Miano, Léonora « La saison de l’ombre » (2013)

Miano, Léonora « La saison de l’ombre » (2013)

Léonora Miano est née le 12 mars 1973  à  Douala,  sur la côte du Cameroun. En 1991, elle s’est installée en France. Ce livre a obtenu le prix Fémina 2013

Résumé  « Si leurs fils ne sont jamais retrouvés, si le ngambi ne révèle pas ce qui leur est arrivé, on ne racontera pas le chagrin de ces mères. La communauté oubliera les dix jeunes initiés, les deux hommes d’âge mûr, évaporés dans l’air au cours du grand incendie. Du feu lui-même, on ne dira plus rien. Qui goûte le souvenir des défaites ? »

Nous sommes en Afrique sub-saharienne, quelque part à l’intérieur des terres, dans le clan Mulungo. Les fils aînés ont disparu, leurs mères sont regroupées à l’écart. Quel malheur vient de s’abattre sur le village ? Où sont les garçons ? Au cours d’une quête initiatique et périlleuse, les émissaires du clan, le chef Mukano, et trois mères courageuses, vont comprendre que leurs voisins, les BWele, les ont capturés et vendus aux étrangers venus du Nord par les eaux.

Dans ce roman puissant, Léonora Miano revient sur la traite négrière pour faire entendre la voix de celles et ceux à qui elle a volé un être cher. L’histoire de l’Afrique sub-saharienne s’y drape dans une prose magnifique et mystérieuse, imprégnée du mysticisme, de croyances, et de « l’obligation d’inventer pour survivre

 

Mon avis : Une fois encore je tombe sous le charme de ces écrivains africains qui mélangent croyances ancestrales et vie actuelle. Léonora Miano nous fait partager la vie et les interrogations d’une peuplade sub-saharienne qui assiste à la disparition de 12 de ses hommes. Nous pénétrons dans leur vie, leurs croyances, et nous partirons avec eux à la recherche de ces disparus. Nous tenterons de comprendre pourquoi et comment ses hommes se sont évaporés, s’ils sont partis, ont été emportés par des esprits, sont morts ou toujours en vie ? et qui est responsable de ces disparitions ? Léonora Miano passe par le romanesque pour parler d’un problème qui existe sans que la population autochtone ne soit au courant, pour mettre en lumière une tranche de l’histoire qui est restée occultée au peuple. Elle part sur les traces de la mémoire d’un peuple en mettant les pieds dans les empreintes de ses personnages. C’est une portion de la vie rythmée par les rapports humains, la condition de la femme, les échanges entre peuplades rivales ou amies, les rites et coutumes ; la mythologie de cette Afrique sub-saharienne qui fait régulièrement référence à la mythologie de l’Egypte ancienne. Avec les personnages nous découvrirons ce qu’il y a au-delà du « territoire » de la tribu, au-delà de la vie terrestre, le pouvoir des esprits, nous nous approcherons des tribus voisines, comparerons les attitudes, verrons les changements apportés par la civilisation, la transformation de la vie, les conséquences de l’appât du gain… C’est aussi le roman de la force de l’amour maternel, des gênes qui parlent, de la foi en l’humanité, de la lutte pour la vie, du pouvoir de la volonté et des sentiments, de la renaissance. Sans égaler toutefois mon coup de cœur absolu pour la plume poétique et inventive de l’auteur du Mozambique Mia Couto, j’ai beaucoup apprécié le style de la camerounaise Léonora Miano. Il faut le lire. C’est une page d’histoire en plus d’être un roman envoutant…

Extraits:

« Comme leur esprit navigue dans les contrées du rêve qui sont une autre dimension de la réalité, elles font une rencontre. Une présence ombreuse vient à elles, à chacune d’elles, et chacune reconnaîtrait entre mille la voix qui lui parle. Dans leur rêve, elles penchent la tête, étirent le cou, cherchent à percer cette ombre. Voir ce visage. »

« Le rêve est un voyage en soi, hors de soi, dans la profondeur des choses et au-delà. Il n’est pas seulement un temps, mais aussi, un espace. Le lieu du dévoilement. Celui de l’illusion parfois, le monde invisible étant aussi peuplé d’entités maléfiques. On ne pose pas sa tête n’importe où, lorsque l’on s’apprête à faire un songe.. »

« L’ombre est tout ce qui nous reste. Elle est ce que sont devenus les jours »

