Christie, Michael « Lorsque le dernier arbre » RL2021
Auteur : Originaire de Thunder Bay, Ontario, en Colombie Britannique, Michael Christie avait fait une entrée remarquée sur la scène littéraire avec son premier recueil de nouvelles, Le Jardin du mendiant (Albin Michel, 2012). Traduit dans une quinzaine de langues, « Lorsque le dernier arbre » a été finaliste du prestigieux Giller Prize et récompensé par le Arthur Ellis Award for Best Novel.
Albin-Michel – 18.08.2021 – 608 pages – Traduit par Sarah Gurcel (titre original « Greenwood »)
Sélectionné pour le Prix FNAC 2021
Résumé : « Le temps ne va pas dans une direction donnée. Il s’accumule, c’est tout – dans le corps, dans le monde –, comme le bois. Couche après couche. Claire, puis sombre. Chacune reposant sur la précédente, impossible sans celle d’avant. Chaque triomphe, chaque désastre inscrit pour toujours dans sa structure. »
D’un futur proche aux années 1930, Michael Christie bâtit, à la manière d’un architecte, la généalogie d’une famille au destin assombri par les secrets et intimement lié à celui des forêts.
2038. Les vagues épidémiques du Grand Dépérissement ont décimé tous les arbres et transformé la planète en désert de poussière. L’un des derniers refuges est une île boisée au large de la Colombie-Britannique, qui accueille des touristes fortunés venus admirer l’ultime forêt primaire. Jacinda y travaille comme de guide, sans véritable espoir d’un avenir meilleur. Jusqu’au jour où un ami lui apprend qu’elle serait la descendante de Harris Greenwood, un magnat du bois à la réputation sulfureuse. Commence alors un récit foisonnant et protéiforme dont les ramifications insoupçonnées font écho aux événements, aux drames et aux bouleversements qui ont façonné notre monde. Que nous restera-t-il lorsque le dernier arbre aura été abattu ?
Fresque familiale, roman social et écologique, ce livre aussi impressionnant qu’original fait de son auteur l’un des écrivains canadiens les plus talentueux de sa génération.
Mon avis : Gros coup de cœur pour cette saga familiale qui va se dérouler sur quatre générations, sous forme de dystopie dans un monde qui se meurt. Mais ce n’est presque plus une dystopie, plutôt un futur proche, 2038…c’est presque demain. En plus de raconter un meurtre écologique de la planète, le roman nous entraine aussi dans une chasse à l’homme, au kidnappeur d’enfant et nous fait traverser tout le Canada.
Dans un monde de plus en plus nocif pour la santé, les forêts sont le dernier poumon qui permet aux humains de respirer, alors qu’une maladie, une nouvelle forme de tuberculose atteint les habitants des villes. Les réserves arborisées sont le lieu de ressourcement et de régénération par excellence des personnes qui en ont les moyens. Il est donc impératif de les préserver et de faire en sorte que les arbres ne soient pas attaqués par des maladies, des champignons ou toute autre pollution. Dans ce livre l’auteur fait un parallèle entre les cathédrales et les forêts, entre les troncs et les piliers qui soutiennent la cathédrale, entre la voûte et le feuillage, la protection des arbres étant source de vie.
Au centre de la vie était l’arbre : le roman est construit comme une coupe d’arbre, en cercles concentriques : 2038 – 2008 – 1974 – 1934 – 1908 – 1934 – 1974 – 2008 – 2038. Il nous présente les arbres comme une immense famille, qui sont liés par leurs racines se protègent mutuellement, donnent leur vie et leurs spores pour la continuation de l’espèce : une famille mais contrairement aux familles humaines, une famille où l’on s’entraide, on sait d’où on vient et on fait tout pour la survie des proches.
