Lavoine, Marc «L’homme qui ment» (01.2015)
Résumé : Communiste et charmeur, cégétiste et volage : tel était Lulu, mon père. Menteur aussi, un peu, beaucoup, passionnément, pour couvrir ses frasques, mais aussi pour rendre la vie plus belle et inattendue.
Lulu avait toujours une grève à organiser ou des affiches à placarder. La nuit venue, il nous embrigadait, ma mère, mon frère et moi, et nous l’aurions suivi au bout du monde en trimballant nos seaux de colle et nos pinceaux. Il nous faisait partager ses rêves, nous étions unis, nous étions heureux.
Evidemment, un jour, les lendemains qui chantent se sont réduits à l’achat d’une nouvelle voiture, et Che Guevara a fini imprimé sur un tee-shirt.
Le clan allait-il survivre à l’érosion de son idéal et aux aventures amoureuses que Lulu avait de plus en plus de mal à cacher ? Collègues, voisines, amies ; brunes, blondes, rousses : ses goûts étaient éclectiques. Lulu était très ouvert d’esprit.
Sans nous en rendre compte, nous avions dansé sur un volcan. L’éruption était inévitable.
Mon avis : Un vrai moment de bonheur de lecture. Ce n’est pas le chanteur/acteur qui a réussi qui se raconte. Non. D’ailleurs c’est un livre d’écrivain et pas un livre de mémoires.. C’est une véritable découverte d’une enfance/adolescence dans un petit coin de banlieue. C’est un garçon qui nait alors que sa mère voulait une « Brigitte », c’est un père absent et qui était un être à part, c’est un roman sur l’amour filial, sur la gaité et aussi sur la souffrance. C’est la description de la vie, sur les rapports humains, sur la complicité père/fils (un peu forcée), sur les rapports entre frères, sur la protection au sein de la famille. Emouvant, sincère, triste ou drôle, extrêmement vivant. Il y raconte sa jeunesse mais c’est la jeunesse d’un jeune qui se souvient des bons et mauvais moments. C’est aussi une belle description avec le vocabulaire et les références de l’époque. Ce sont ses souvenirs mais c’est aussi notre jeunesse. Un livre tendre et sensible, bien écrit.
Extraits :
une Clio grise de location était garée, échouée comme une enfant baleine sur une plage désolée du nord de l’Europe, semblable à un chagrin d’amour.
Banlieue, origine du monde, tu restes dans mon cœur comme la Bretagne pour un Breton, Marseille pour Pagnol, le pays d’origine d’un émigré
À l’époque, j’étais mal dans ma peau, encombré de moi-même, prisonnier comme d’une tyrannie, ce qui m’a laissé une sorte de souffle, un voile sur le cœur quand je respire
Je partais en vacances pour d’autres couleurs, tout était simple et beau, sauf peut-être mon intérieur et mes contours, mon petit fardeau
La guerre a bonne mémoire et tue parfois ceux qu’elle a ratés sur les champs de bataille
Pourquoi ce chagrin ? Un de plus ou un des premiers ?
À la place du bleu que tu avais à l’âme, le rose t’aurait fait voir la vie autrement. Le bleu te donnait des cernes, le rose aurait pu t’offrir des fleurs et te teinter les joues, va savoir.
Certaines photos vous donnent l’impression que votre mémoire s’étend au-delà de vos souvenirs
La photo est dans mon esprit, tu es là, maman, un peu partout et à toutes les époques en superposition, je te vois à tous les âges
Je te vois réfléchir, penser. Je te vois ne rien dire. Je t’entends te taire et les mots que tu penses, je les entends aussi
Du sang de Dieu au petit vin blanc, en passant par le whisky bon pour les artères, on n’en finit pas de trouver des raisons de s’en jeter un derrière la cravate ou de s’en prendre une bonne. C’est vrai que, floutée, la vie a une autre gueule
Mais la gauche aussi est sensible aux intoxications de cette société qui, sous l’influence de la publicité, finit par nous donner des désirs d’apparence.
