Varela, Eduardo Fernando « Patagonie route 203 » (RL2020)

Varela, Eduardo Fernando « Patagonie route 203 » (RL2020)

Auteur : Eduardo F. Varela a 60 ans. Il vit entre Buenos Aires, où il écrit des scénarios pour le cinéma et la télévision, et Venise, où il vend des cartes anciennes. Patagonie, Route 203 est son premier roman.

Métailié –20.08.2020 –  357 pages – François Gaudry (Traducteur)

Résumé : Un formidable road-trip à travers les routes les plus inhospitalières et sidérantes du sud du monde où rien ni personne n’est ce qu’il semble être. Un merveilleux premier roman. Au volant de son camion, un énigmatique saxophoniste parcourt la géographie folle des routes secondaires de la Patagonie et subit les caprices des vents omniprésents. Perdu dans l’immensité du paysage, il se trouve confronté à des situations aussi étonnantes et hostiles que le paysage qui l’entoure.
Saline du Désespoir, La Pourrie, Mule Morte, Indien Méchant et autres lieux favorisent les rencontres improbables avec des personnages peu aimables et extravagants : un journaliste qui conduit une voiture sans freins et cherche des sous-marins nazis, des trinitaires anthropophages qui renoncent à la viande, des jumeaux évangéliques boliviens gardiens d’un Train fantôme, un garagiste irascible et un mari jaloux…
Au milieu de ces routes où tout le monde semble agir avec une logique digne d’Alice au pays des merveilles, Parker tombe amoureux de la caissière d’une fête foraine. Mais comment peut-on suivre à la trace quelqu’un dans un monde où quand on demande son chemin on vous répond :  » Vous continuez tout droit, le jeudi vous tournez à gauche et à la tombée de la nuit tournez encore à gauche, tôt ou tard vous allez arriver à la mer  » ? Ce fabuleux premier roman est un vrai voyage à travers un mouvement perpétuel de populations dans un paysage dévorant, auquel le lecteur ne peut résister.
 » Une extraordinaire réinvention de la Patagonie argentine !  » Prix Casa de las Américas  2019

Mon avis :

Quand on me parle de Patagonie andine, un endroit que j’ai tellement aimé, je ne peux pas faire autrement que de me précipiter sur le livre en question !  Et c’est mon premier coup de cœur de cette rentrée littéraire. Un magnifique premier roman qui a pour thème l’errance dans un environnement à la fois immense, hostile, mystérieux et magique.

En compagnie de Parker, le personnage principal, qui fuit son passé et n’est en sécurité que dans la solitude de cette terre du bout du monde, dans l’immensité déserte, à la merci des éléments, nous pénétrons dans un monde où le temps et l’espace prennent le pas sur tout le reste. Cet homme qui se fuit et qui fuit l’humanité toute entière va voir sa vie bouleversée quand il rencontre une femme, Maytén. La fuite de Parker deviendra encore plus difficile ; c’est difficile de fuir à deux, surtout quand la conception de la vie des deux partenaires est totalement différente, que l’un est solitaire dans l’âme et que l’autre aime les gens.
Un troisième personnage traverse la vie de Parker : un journaliste qui recherche le U-745, vu pour la dernière fois en février 1945 dans le golfe de Finlande, un monstre préhistorique dans les lacs de Patagonie ou de l’or dans les rivières.
Bien sûr Parker croise

Le rapport de Parker avec la nature est de toute beauté : le toit de sa maison est le firmament, les étoiles ses lumières… le tout accompagné par son saxo car Parker est un anicien musicien.

Extraits :

Il savait qu’à tout moment des problèmes pouvaient surgir, mais insouciant du risque il jouissait de cette vie incertaine et anonyme, au bord de l’illégalité. Il flottait au-dessus des vastes étendues désertes qui dissolvaient son existence, mêlant son passé à la poussière et au vent, effaçant jusqu’à son nom.

Le chant ou le soliloque étaient le point maximal de proximité avec lui-même, une forme d’intimité, d’ouverture du cœur.

Son regard se perdit dans l’ouverture noire de l’univers où les nuages s’étaient retirés, mais tout paraissait tranquille là-haut : Pégase reposait indifférent, enveloppé dans sa constellation, avec sa longue queue appuyée sur Andromède, tandis que Bellatrix cherchait refuge dans les bras des Perséides.

le vent emporta ses paroles et ils restèrent un instant silencieux, comme dans l’attente qu’une autre rafale rapporte ces mots qui venaient de se perdre pour toujours.

Il observa l’horizon, les souvenirs de ces derniers jours prenaient les nuances pastel des nuages, touchant ses fibres les plus intimes et lui laissant un arrière-goût de tristesse.

