Delesalle, Nicolas «Un parfum d’herbe coupée » (2015)

Delesalle, Nicolas «Un parfum d’herbe coupée » (2015)

 

Résumé : Le jour où mon père a débarqué avec son sourire conquérant et la GTS, j’ai fait la gueule. Mais j’ai ravalé ma grimace comme on cache à ses parents l’odeur de sa première clope. J’ai dit « ouais », j’ai dit « super », la mort dans l’âme, même si j’avais compris que la GTS pour la GTX, c’était déjà le sixième grand renoncement, après la petite souris, les cloches de Pâques, le père Noël, Mathilde, la plus jolie fille de la maternelle, et ma carrière de footballeur professionnel. ( 256 pages – Paru au Livre de poche (01.2016)

Mon avis : J’ai trouvé très sympa mais dans le genre j’ai préféré le livre de Hagena, Katharina « Le goût des pépins de pomme » (voir article). Delesalle surfe sur la même veine, mais en moins poétique. J’ai bien aimé le premier quart mais ensuite j’ai décroché car je ne me suis pas du tout attachée aux personnages. Mais il y a plein de clin d’œil ; maintenant je ne verrais plus les gens à la piscine avec le même regard ! et c’est vrai qu’il reste toujours en nous une trace des profs qu’on a eu – ou pas. Et je me rends bien compte que les auteurs qui ont traversé sa jeunesse ont aussi traversé la mienne… La façon d’écrire est très sympa ; c’est typiquement le livre à lire dans le bus ou le train et dont je ne vais pas me souvenir dans six mois… Et pourtant que de jolies phrases, ou bien des personnes vont se retrouver… Si vous le croisez, lisez le.. C’est plein de jolies images et de souvenirs interchangeables…

Extraits :

Chaque geste, chaque mot pouvait briser une molécule d’air qui en brisait une autre qui en brisait une autre et ainsi de suite, une réaction en chaîne au bout de laquelle une molécule d’eau salée pouvait finir par couler sur la joue de celui qu’on essayait de consoler.

Ça faisait cinq ans qu’il souffrait de la maladie d’Alzheimer. Sa mémoire était un paquet déchiqueté après Noël, les enfants Alzheimer s’étaient barrés avec le cadeau. Il ne reconnaissait plus personne.

Les animaux, eux, ont tous la même allure. Ils sont clonés sur un seul modèle, celui de la survie et de la sélection naturelle. Toutes les gazelles ont les mêmes petites fesses de victime ; les loups, le même regard de pleine lune ; les guépards, cette dégaine chaloupée de petite frappe de banlieue.

Tout passe, tout casse, tout lasse. Ça m’a longtemps agacé. J’ai eu du mal à l’accepter. J’ai longtemps eu le sentiment de vivre à blanc, pour rien du tout.

Il faut être capable d’oublier, nous dit Borges, sans ce tri, nous ne pouvons plus exister. La vie, c’est l’oubli, l’oubli, c’est la vie. Quel a été mon tri ? Qu’ai-je choisi de sceller dans ce machin cabossé qui me sert de mémoire et qui me définit ?

Je vais essayer de te parler de ces quelques instants-là remontés dans mon filet dérivant

La lune est suspendue plein ouest. Son éclat d’hostie rassie sanctifie les bords des nuages.

un rouge pétant, un rouge j’ai-un-problème-de-reconnaissance-sociale-alors-je-roule-en-voiture-rouge.

intellectuellement plus proche du bigorneau que de Machiavel

Les marches grincent comme à chaque fois qu’on essaie de ne pas les faire grincer. Tous les escaliers en bois du monde sont des cafteurs.

Boris Vian pulvérisait tous les a priori, il était, par définition, imprévisible et je tournais chaque page en quête de la prochaine invention langagière. Je découvrais qu’il était possible de s’amuser en lisant, de tordre les mots pour en essorer le sens et son espièglerie d’ingénieux ingénieur me rendit fou amoureux.

« Ma vie  est comme un fleuve, dit Siddhartha, l’enfant, l’adulte et le vieil homme ne sont séparés par rien de réel mais seulement par des ombres. Rien ne fut, rien ne sera. Tout est. Tout a sa vie et appartient au présent. »

Les profs n’ont pas de prénom. Ils n’ont qu’un numéro à jouer et leurs noms de famille s’échangent début septembre dans les cours de récré, comme des sésames vers le savoir ou des promesses pour l’ennui.

J’ai renoncé à essayer de comprendre comment les idées et les souvenirs étaient reliés entre eux dans l’indéchiffrable entrelacs de neurones qui nous sert de machine à penser…

En ces temps reculés, dépourvus de connexions Internet, il n’était pas rare qu’une famille nucléaire de type père-mère-enfants regarde ensemble, au même moment, une émission à la télévision.

Savait-on, avant Michael Jackson, que le corps pouvait se tordre en arabesques gracieuses ?

La mêlée se relève. On dirait une araignée qui se disloque.

Je me rappelle surtout le jour du déménagement, quand la maison était une coquille d’huître vide, avec des lambeaux de chair qui traînaient encore, épars, quand j’ai quitté ma chambre pour toujours.

Ça fait toujours un drôle de bruit intérieur quand on laisse un endroit qu’on a longtemps hanté, on s’attache, ça craque, ça cogne, ça déchire, ça arrache.

les mots sont des menteurs, ils déforment, simplifient, tordent, concassent, prennent le pouvoir et gouvernent

Voilà, c’est fini. Je ne trouve plus rien à dire, je suis à bout de mots. Je me retourne lentement. Je lui dis « au revoir, prends soin de toi », elle ne répond rien. Je quitte le bord de cet étang comme on quitte le bord d’un volcan éteint.

Jolie brune aiguisée comme un cutter.

C’était la magie de la maladie : elle déposait sur mon lit des bandes dessinées neuves,…

En temps normal, ma mère parlait tout le temps. Elle parlait et elle oubliait qu’elle parlait comme une rivière oublie qu’elle coule.

bref, elle visait un but, et, souriante, atterrissait toujours ailleurs.

Je n’ai plus de chien, je n’ai plus de chat, mais je sais que leur présence sans jugement, sans morale, leur présence de meuble toujours heureux avait quelque chose de rassurant.

Il doit y avoir des trucs qu’on garde pour soi dans des lieux sacrés, tout au fond, et qui ne refont jamais surface, même dans l’humour, même des années après. Les épaves sous-marines de nos plus grands renoncements.

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