Pufahl, Shannon « Et nous nous enfuirons sur des chevaux ardents » (2022)

Pufahl, Shannon « Et nous nous enfuirons sur des chevaux ardents » (2022)

Autrice : Originaire du Kansas, Shannon Pufahl enseigne la littérature à l’université de Stanford (Californie), où elle a fait ses études. Pendant de nombreuses années, elle a travaillé comme auteure de musique indépendante et barman. Elle vit à Monterey, en Californie, avec sa femme et leurs chiens
Plusieurs de ses textes ont été publiées dans des revues et magazines prestigieux comme The Paris Review. Et nous nous enfuirons sur des chevaux ardents est son premier roman. Il est en cours d’adaptation pour le cinéma.

Albin-Michel – 02.05.2022 – 416 pages – Traducteur : Emmanuelle Vial

Résumé :
San Diego, 1956. Muriel a quitté son Kansas natal pour la Californie avec l’homme qu’elle vient d’épouser et qu’elle connaît à peine. À l’étroit dans sa vie de jeune mariée, elle trouve au champ de courses une échappatoire qui lui procure un frisson de liberté.
Renvoyé de l’armée pour son homosexualité, Julius, son beau-frère, est chargé de repérer les tricheurs dans un casino de Las Vegas, jusqu’au jour où il tombe amoureux de l’un d’eux. Pour lui, il n’hésitera pas à tout quitter et à risquer sa vie.
Entre roman noir et chronique de l’Amérique des années 1950, ce premier roman poignant aborde la place du désir et la quête de soi à travers le destin de deux êtres qui refusent de se conformer aux diktats de leur temps.

Critiques:
« Shannon Pufahl esquisse la frontière entre le sexe et la morale, de Tijuana à Las Vegas, au milieu des marins en goguette, des hôtels miteux, du bruit et de la poussière des champs de course. Lisez ce livre tout simplement parce que personne n’écrit comme elle : sa voix est puissante, impressionnante et pure. »  Justin Torres, auteur de Vie animale
« Entre désir et retenue, ce roman touche à l’universel en nous rappelant le nécessaire risque d’aimer. » The Times
« Shannon Pufahl fait ce que font tous les grands stylistes : elle s’empare des expériences du monde dans sa globalité pour en faire chanter toutes les singularités. » The Boston Globe
« Une grâce et une force que l’on ne trouve que rarement, même chez les écrivains les plus chevronnés. » The Los Angeles Times

Mon avis :
Bienvenue en Amérique, et plus particulièrement dans l’Ouest Américain des années 1950.
La couverture dit tout : la fuite d’êtres épris de liberté, dans un espace désertique de solitude…
Ce roman est un roman sur l’émancipation, la liberté des femmes, le besoin d’indépendance et sur le jeu. Un roman qui nous parle de la société américaine des années 50, des problèmes liés à l’homosexualité et aux droits civiques. A cette époque il est difficile d’être homosexuel, mais il est aussi difficile d’être une femme. Ce roman c’est aussi la lutte entre ce qui est bien et ce qui est mal, la quête de soi, la poursuite de l’amour, la dépendance au jeu et aux autres.
Le roman tourne autour de trois personnages ; le mari Lee, la femme Muriel et le beau-frère Julius) mais en fait il y en a principalement deux : Muriel et son beau-frère Julius. Les deux sont addicts au jeu, une échappatoire à leur sensation d’enfermement dans une société où ils ne sont pas à leur place. Pour Muriel ce sont les courses de chevaux, un milieu essentiellement masculin, et pour Julius les jeux d’argent. Et qui dit jeu d’argent dit Las Vegas, un des sites où se déroule l’action.
La Californie, le Nevada, Le Mexique… incarnations de la liberté quand on vient du Comté de Marshall dans le Kansas.
Lee a pris son jeune frère sous sa protection très jeune. Il s’était rendu compte qu’avant ses 17 ans il avait dejà des dettes de jeu à rembourser et pour cette raison il va l’enrôler dans l’armée en même temps qu’il s’engage lui-même pour la Corée ; il se sent responsable de lui.
Muriel, quant à elle, a eu une mère féministe avant la lettre, la première à posséder une voiture dans son comté, qui refusait d’aller à la messe si elle ne pouvait pas le faire en pantalons, quitte à faire un long déplacement pour y assister, car elle était catholique, la première à obtenir un diplôme universitaire, la première à divorcer… Elle a donc été à bonne école dans le domaine de l’émancipation … mais de la solitude aussi…
Julius lui, est homosexuel, tiraillé entre l’amour et la loyauté, mais cela ne l’empêche pas de mal se comporter avec les êtres qui lui sont proches ou moins proches, en abusant de leur confiance. Il se cherche et tout comme Muriel, ne se sent pas à sa place dans la société. Toujours à la poursuite de quelque chose, de la vie rêvée mais surtout d’eux-mêmes… Mais la distance entre rêve et réalité est immense.
Les liens entre Muriel et Julius sont nettement plus forts qu’entre Muriel et Lee ou Lee et Julius. Les deux se retrouvent l’un en l’autre, ils se ressemblent et sont liés par un amour fusionnel même s’il est non charnel ils ont besoin l’un de l’autre en fait.
Et toujours des relations ambiguës entre les personnages, des vies doubles, avec la partie cachée qui révèle le vrai moi des personnages et la face visible qui n’est que la façade que montrent des êtres inadaptés. Des êtres qui ont besoin de se mettre en danger pour avoir l’impression de vivre, pour qui l’adrénaline est plus forte que tout, qui sont en même temps tiraillés entre le besoin de liberté et la peur de la solitude, des personnes qui sont à la poursuite de l’amour mais qui ne savent pas ce qu’elles recherchent. La fusion de l’amour et du hasard…
Après une première partie où j’ai vraiment accroché je me suis petit à petit éloignée de l’histoire, après le départ de Julius de Las Vegas direction Tijuana. Tout est devenu trop glauque pour moi et j’ai décroché. Alors qu’au début le personnage de Muriel m’a embarqué dans son sillage, que j’ai plongé avec elle dans l’aventure californienne, dans le monde opaque des courses de chevaux, du turf et des magouilles, par la suite elle m’a perdue en cours de route …

