Sánchez, Mamen « La gitane aux yeux bleus » (2020)
Autrice : Journaliste de formation, Maria del Carmen Sánchez Pérez (dite Mamen Sánchez) est directrice adjointe de la revue ¡Hola ! fondée par ses grands-parents. Elle est l’auteur de plusieurs romans, pour les adultes et la jeunesse, qui connaissent un grand succès en Espagne.
Collection Bibliothèque étrangère, Mercure de France – Parution : 04-06-2020 – 304 pages – [La felicidad es un té contigo] – Trad. de l’espagnol par Judith Vernant
Résumé : L’inspecteur Manchego approcha le smartphone dernière génération de son oreille, en retenant sa respiration. Il entendit une voix nasale, sur un bruit de fond rythmique, une sorte de lamentation ou de prière, et les accords d’une guitare. Il ne comprit pas un traître mot de ce que disait l’interlocuteur – c’était en anglais –, mais il devina qu’il ne s’agissait pas d’un appel au secours, on n’y sentait aucune peur. – Qu’est-ce qu’il dit ? demanda-t-il. – Textuellement : « Papa, laisse-moi faire. Je maîtrise la situation. » En bon Espagnol, l’inspecteur Manchego a tout de suite identifié d’où provenait le message : d’une boîte de flamenco. Pas de quoi s’alarmer, donc, quand un riche éditeur londonien, flanqué d’un interprète, vient, très inquiet, lui annoncer que son fils, la trentaine, bien sous tous rapports, a disparu à Madrid depuis plusieurs semaines, après ce dernier fameux appel. Enlevé ? Séquestré ? Blessé ? Tué ? Mais non, il y a forcément une femme là-dessous. En fait, surtout une exquise gitane aux yeux bleus – ça c’est curieux – et face à une tribu de Grenade au grand complet, le jeune Atticus a-t-il la moindre chance ? Non, bien sûr…comme on va le voir au fil de ses irrésistibles aventures.
Mon avis : C’est léger, frais, cela m’a fait sourire à de nombreuses reprises et sous cette légèreté sont abordés plusieurs sujets de société : la peur du chômage, la difficulté d’avoir un enfant, la fin d’une relation amoureuse, la trahison… mais c’est avant tout une jolie comédie romantique avec une galerie de personnages hauts en couleur. Atticus Craftsman, Berta, Soleá, María, Asunción et Gaby, et l’inspecteur Manchego m’ont fait passer un bon moment, entre Madrid et Grenade. Le tout dans le monde du livre et de l’édition.
Pour assurer la promotion de la vente de ses livres, un anglais Marlow Craftsman crée une revue littéraire. Six ans après, cette revue lui coutant plus cher qu’elle ne lui rapporte, il envoie sur place son fils, Atticus, pour fermer le bureau et renvoyer les cinq femmes qui travaillent à cette revue. Mais son fils disparait… C’est l’occasion pour Manchego de mener une enquête et pour nous de faire connaissance avec ces cinq femmes qui vont se mobiliser pour garder leur travail et empêcher la liquidation de la revue. C’est l’occasion de se rendre en Andalousie, de comparer l’amour à l’espagnole et à l’anglaise, de baigner dans la joie, et de passer un bon moment, même si l’ombre du tueur en moto plane sur ce petit monde… Le tout sous le regard bienveillant de Tolkien…
Je recommande à toutes celles et ceux qui ont envie d’une lecture délassante et enjouée.
Extraits :
À vrai dire, l’inspecteur ne s’appelait pas non plus Manchego (son nom était en réalité Alonso Jandalillo), mais il se plaisait à s’imaginer une ressemblance avec l’immortel Don Quichotte de la Manche, non seulement par le nom, mais aussi par les exploits – dont son propre palmarès était pour l’instant totalement exempt. Il avait donc adopté ce pseudonyme au cours des deux ou trois opérations de terrain auxquelles il avait participé. « Manchego » : trois syllabes qui sonnaient particulièrement bien sur fond du grésillement des talkie-walkies.
Le fantôme du vieux professeur assistait à chacune de ces leçons dans le silence le plus absolu, sans jamais effrayer les maîtresses de l’élève, les yeux un peu écarquillés, certes, mais avec une tolérance respectueuse qui faisait de lui, pour le meilleur ou pour le pire, le complice de son secret. Quel manque de correction ç’aurait été de raconter au monde les tendances voyeuristes de Tolkien !
