Amoz, Claude « La Découronnée » (2017)

Amoz, Claude « La Découronnée » (2017)

 

Auteur : Née en 1955, Claude Amoz, de son vrai nom Anne-Marie Ozanam, est agrégée de lettres classiques, professeur de chaire supérieure en khâgne et en chartes au Lycée Henri-IV. Elle a notamment participé à l’édition de La Germanie — Vie d’Agricola de Tacite (1998), des Vies parallèles de Plutarque (2002) et des Portraits de philosophes de Lucien de Samosate (2008) aux éditions des Belles Lettres. En tant que romancière, elle a choisi le pseudonyme androgyne de Claude Amoz pour éviter que ses romans ne soient d’emblée qualifiés de « féminins », avec tous les a priori qui accompagnent cette étiquette. Elle ferait volontiers sienne la formule de Flaubert : « L’écrivain ne doit laisser derrière lui que ses œuvres. Sa vie importe peu » Elle écrit des romans noirs dans lesquels les personnages sont confrontés à « un passé qui ne passe pas » et qui a toujours des conséquences plus ou moins graves. Ses thèmes favoris sont les blessures d’un passé douloureux, la fragilité de la mémoire, la recherche d’identité, la vérité, le désir, la famille, l’Histoire. Elle a déjà publié plusieurs romans noirs remarqués dont Bois-Brûlé, prix Mystère de la critique, et Etoiles cannibales, prix du Polar SNCF.

Paru chez  Rivages – 300 pages – Avril 2017 – Sélectionné pour le Grand Prix de Littérature Policière 2017

Résumé : Viâtre, une ville au bord du Rhône. Ce sont les vacances d’été, la chaleur est étouffante. Johan et Guy Mesel sont frères mais tout les oppose: Johan est un universitaire brillant et un passionné d’escalade alors que Guy, complexé par sa petite taille et dévoré par l’eczéma, est agent technique dans un lycée professionnel en montagne. Ils décident d’échanger leurs appartements pour la durée des vacances et c’est ainsi que Guy s’installe dans le logement que Johan vient d’acheter à Viâtre, dans la montée de la Découronnée. Il est saisi par l’atmosphère qui y règne et s’aperçoit que les lieux portent encore la trace des précédents occupants, en particulier un coffre à jouets dans une alcôve. Dans la même ville, Habiba est employée aux cuisines d’un foyer pour SDF sur lequel règne un prêtre tyrannique. La fille d’Habiba, Zahra, partage la vie du père de Camille, une adolescente qui a perdu sa mère dix ans plus tôt. La famille habitait dans la montée de la Découronnée et Camille garde en mémoire des souvenirs flous de scènes violentes entre ses parents. Un mystère plane sur les circonstances de la mort de sa mère dont elle a conservé des photos. Il y a aussi la vieille Maïa, qui a élevé les frères Mesel, et un détective privé pas forcément très doué pour les enquêtes. Tous ces personnages semblent liés d’une façon ou d’une autre à la montée de la Découronnée et aux drames qui s’y sont déroulés…

Mon avis : Une magnifique découverte que cet auteur. Du noir dans la touffeur de la canicule, dans une ville imaginaire des bords du Rhône (Viâtre : ce nom est-il en rapport avec le mot latin Viator qui signifie voyageur, celui qui voyage – en philosophie l’être humain comme un être toujours en devenir, « en route vers », tendu vers un idéal ou à la poursuite de ses désirs ?) Des enquêtes qui vont laisser subsister des zones d’ombre, des personnages attachants de par leurs fêlures ou fractures qui ont tous commencé leur vie avec des « blancs » qu’il va s’agir de combler. Il va leur falloir fouiller et affronter des souvenirs enfouis. Tant que le passé ne refait pas surface, il est impossible de vivre.

Le point de départ : un échange d’appartement entre deux frères pendant les vacances. Une femme qui veut se rapprocher de ses fils adoptifs. Et la quête du passé… un enfant disparu, une mère décédée, des doutes et des soupçons… Les mystères des lieux vont-ils permettre aux images de remonter à la surface ? En s’abritant derrière des prénoms et des déguisements, certains personnages essaient de se protéger pour avancer. Les enquêtes s’apparentent à des fouilles archéologiques et on creuse en profondeur pour ramener à la surface des petits bouts d’informations et faire revivre le passé. Et plus on se penche sur des faits lointains, plus c’est difficile de retrouver des traces… Sensible, émouvant, attachant, profond, bien écrit..

Tout ce que j’aime. Je vous le conseille vivement.

