Petterson, Per « Pas facile de voler des chevaux » (2006)

Petterson, Per « Pas facile de voler des chevaux » (2006)

Per Petterson (né le 18 juillet 1952 à Oslo) est un écrivain norvégien. Il a  publié plusieurs autres romans, dont le plus connu en Norvège, mais aussi en France notamment dès sa parution valorisée par le journaliste médiatique Patrick Poivre d’Arvor, reste Pas facile de voler des chevaux (Ut og stjæle hester) (2003). Celui-ci a gagné plusieurs prix littéraires, dont le Den norske Kritikerprisen, le Independent Foreign Fiction Prize, le prix littéraire européen Madeleine Zepter et le International IMPAC Dublin Literary Award ; il a également été choisi comme l’un des dix meilleurs livres de 2007 par le New York Times. En 2009 il reçoit le grand prix de littérature du Conseil nordique pour son roman Maudit soit le fleuve du temps.

Résumé : À soixante-six ans, Trond Sander se retire dans une petite maison près d’un lac, au nord-est de la Norvège. Il a le sentiment que son rêve de quiétude et de solitude est en passe de se réaliser, mais un soir il fait la connaissance de son voisin Lars. Cette rencontre le replonge dans l’été de ses quinze ans, en 1948. À cette époque, en vacances seul avec son père, il retrouve son camarade Jon. Ensemble, ils «volent des chevaux» pour de petites échappées. Une fois pourtant cela se termine mal : il tombe de cheval et se blesse, puis assiste, impuissant, à une étrange explosion de rage et de violence chez Jon. Trond se souvient de l’effroyable accident survenu dans la famille de Jon, du passé insoupçonné de son père, révélé par un voisin ; il ne se doutait pas alors que les événements dramatiques survenus pendant la Seconde Guerre mondiale allaient jeter leur ombre sur sa propre famille et lui ravir son père.

Pas facile de voler des chevaux est un livre d’une intensité dramatique rare, habilement construit autour des secrets des personnages principaux. Les réminiscences d’un narrateur au soir de sa vie et son évocation d’un été inoubliable sont tout simplement bouleversantes.

paru en édition de poche ( folio 4756)

Mon avis : C’est un très beau roman, plein de mélancolie, très sensible mais ne versant jamais dans la sensiblerie où tous les éléments qui forment la vie sont évoqués avec pudeur, douleur parfois, mais sans pathos. Une rencontre fait ressurgir les souvenirs et les interrogations du passé. C’est un magnifique texte sur les non-dits, sur les relations père-fils, sur la solitude, sur les secrets avec lesquels il faut vivre, sur l’amour de la nature aussi. Les conditions climatiques, la nuit, l’orage, le sombre et la clarté, la rivière, la route, les arbres… le silence, les regards et la présence silencieuse sont également partie prenante dans l’histoire. C’est aussi un récit en demi-teinte sur l’amitié entre jeunes garçons. Ayant choisi la solitude de la forêt pour finir sa vie, les souvenirs vont permettre au héros de peupler ses jours. Deux périodes charnières dans la vie de Trond. Le passage à l’adolescence (pendant la Seconde Guerre Mondiale qui joue un grand rôle dans le déroulement des événements) et le passage à la vieillesse. La peur de quitter l’enfance, de mal négocier le virage vers l’âge adulte, et la crainte de pas assurer le passage vers la dernière partie de la vie. Et pour l’accompagner, le hasard de la vie mettra sur son chemin un homme qui a fait basculer sa jeunesse dans l’incertitude et l’incompréhension.

Extraits :

« Le temps, maintenant, je me dis que c’est important pour moi. Qu’il passe vite ou lentement n’est pas le problème ; l’essentiel c’est le temps lui-même, c’est le temps lui-même, cet élément dans lequel je vis et que je remplis d’activités physiques qui le rythment, le rendent visible et l’empêchent de s’écouler sans que je m’en aperçoive. »

« Et j’ai compris que rien ne me faisait aussi peur que de me voir transformer en un personnage de Magritte: celui qui se regarde dans une glace et découvre que sa nuque s’y reflète à l’infini. »

« Au souvenir de ce rêve je sens mon estomac se nouer. Je ferais sans doute mieux de ne plus y penser, de le laisser couler au fond de moi et s’y déposer parmi tant d’autres rêves auxquels je me refuse à toucher. J’ai passé l’âge où les rêves pouvaient me servir à quelque chose. »

– « A l’époque, tu n’avais jamais l’air de te lasser de David Copperfield. (…)
Et elle appuie ses coudes sur la table et y pose son menton avant de réciter :
– ‘Deviendrai-je le héros de ma propre vie, ou bien cette place sera-t-elle occupée par quelque autre ? A ces pages de le montrer. »

Elle sourit de nouveau :
– Ce début m’a toujours fait peur, parce qu’il laisse entendre que nous ne serons pas forcément le personnage principal de notre propre existence. Je ne comprenais pas comment ça pouvait être possible, une horreur pareille : une sorte de vie fantôme où je serais réduite à contempler celle qui aurait pris ma place, à la haïr et à l’envier sans rien pouvoir faire, puisque, à un moment ou à un autre, je serais tombée de ma vie comme on tombe d’un avion. Et je m’imaginais flotter dans les airs sans pouvoir regagner mon siège, où une autre était assise à ma place. Pourtant, c’était mon siège, et j’avais mon billet à la main.  »

« Certains disent que le passé est un pays étranger, et qu’on y vit d’une autre manière ; j’ai sans doute partagé ce sentiment pendant une partie de ma vie, car je ne pouvais pas faire autrement. Mais maintenant, ce n’est plus le cas. En me concentrant, je peux m’introduire dans la cinémathèque de la mémoire et retrouver le film que je cherche, et il me suffit de me couler dans ce film pour revivre dans mon corps » …

 

 

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