« Une toute petite fleur qu’un enfant offrirait au regard de sa mère, pour qu’elle contemple la beauté des choses. La beauté, malgré tout, parce que le chagrin ne peut effacer ce qui a été vécu, l’amour donné et reçu, la joie partagée, le souvenir »

« L’ombre est aussi la forme que peuvent prendre nos silences. »

« Chacune s’enfonce en elle-même, là où l’ombre a laissé son empreinte. Là où la voix entendue en rêve continue de résonner »

« Son regard, au lieu de s’illuminer quand il sourit, rougit, puis s’assombrit. On prendrait volontiers ses jambes à son cou devant ce spectacle, mais le respect dû à son rang l’interdit. Il aime cela. Le fait d’épouvanter les autres le galvanise, au point de le faire rire quelquefois. L’adipeux dignitaire émet alors un grognement de phacochère, ce qui accentue les traits qu’il a en commun avec cet animal. Seules lui manquent les défenses. Ce n’est qu’une apparence : il les porte dans le cerveau. »

« Révéler son nom à quelqu’un, c’est lui confier une part précieuse de soi-même, se dénuder devant lui. Il suffit de murmurer le nom d’une personne lors de rituels pour l’attaquer à distance, l’exposer aux puissances maléfiques »

« Il a sans doute fait un rêve, peut-être plusieurs. Tout s’est effacé. Mauvais signe. Chez lui, on pense que celui qui ne rêve pas a cessé de vivre »

« L’amour des mères pour leurs fils n’a que faire des astres pour trouver son chemin. Il est lui-même l’étoile. »

« S’engouffrant dans l’interstice qui sépare la nuit de l’aurore, elle les précède, marche sans crainte sur des sentiers qui n’en sont pas, qui se forment sous la plante de ses pieds, dessinant une voie qui n’appartient qu’à elle, comme un chemin de vie. Elle est sur sa route. Rien ni personne n’a le pouvoir de l’arrêter »

« Elle disait l’arrachement, la violence, l’impuissance. Elle disait l’impossibilité du retour, une mort qui n’en était pas une, puisqu’elle ne permettrait peut-être pas la renaissance. Une mort inachevée. Une éternité de solitude. Le silence des esprits pourtant invoqués sans relâche …»

« Au bout d’un moment, elle a cessé de compter les jours, cessé de les nommer. Le temps ne s’est pas évaporé dans l’air, il est toujours là. Simplement, sa signification se dilue »

« La nuit est faite pour le repos, mais elle n’est pas si tranquille. Il faut rester sur ses gardes. La nuit a une odeur : elle sent la peau de ceux qui sont ensemble par la force des choses. Ceux qui ne se seraient jamais rencontrés, s’il n’avait pas fallu s’enfuir, courir sans savoir où pour rester en vie, trouver une vie. La nuit sent les souvenirs que le jour éloigne »

« La nuit charrie les réminiscences du dernier jour de la vie d’avant, dans le monde d’antan, sur la terre natale. »

« Dans tous les cas, la nuit ramène les cris, la peur, le moment où l’on s’est retrouvé seul sur le chemin, l’instant où un être aimé est tombé pour ne plus se relever »

« Ses pensées s’accrochent au souvenir, à l’espérance. Cette femme résidera désormais dans le souvenir et l’espérance »

« Prononcer ce nom l’apaise. Pas un instant, elle ne songe que des forces occultes puissent s’emparer de la vibration de ce nom. Cette croyance, parmi les plus ancrées dans la communauté, lui apparaît subitement comme une bêtise. C’est d’être nommé qui fait exister ce qui vit »

« D’ailleurs, elles ont tout leur temps. Il en est ainsi, lorsqu’on ignore où l’on va : point n’est besoin de se hâter »

« .. femme dit que l’on ne peut dépouiller les êtres de ce qu’ils ont reçu, appris, vécu. Eux-mêmes ne le pourraient pas, s’ils en avaient le désir »

« Sachons accueillir le jour lorsqu’il se présente. La nuit aussi. »

Remerciements

– La saison de l’ombre doit beaucoup aux travaux du Prince Dika Akwa nya Bonambela, et en particulier, à un ouvrage intitulé Les descendants des pharaons à travers l’Afrique2.

– Les descendants des pharaons à travers l’Afrique : la marche des nationalités kara ou ngala de l’antiquité à nos jours, Osiris-Africa, 1985.

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