Un roman sociétal fort, puissant et engagé. Des descriptions à vous couper le souffle, des atmosphères très bien rendues. Une écriture et des descriptions époustouflantes, qui vont voyager dans le temps et l’espace, avec une superbe reconstitution des années 50.

Un grand merci aux Editions Albin-Michel et sa merveilleuse collection « Terres d’Amérique » pour la découverte de cette nouvelle plume.

Extraits:

Le fait qu’elle soit jeune et qu’elle ressemble aux prairies désolées dont elle est originaire, plates et amples et tristes, n’arrange rien à l’affaire.

Il leur raconta la Corée, les paysages qu’il avait vus brûler là-bas, comme des tableaux superposés, de sorte que les montagnes brûlaient à travers d’autres montagnes et que les rivières se fondaient en vagues océaniques, s’élevant dans les airs comme une chevelure, et il affirma que c’était sûrement ainsi que le monde avait commencé.

Le nuage de la bombe est encore visible, telle une pâte grise à la surface de la lune basse, désormais aplati et étiré sur cent cinquante kilomètres.

Il y a toujours une part de vérité dans le bluff

Elle avait aimé posséder un secret mais elle n’aimait pas mentir. Le mensonge l’avait effacée du monde.

C’est simple. On ne veut pas connaître les secrets des autres, pas vrai ? Quand on a des secrets, ça veut dire qu’on est soit très gentil, soit très méchant, et ni l’un ni l’autre ne me semblent vraiment prometteurs.

Sous l’ondée elle paraît brune et jeune. La pluie fait toujours retomber les gens en enfance.

Soudain on se soucie de choses auxquelles on n’avait jamais pensé et dont on ne se souciera jamais plus, juste parce qu’il y a des chances que ça se produise.

Aucun d’eux ne regarde dans sa direction mais il découvre sur leurs visages une merveilleuse frayeur. Il se dit que cette peur intense est le premier constituant du désir. Que la terreur, comme la nostalgie, est une porte qu’on ouvre – notre passion demeurera quel que soit le verdict, désastre ou plaisir, et rien ne l’empêchera jamais de ressurgir, intacte, irrépressible. C’est là que réside tout le charme de l’amour et du hasard : ils déjouent toute velléité de rédemption.

3 Replies to “Pufahl, Shannon « Et nous nous enfuirons sur des chevaux ardents » (2022)”

    1. Quand je m’arrive pas à m’attacher aux personnages, je ne suis jamais convaincue à 100%…
      Mais l’écriture est très belle, les thèmes abordés intéressants. C’est juste qu’en deuxième partie cela devient trop glauque et dérangeant pour moi …

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