Le Corff, Aude « Les arbres voyagent la nuit » (2013)

Le Corff, Aude « Les arbres voyagent la nuit » (2013)

Résumé :

Chaque jour, Anatole s’interroge. Que peut bien raconter cette fillette, sous le bouleau de la cour de l’immeuble, aux fourmis et aux chats ? Un soir, Le Petit Prince à la main, le vieux professeur de français se résout à l’approcher : « Tu connais ? » Manon, huit ans, n’hésite pas longtemps. Depuis que sa mère est partie, elle n’a plus grand monde à qui parler. Peu à peu, leurs solitudes s’apprivoisent. Et leur drôle d’amitié, née dans un bout de jardin, n’en est qu’au début de leur bout de chemin…

« Un livre qui parle de l’intime et de l’universel, de l’humain et de la nature. Un roman doux, léger et délicat, un récit juste qui parvient à toucher le lecteur en plein cœur. »onlalu.com

(Pocket – juin 2015 – 256 pages)

 Mon avis : Une merveille ! Quand une fillette de 8 ans, toute perdue après la disparition de sa Maman, seule avec un Papa totalement anéanti, qui en veut à la terre entière, va retrouver goût à la vie grâce à un vieux monsieur et au « Petit Prince ». Et plus encore… Cette fillette va nous donner une leçon sur la vie, la tolérance. Dans ce livre, la confiance en l’amour va déplacer les montagnes, va aller au bout de tout… Un groupe improbable va partir à la recherche du bonheur.. Un road-movie magnifique, une ode à la douceur, au souvenir, à l’évasion par les livres… On va y apprendre qu’il faut croire en la vie, croire en ses rêves, aller chercher le bonheur. Autour d’une fillette dont la vie se résume à un foulard abandonné, 3 adultes vont se rencontrer.. et refaire le monde.. Alors laissez-vous guider… partez à la redécouverte des lieux du passé avec votre regard de maintenant, laisser remonter vos souvenirs et votre humanité. la nostalgie par moments, certes, mais au final une nostalgie constructive et un message d’espoir. Toujours sensible et juste, jamais larmoyant. Ce livre pose les bonnes questions et donne les belles réponses.. Et tout ça avec beaucoup de poésie..

Je le recommande vivement !

 Extraits

Devant la fenêtre, se dresse un bouleau dont la force tranquille contraste avec l’abattement de cet homme qu’elle ne reconnaît plus.

Pourquoi s’acharner à maintenir les vieux en vie ? Tout en eux s’use et s’estompe, même les souvenirs, souvenirs de souvenirs, souvenirs aux contours flous et aux couleurs fades, souvenirs réinventés.

Manon prend place à côté du vieux monsieur qui s’assoit comme un automate ; il ne lui manque plus que la clé dans le dos

Ses cheveux blancs sont trop rares pour cacher les taches brunes sur son crâne, et son front est aussi ridé que l’écorce d’un érable rouge.

L’auteur, Antoine de Saint-Exupéry, est un adulte qui n’a jamais oublié qu’il était un enfant, avant d’être grand, et l’est toujours resté un peu, dans un monde plein de guerres et de désillusions

– Dans les moments de nostalgie, je m’immerge dans ces petites choses du passé, c’est tout ce qu’il me reste d’eux.

– Moi aussi, j’ai un tiroir avec des souvenirs très importants que je regarde souvent.

On ne connaît pas l’influence du temps orageux sur le coup de foudre qui eut lieu dans cet espace confiné, entre le rez-de-chaussée et le neuvième étage.

Peut-être se trompait-il : rien n’est jamais fini, tant que le dernier souffle n’a pas franchi son dernier obstacle. Il lui reste des souvenirs à fabriquer, une histoire à créer, des terres à découvrir.

Quel dommage que les arbres ne voyagent pas, pense-t-elle. Ils peuvent être plusieurs fois centenaires, mais restent toute leur vie enracinés au même endroit. A quoi bon?

Un vent de panique le traverse : sa sciatique le fait souffrir, sa cuisse droite crépite, c’est certain, il ne va jamais tenir le coup

– Excuse-moi, mais rester avachi toute la journée devant la télé, sans te laver, c’était pire qu’une ou deux bonnes crises de larmes publiques. Ce n’était pas un effondrement, mais un naufrage.
Elle mime avec la main un bateau qui coule.
– Le Titanic, c’était un petit joueur à côté de toi.

Dans le désert de ma vie, je n’étais plus préoccupé que par mes articulations rouillées, le niveau d’huile dans mon cerveau, et mon carburant du midi et du soir, cet insipide plateau-repas livré à heures fixes, le même qu’en maison de retraite.

– Les hommes préfèrent vraiment avoir des routes partout plutôt que des oiseaux et des arbres ?

– Oui. L’homme essaie de préserver ce qu’il peut. Mais les gens veulent pouvoir se déplacer vite, sans limites, les villes, les voies ferrées et les routes s’étendent, saccageant des hameaux et des espaces naturels.

Il a perdu son jouet, mais il tient au creux de sa main quelque chose de mille fois plus précieux : l’amour de sa mère. Elle est là, toute proche, si proche et réelle qu’il peut la toucher. Elle ne dérive pas sur l’eau, gagnée par l’attrait du vent marin, du soleil et de la liberté ; elle ne le quitte pas, et il ne réalise même pas sa chance. Il continue à fixer le voilier sans un regard pour elle.

Or, ses muscles lui font payer sa station debout prolongée, tandis que le relâchement de certaines tensions n’a pas l’effet escompté : son dos est un champ de mines qui explosent les unes après les autres au moindre mouvement. Ses bras et ses jambes sont des tentacules flasques, bombardés de mille piqûres invisibles ; la douleur clignote sur chaque parcelle de peau comme autant de petites ampoules en fin de vie dans le crépuscule d’une ville fantôme.

La répétition teinte de banalité n’importe quel chef-d’œuvre de la nature : on admire, on contemple puis on intègre le paysage, avant de se fondre en lui. Les souvenirs remontent et s’évaporent. Notre corps devient nébuleux. On peut rencontrer aussi bien le vide que le tout. Ne plus penser à rien comme dresser le bilan d’une vie, en étant aspiré par quelque chose de plus global qui nous échappe.

Penser, toujours penser, remuer les échecs et le passé, elle ne savait faire que ça. Lui ne voulait plus rentrer dans son jeu. Alors, il s’est noyé dans le travail ; pour ne pas sombrer avec elle, il a arrêté de l’écouter. Quand elle abordait les mêmes sujets macabres, il lui arrivait de sortir de la pièce. Ces tonnes de livres qu’elle dévorait pour oublier lui sortaient par les yeux.

On perd l’habitude d’exprimer ses sentiments avec les années. Or, sans manifestation de tendresse, que reste-t-il à l’autre ? Un affreux sentiment de vide et de solitude ; l’impression de ne plus exister.

Côtoyer le malheur, c’est imaginer que ça peut nous arriver.

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