas être captivé par une telle vie et de tels tableaux ?), je dois avouer que ce livre me tente beaucoup.

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