Des hauteurs occidentales, accompagnant la lente descente des glaciers, les eaux se déversaient, les vents soufflaient ; à l’est l’océan dominait, avec ses saisons de pêche et les marées capricieuses, les plages désertes jonchées d’ossements de baleines et de lions de mer. Où que l’on se tourne, le regard revenait sur les vagues et les quarantièmes rugissants, sans toucher un seul empan de terre. Ainsi se présentait la planète dans ces latitudes extrêmes que ses habitants se plaisaient à appeler “le monde du bout du monde”, comme si c’était un motif de fierté.

Debout devant l’immensité du paysage, les mains pressées sur ses épaules, elle scrutait le lointain et remontait dans le temps. Une obscure intuition lui suggérait que l’origine de ses privations tenait à l’arrivée de ses ancêtres sur ces terres. Elle se demandait pourquoi ils n’étaient pas restés en Europe plutôt que de venir s’échouer dans ces contrées misérables. Elle ne savait rien de ce continent, ni de la faim qui les avait poussés à chercher fortune n’importe où dans le monde, et surtout ici.

elle était vraiment de la région, c’est-à-dire d’un point quelconque dans un rayon de deux ou trois mille kilomètres.

Et si tout cela n’avait été qu’un de ces rêves hallucinés qu’il faisait souvent en dormant en plein air, sous une simple couverture et le poids du firmament entier ?

Au-delà se terminait le monde connu et commençaient les régions inhospitalières, où de rares hameaux surgissaient et disparaissaient d’une année à l’autre comme des visions ou des accidents de terrain, pour réapparaître en d’autres lieux sans que les gens s’en rendent compte.

[..] dans les nuits limpides de l’hémisphère austral, la position des étoiles changeait capricieusement, poussées par le vent, les constellations se cachaient dans les replis du ciel et l’univers se froissait comme un papier de bonbon.

Son passé lointain restait solide et compact, mais le passé récent était fait de lueurs qui scintillaient sur la ligne constante de la route.

Pour son propre salut, il devait retrouver son chemin, mais il ne savait plus très bien où il l’avait laissé.

Quand elles sont sèches, les larmes ne servent plus à rien

Je me sens plus à l’aise loin du monde. Ici, tu peux oublier ton nom et ton histoire.
– Je veux bien oublier mon histoire, mais pas mon nom. Pourquoi il faudrait oublier son nom ?

[..] imaginer que l’immensité qui les entourait puisse être du temps au lieu d’être un espace.

– Je suppose que les hommes ne pleurent pas.
– Je pleure en moi-même, des larmes sèches. C’est pas bon pour la santé, les larmes servent à lubrifier le regard

– Prenez la nationale tout droit, après-demain tournez à gauche, lundi vous tournez à droite et vous continuez jusqu’à l’Atlantique. C’est le seul océan, vous ne pouvez pas vous perdre.

Maytén ne savait pas si elle préférait le puma ou la métaphore, l’un lui faisait peur, l’autre l’inquiétait comme ces mots bizarres dont on ignore la signification.

La vie monotone et ennuyeuse dans ces régions obligeait les gens à inventer des légendes pour avoir un sujet de conversation le soir. Il avait entendu toutes sortes d’histoires pendant ses voyages, elles faisaient partie du pauvre folklore local, des récits collectifs où chacun ajoutait des détails qui modifiaient la version originale. À force de les entendre, les gens avaient fini par y croire : naufrages de galions espagnols remplis de trésors, vaisseaux fantômes à la dérive depuis des siècles, voguant au gré des tempêtes.

Elle détestait les soirées depuis toujours, quand la nuit tombait quelque chose mourait en elle, une blessure dans la poitrine s’ouvrait à mesure que le monde disparaissait et que l’obscurité avalait les choses autour d’elle. Dès que soufflait le vent du soir, qui pouvait durer des semaines, le désarroi lui serrait le cœur.

– Rien ne peut être pire qu’ici, la solitude écrase les sentiments.
– Ici, tout est plus simple, essentiel, les sentiments, c’est ce qu’on voit. Là où les gens vivent entassés, les meilleurs et les pires sentiments poussent comme les broussailles, ils se mélangent, se confondent

Tout ce qui bougeait dans ces parages obéissait à un rythme déterminé, une force tellurique impossible à contrôler. Les animaux de la steppe, les oiseaux et la police suivaient leurs propres voies migratoires, comme les péons, les Gitans, les voyageurs de commerce. Certaines routes cessaient mystérieusement d’être fréquentées, du jour au lendemain, les flux humains et animaux changeaient de direction, s’orientaient vers d’autres latitudes. C’était facile à constater, mais impossible à prévoir : quand ces mutations survenaient, c’était un fait accompli, point final. Les vents étaient affolants, celui du nord, chargé de terre et de poussière chaude, bousculait le pampero glacial, qui défendait son territoire en générant des champs de basse pression qui altéraient l’humeur de quiconque se déplaçait dans la plaine. Puis arrivaient de la haute mer les ouragans et leur rage océanique, tournoyant sur eux-mêmes, en formant des tornades d’eau qui s’abattaient de tout leur poids sur la terre desséchée.

Image : Photo perso  des Salinas

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