En 2038, au début du roman, nous faisons connaissance de la jeune Jacinda Greenwood, spécialiste des arbres et guide dans une île réserve naturelle d’arbres, qui ne semble pas connaitre ses parent et sa famille. En remontant le temps, nous remontons sa généalogie, son père Liam, un charpentier/menuisier amoureux du vieux bois. On fait sa connaissance alors qu’il a 34 ans puis on remonte le temps… Liam à 10 ans… Puis sa naissance et sa mère, Willow (à noter que Willow est un nom d’arbre en anglais « le saule » qui elle aussi vit par et pour les arbres, pour l’écologie ; dès 2008 elle a fait de la déforestation sa raison de vivre, tout le reste passant au second plan. Au fur et à mesure, on se rend compte que le drame de passer au second plan frappe les personnages principaux qui sont tous présentés comme des êtres qui n’ont pas de racines, pas de parents, pas de filiation affective. Liam est passé au second plan pour sa mère (qui lui préfère les arbres), il passera après la passion de la musique quand il tombera amoureux et n’entretiendra pas de liens affectifs avec sa fille. Willow aussi aura des rapports très lointains avec sa famille (son père, son oncle, son fils)
Au fil des pages, on fait la connaissance de la famille … le père et l’oncle de Willow, les Greenwood. La vie des Greenwood est aussi un mystère au niveau des racines. Plus on avance vers le coeur de l’arbre, plus on entre dans le cœur de la vie de cette famille, on déchiffre les liens qui lient les protagonistes au bois comme matière. Au centre du livre, on repart dans l’autre sens, depuis le centre, l’origine de l’histoire de la famille (1908) vers l’époque de Jacinda (2038) et on retraverse la vie en sens inverse.
Ce roman colle à la réalité en cela que le climat est un des problèmes majeurs que nous ayons à affronter. La déforestation est un enjeu majeur et il est impératif de protéger les arbres et les forêts.
Cette fresque familiale est truffée de secrets de famille, de mensonges, de non-dits. Mais tout comme les cercles concentriques qui relèvent la vie des arbres, les vicissitudes de la vie et du passage des générations sont inscrites dans les mémoires enfouies.
L’arbre est au centre de tout et des intérêts des membres de toute la famille, que ce soit du côté protecteur ou destructeur : il y a la botaniste guide forestière, les bucherons, les travailleurs du bois, les vendeurs et pilleurs de bois, les protecteurs de la nature, les amoureux de la décoration en bois… La Nature est le personnage principal du roman mais il parle de sujets très importants comme les fossés qui se créent à tous les niveaux : le manque d’argent empêche les hommes de repirer s’ils n’ont pas les moyens de s’offrir des conditions de vie « respirables ». C’est la destruction des beaux endroits par le Dieu Argent…
Enfin un autre sujet au centre du récit est la communication entre les générations, le poids des origines, le lien entre les générations passées et futures. Et en toile de fond, les crises économiques et historiques qui secouent la société.
Et le tour de force est de rendre tous les personnages intéressants et attachants ; tous ont leur part d’ombre et les cicatrices de la vie sont inscrites dans leur écorce – plus ou moins profondément – mais sous l’écorce, il y a les states, plus ou moins épaisses en fonction de la gravité des perturbations… avant d’atteindre le cœur qui bat au centre de chaque être vivant.
Et dire que c’est un premier roman !
Un très grand merci aux Editions Albin Michel pour leur confiance et pour m’avoir permis de découvrir en avant-première ce roman.
Extraits :
Il a toujours traité son passé comme une énorme caravane accrochée derrière lu, un fardeau qui le rattrapera et l’écrasera s’il ose un jour s’arrêter.
[…] les arbres ont peut-être bien une âme. Ce qui fait du bois une sorte de chair. Et c’est peut-être pour ça que les sonorités des instruments fabriqués en bois plaisent tant à nos oreilles : le chatoiement choral de la guitare, les battements de cœur du tambour, les lamentations du violon – nous les aimons profondément parce qu’on dirait nous.
Toutes les cultures ont leurs mythes sylvestres, depuis l’omniprésent arbre de vie qui soutient littéralement le ciel jusqu’aux arbres monstres dévorateurs d’enfants et buveurs de sang humain, en passant par ceux qui jouent des tours, guérissent les malades, mémorisent des histoires ou jettent des sorts à leurs ennemis.
Le meilleur moment pour planter un arbre, c’était il y a vingt ans. À défaut de quoi c’est maintenant.
Si Harris aime tant la poésie, c’est pour cette façon qu’elle a de « prendre » dans sa tête comme du ciment, contrairement aux éphémères feux d’artifice des romans qui tissent d’interminables histoires sur des familles et des gens qu’il ne connaitra jamais.
Parce que, même lorsque vous avez bien coupé et posé une pièce de bois, elle continuera à vivre apres votre intervention : elle absorbera l’humidité et se tordra, se courbera, se déformera indépendamment de votre volonté. Il en va de même de nos vies.
Le temps ne va pas dans une direction donnée. Il s’accumule, c’est tout – dans le corps, dans le monde – comme le bois. Couche apres couche. Claire, puis sombre. Chacune reposant sur la précédente, impossible sans celle d’avant. Chaque triomphe, chaque désastre inscrit pour toujours dans sa structure.
Image : Tirée du livre (un peu déformée)