Pour les ados de ma génération, l’image des icônes progressistes était comme celle des pop stars. Guevara, Bob Dylan, Angela Davis, Lennon, même combat : ils finissent sur des tee-shirts. Alors peut-être était-ce le début de la fin des pensées simples pour des gens simples
J’ai eu un accident avec une Mercedes qui m’a coupé la route à fond la caisse. » Et il conclut : « La Capri, c’est fini. »
Le monde était suspendu et le temps se taisait, la clameur retentissait en sourdine, même la nature était pâle. Impossible de revenir en arrière, la vie devait continuer
Il était d’une tristesse folle, le barrage avait sauté, ses peines enfouies coulaient de ses yeux, des rivières de montagne qui se réveillent
Tu utilisais n’importe quel prétexte pour justifier ton appétit charnel envers tout ce qui bouge sur terre et qui porte une jupe. Sauf les Écossais, avec tout le respect qui leur est dû
Je décidai de prendre les choses à la légère, c’est à la longue qu’elles ont pris du poids, jusqu’à devenir vraiment lourdes pour un garçon de mon âge.
Certaines choses restent suspendues, comme des morceaux de temps dans une cachette.
Elle était ainsi. Pourtant, elle en avait, des soucis, mais son vrai souci était ailleurs, le goût des autres
Les démons de midi viennent sans qu’on s’y attende, et ils vous cassent la boussole à en perdre la tête en même temps que le nord
Ces fleurs se replient le soir venu pour enfermer en elles tous vos souvenirs de la journée, elles vous invitent et vous envoûtent pour vous noyer à jamais dans l’antichambre des dieux, afin de les nourrir de vos cœurs attendris. Ce sont des sirènes botaniques dont le chant inaudible mène à un vertige fatal auquel vous succombez volontiers
Il vivait au rythme de ses marées, il courait après tout
Je me rends compte en regardant quelques photos et visionnant de plus près mes souvenirs, pour certains à la loupe, qu’au fond, je me suis toujours déguisé en autre chose que moi et qu’à chaque fois je me sentais mieux.
C’est peut-être toi qui t’en voulais le plus de ne pas être celui dont tu avais rêvé
Unis contre vents et marées, nous rêvions en collant la nuit nos idées sur les murs
Comment imaginer qu’une mère qu’on pensait immortelle puisse prendre froid et tomber gravement malade ?
Elle se sentait comme une robe à fleurs fanée et froissée qu’on ne portera plus.
Tout semble s’apaiser, mais il faut se méfier du calme comme de l’eau qui dort. C’est fou combien ce genre de dictons peut vous empêcher de saisir les moments comme ils viennent. Il faut toujours s’angoisser à l’avance, anticiper la tuile, ce malheur qui ne vient jamais seul
Les habitudes prenaient un coup de vieux, pour donner naissance à un autre chose dont nous avions conscience, c’est-à-dire l’air libre. Depuis, je n’ai cessé d’écrire pour que M. Cadet soit fier de
Je n’ai rien à te pardonner. Tâche d’être heureux. » Et puis elle a fermé la porte sur toutes ces années mortes, j’imagine qu’elle a mis le disque de Jean Ferrat et qu’elle a écouté « La matinée se lève » en regardant le ciel du printemps qui va naître.
Quand on brise le cœur de quelqu’un, on en brise toujours plusieurs à la fois, c’est ça la vie, un magasin de porcelaine.
Sur ces belles paroles, tu partis, armé de ton courage vacillant, pour Austerlitz… ou Waterloo.
la nouvelle tomba comme un morceau de montagne sur une voiture de touristes, la tuile version large
C’est parti comme un p’tit bouchon, le ton est monté comme un thermomètre en canicule
Elle a mis la clé sous la porte de sa vie de femme, c’était fini les hommes, elle n’en voulait plus
Elle vivait dans son monde, entre un passé disparu et un avenir dont elle n’attendait rien
tu semblais couler des jours paisibles bercé par le vent de là-bas, arrosé par le sang du Seigneur auquel tu ne croyais toujours pas mais dont tu connaissais plutôt bien les vignobles.
J’avais tant de choses à te confier et si peu de temps ou de courage, mais je savais que je t’aimais, ça je n’ai jamais cessé de te le dire. Même lors de nos désaccords, c’était comme ça, je t’aimais