Dupont-Monod, Clara «Le Roi disait que j’étais diable» (08/2014)

Dupont-Monod, Clara «Le Roi disait que j’étais diable» (08/2014)

Autrice : Clara Dupont-Monod, née le 7 octobre 1973 à Paris, est une femme de lettres et une journaliste française. Clara Dupont-Monod fait des études littéraires. Elle a une maîtrise d’ancien français à la Sorbonne.
Ses romans : Eova Luciole, 1998 – La Folie du roi Marc, 2000 – Histoire d’une prostituée, 2003 – La Passion selon Juette, 2007 – Bains de nuit, avec Catherine Guetta (auteur), 2008 – Nestor rend les armes, 2011- Le Roi disait que j’étais diable, 2014, – La Révolte, 2018

Résumé : Depuis le XIIe siècle, Aliénor d’Aquitaine a sa légende. On l’a décrite libre, sorcière, conquérante : « le roi disait que j’étais diable », selon la formule de l’évêque de Tournai… Clara Dupont-Monod reprend cette figure mythique et invente ses premières années comme reine de France, aux côtés de Louis VII. Leurs voix alternent pour dessiner le portrait poignant d’une Aliénor ambitieuse, fragile, et le roman d’un amour impossible. Des noces royales à la seconde croisade, du chant des troubadours au fracas des armes, émerge un Moyen Age lumineux, qui prépare sa mue.

Mon avis : Aliénor d’Aquitaine. Femme de légende et portrait de jeunesse magnifique. Femme de caractère, de liberté mariée à un « roi-moine ». Une fois encore le portrait d’une femme libre dans sa tête, féministe avant l’âge, mariée très jeune avec un homme qui est à son opposé, femme qui se dresse et lutte pour tenter de défendre ses positions. Et là aussi opposition à l’Eglise… et se situant aussi au Moyen-Age (J’avais déjà lu « La Passion selon Juette » et les deux femmes ont beaucoup de points communs) Deux personnes prennent la parole. Aliénor et Le roi Louis VII. L’une est violente, passionnée et déterminée ; l’autre est tétanisé, absolument pas prêt à être roi, amoureux transi de sa femme, mais faible quand il devrait être fort et buté quand il devrait être à l’écoute. C’est un dialogue qui est en fait deux monologues, tellement les personnes sont dissemblables et le dialogue impossible. Ambition face à humilité…Opposition de deux personnalités, mais aussi lutte de pouvoir dans un couple qui ne s’aime pas. Le style est vif, mêler des scènes de violence et de la poésie. Pas de temps mort. Une lutte pour le pouvoir, pour la domination, qui prendra en otage la vie du peuple et mènera au massacre des croisés à Damas sous la bannière de la France. La description de la partie « croisade » nous donne l’impression d’assister à la défaite. Tout comme dans « Juette » les personnages ne sont pas sympathiques et l’auteur ne fait rien pour les rendre aimables. J’ai aussi bien aimé l’éclairage sur la jeunesse d’Aliénor – que je connais plus pour la suite de sa vie, l’époque Plantagenet. Et la touche médiévale avec les troubadours et les croyances des campagnes..

Extraits :

Rien n’est plus angoissant qu’un être joyeux. Comment peut-il ignorer la faim et les menaces

J’aime la colère parce qu’elle a toujours quelque chose à révéler.

Avec la colère, le paysan devient roi. Le puissant se fait pantin. La joie, elle, ne renverse rien.

L’épée, le livre : voilà les objets sacrés, disait mon grand-père. La première défend la terre, le second chante l’amour

Un seul visage pouvait provoquer le ciel, attirer ses extrêmes. Mes guerres perdues, c’était toi. Et jamais je n’aurais pensé qu’une défaite pouvait être aussi belle

On ne marie pas impunément le pouvoir et l’innocence

Crois-tu que je ne t’ai pas entendu crier dans ton sommeil ? Que j’ignore tes cauchemars ? Tu tressailles. Dans un semi-délire, tu demandes à des ombres de partir

Ma campagne s’étalait, moelleuse et douce. Elle était vaillante malgré les fournaises. Aujourd’hui encore, elle serait arpentée, retournée. Elle se laisserait faire, heureuse de livrer ses entrailles.