Extraits :

Les vacances d’été, un temps de loisir auquel chacun aspire, mais pour lui, cette année, le mot a retrouvé son sens premier.
Vacances, vacuité, vide.
Un vide dangereux.

les cimes qui enserrent la vallée de l’Arve ne lui inspirent que de l’effroi. De la tristesse aussi, quand le soleil disparaît derrière les parois rocheuses, si tôt. Le ciel est encore bleu, mais d’un bleu glacial, qui serre le cœur.

Ses ambitions se bornent à passer laborieusement d’aujourd’hui à demain, d’une semaine à l’autre.

Encore quelques phrases, puis elle a raccroché, selon l’expression qu’on utilise encore, alors que les appareils ont perdu leur crochet depuis longtemps, avant même d’abandonner leur fil.

« Clair et net » : l’expression le ravit ; il la répète plusieurs fois, d’un ton pénétré. Elle finit par entendre « clarinette ».

Deux vagabonds, chacun aidant l’autre à lancer des racines dans un sol nouveau. Deux boiteux faisant béquille commune. Mais il était impossible d’aller plus loin dans le partage.

cette intuition vient du fait que sa tante ne sait pas lire : elle est ainsi beaucoup plus réceptive aux signes inconscients par lesquels les gens trahissent des vérités qu’ils ignorent parfois eux-mêmes.

Rapetasserun des mots préférés de Sol.
« Réparer, ce serait trop prétentieux. Je les raccommode comme je peux, avec mes outils et mes doigts. Mais elles gardent leurs cicatrices. »

J’ai l’impression que ma mémoire est pleine de trous.
– Vaut mieux pas de souvenirs que des mauvais. »

Tant de choses qu’elle ne peut confier à personne, même à sa propre conscience.

Il dort dans le berceau d’osier qu’on appelle ici un moïse. Et l’histoire de Moïse lui revient.

Cette femme porte une absence en elle, comme une blessure.

Un tesson à côté du tesson qu’il faut, une confidence confrontée à une autre, qui la complète exactement, des rapprochements patients, et la vérité se retrouvera.

Le temps est une illusion, tout dépend de l’intensité avec laquelle tu le vis : quelques minutes peuvent être beaucoup plus riches que des années d’indolence.

la misère a changé de visage. Les pauvres ne sont plus squelettiques, mais boursouflés. Et c’est pareil pour le teint. Autrefois, les riches se protégeaient du soleil tandis que les paysans étaient tannés par les travaux du dehors : maintenant bronzage et minceur sont signes de réussite.

Les choses qu’on essaie d’enfouir finissent toujours par remonter.

Tout fils qui naîtra, jetez-le au fleuve… ordonne Pharaon.
Le Nil… Le Rhône

En hébreu, on ne dit pas la mer Morte, mais la mer de sel. Yam hamelahr.
Le sel, les larmes.

Le jour est levé, mais on dirait qu’il n’y a pas eu de nuit. Les corps ont de plus en plus de mal à supporter cette chaleur qui ne leur laisse aucun répit, même pendant l’obscurité.

Les gens à la dérive ont besoin de croyances, et plus celles-ci sont étranges, plus elles les rassurent.

le pont Noyé. Un symbole de solitude. Ne dit-on pas que les gens qui renoncent à communiquer coupent les ponts ?

Voilà ce qu’elle a gagné à fouiller dans le passé : réveiller les vieilles peurs, se retrouver fragile, nue.

Dehors, la chaleur semble encore plus violente, comme si l’absence du soleil lui conférait une existence autonome.

Ces derniers temps, elle se plaint de voir les objets lui échapper, c’est le mot qu’elle emploie. »

Les choses lui échappent, la vie lui échappe – cette phrase triste qui leur vient à l’esprit à tous deux, aucun ne la prononce.

Infos : ( pas trouvé de Fort de Dun en France)

Fort de Dun : Dun Aengus ou Dun Aonghus (Dún Aonghasa en irlandais) se situe sur Inis Mór, une des Îles d’Aran, au nord-ouest de l’Irlande. Dún Aengus est un site archéologique important, qui offre un panorama spectaculaire. Dún Aengus a été appelé « le monument barbare le plus magnifique d’Europe ». Le nom de Dún Aengus signifie « le fort d’Aengus », dun signifie « forteresse » en gaélique. Dans la mythologie celtique irlandaise, Aengus ou Oengus est un dieu solaire fils du Dagda. Ce nom pourrait avoir été celui du chef des Fir Bolg réfugiés dans l’île après leur défaite dans la guerre qui les opposa aux Tuatha Dé Danann selon le Lebor Gabála Érenn.

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