Leur histoire d’amour débuta là, aussi délicatement qu’une œuvre d’art. Il fut le pinceau et elle, la peinture.
L’âme ne pèse rien. Son poids, c’est juste une invention d’un producteur hollywoodien pour un titre de film. Elle ne pèse rien parce qu’elle n’est pas de ce monde. Comme l’amour ou la souffrance. Elle contient toutes les qualités qui rapprochent un peu l’homme de Dieu.
Elle dévorait les livres comme des bonbons. Un vrai ogre, qui savait apprécier Lorca et Ezra Pound, les sœurs Brontë et les frères Grimm. « Tous ensemble, dans le gosier, monsieur Bestman, demandez-moi ce que vous voudrez, je connais tout. »
[…] la tragédie était un habitant à part entière de l’Albaicín. On y criait à tous les vents ses peines et ses joies. On souffrait ensemble, on aimait ensemble. Là-bas, les secrets n’avaient pas leur place. Ils étaient portés par la brise.
le mariage n’est pas un long fleuve tranquille. Ce serait même l’inverse, vois-tu. C’est plutôt un torrent plein de pierres au bord d’un précipice. Tu ne peux pas savoir les efforts qu’on doit faire pour ne pas se retrouver au fond.
Ni l’un ni l’autre n’avait l’habitude de dîner dehors. Ils étaient plutôt du genre à boire une bière ou à jouer aux cartes avec les copains après le boulot, puis à rentrer seuls chez eux : pantoufles et pyjama, télé ou bon bouquin, sandwich chaud, draps frais, pipi, Notre Père et insomnie au milieu de la nuit.
Tu peux pas remercier la vie pour la vie ; ce serait comme dire bonne nuit à la nuit. Ça tient pas debout, ton histoire.
— Vu comme ça, oui, je suppose que je crois en Dieu.
Le 15 décembre tomba un vendredi froid et couvert – le genre de jour qu’on préférerait voir tomber un samedi pour pouvoir passer la matinée au lit.
Elle eut l’impression d’étreindre un chêne, un hêtre aux feuilles jaunies par l’automne, et respira l’odeur de terre humide, de champignons sauvages, de troupeau et de feu de bois.
Leur baiser eut un goût de noix et de châtaignes, de vin chaud et de braises dans la cheminée.
Le son des guitares et des bouteilles s’abattit sur Grenade comme une tempête tropicale.
Il la regarda avec les yeux de l’âme, qui ne voient ni l’âge ni les kilos en trop, mais seulement le bonheur de ne faire qu’un seul cœur, et la vit sous les traits d’une belle fille de vingt ans, la chair ferme et la bouche appétissante, radieuse en blanc – sa femme.
— Un jour, se plaisait à répéter Berta, on se fera une magnifique bibliothèque. On y mettra tous les livres de notre vie. Elle sera comme celle de Borges, une métaphore de l’univers : circulaire, avec des murs hexagonaux, et infinie. Et quand bien même le monde et l’espèce humaine seraient près de s’éteindre, notre bibliothèque se perpétuera « éclairée, solitaire, parfaitement immobile, armée de volumes précieux, inutile, incorruptible, secrète ».
Infos : Le Manchego est un fromage espagnol à pâte pressée, élaboré à base de lait de brebis Manchega d’où le nom Manchego. Originaire de la Mancha au sud de Madrid, le Manchego est le fromage espagnol le célèbre grâce à Miguel de Cervantès et son roman « Don Quijote de la Mancha».
4 Replies to “Sánchez, Mamen « La gitane aux yeux bleus » (2020)”
J’en suis à un peu plus de la moitié et jusqu’ici j’adhère à 100% à ton avis
Arrivée à la fin et vraiment charmée par cette autrice
Tu m’as donné envie de le lire. L’adultère, la maltraitance, le chômage…, des sujets très sérieux décrits avec humour et une pointe de surréalisme. Un petit roman sympa.
Merci pour cette lecture. J’aime ton avis et y adhère complètement. Fraicheur, sujets variés, personnages attachants. Une enquête sans morts… cela nous change et franchement j’ai adoré.