Je suis un être de mots. Là est le vrai pouvoir. Il suppose la maîtrise d’une puissance redoutable, celle du langage

Le vrai pouvoir repose sur des notions extrêmement subtiles, étrangères au règne animal qui, lui, repose sur la domination. Il exige de la confiance. De la distance. De l’humilité, aussi, puisque la victoire est pleinement acquise lorsqu’on a douté d’elle

On dit qu’il existe plusieurs sortes de silences. Il en est de même pour la colère. Celle qui m’emplit s’approche d’une fleur vénéneuse. Elle s’ouvre lentement. Elle sait attendre. Ses racines sont des griffes profondes. Les vents mauvais ne l’effraient pas, ils la nourrissent. Elle s’en gorge et s’en repaît. Elle pousse sur le terreau des rancœurs. Je chante le poème et ses pétales s’élargissent. Un poison sucré irrigue chacune de leurs nervures. Ma colère se déploie dans la majesté de ses couleurs vives. Viendra le jour où je pourrai la cueillir.

Vous ne savez faire que cela, interdire. Un jour, il faut construire. »

Et toi, Aliénor, je te vois renaître, fleur vénéneuse qui s’ouvre sur un tas d’immondices. La nuit tombe et, comme Mélusine, tu révèles ton vrai visage. Le double jeu est une constante de ta famille.

Ici le sentiment ne vient jamais seul. Il se double toujours d’un parfum, d’un goût, d’une image. La torpeur d’une après-midi écrasée de soleil s’accompagne de la confiture de rose servie sur des plateaux. L’exaltation avant la fête s’associe à la myrrhe qui brûle dans les chambres. De sorte que le sentiment éprouvé à cet instant-là pourra se retrouver bien après sa disparition

J’ai fait le pari du langage contre les armes, de la foi contre la colère. J’inaugure un autre monde mais personne n’est encore prêt.

En Orient, les failles étaient devenues gouffres. Pour ne pas y tomber, chacun s’éloignait du bord

Il faut se méfier de la désillusion. C’est une main qui lève un couvercle, libère les questions assassines.

Elle se tenait là, petite fille du chaos, les mains inutilement fermées. Pour retenir quoi ? C’était l’évidence : il fallait être aveugle pour ne pas comprendre qu’un poing serré, c’est d’abord une main qui garde

Dupont-Monod, Clara « La Passion selon Juette » (2007)

6 Replies to “Dupont-Monod, Clara «Le Roi disait que j’étais diable» (08/2014)”

  1. Personnage bien intéressant que celui d’Aliénor…
    Comme j’avais bien aimé « La passion selon Juette », je serais bien tentée de découvrir ce roman 😉

  2. Bonjour Catherine, je ne suis pas un spam! Merci pour vos échanges sur le groupe OLL.je serai ravie d’être abonnée à votre newsletter! Bonne année et bon week end!

    1. Heureuse de vous lire ici et de vous voir figurer sur ma liste d’abonnés à la newsletter. Je vous informe que j’envoie en général une newsletter par mois. Je me rejouis aussi de lire vos commentaires sous les différentes chroniques. Il suffit de cliquer sur les titres dasn la liste des auteurs

  3. Superbe personnage, shakespearien, que cette duchesse fière et indépendante !
    Je viens de lire ce roman, ainsi « La révolte », dans la foulée. Si le premier tome mêle les voix d’Aliénor et Louis VII, le second tome allie celle de Richard aux voix de ses parents.

    C’est puissant, furieux, cruel, et poétique à la fois, tout comme le Moyen-Âge…
    Et, si j’ai bien retenu, il devrait y avoir un tome 3… je m’en réjouis déjà 🙂

Répondre à N@n Annuler la réponse

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *