Gallay, Claudie « Les Jardins de Torcello » (RLE2024) 416 pages
Auteur : Née en 1961, Claudie Gallay vit dans le Vaucluse. Elle a publié aux éditions du Rouergue L’Office des vivants (2000), Mon amour, ma vie (2002), Les Années cerises (2004), Seule Venise (2005, prix Folies d’encre et prix du Salon d’Ambronay), Dans l’or du temps (2006) et Les Déferlantes (2008, Grand Prix des lectrices de Elle). Aux éditions Actes Sud : L’amour est une île (2010), Une part de ciel (2013), Détails d’Opalka (2014), La Beauté des jours (2017), Avant l’été (2021), Victor (2022), Les Jardins de Torcello (2024)
Actes-Sud – 15.08.2024 – 416 pages
Résumé:
Jess semble avoir un destin tout tracé. Sa mère voudrait qu’elle suive ses pas et reprenne l’hôtel familial dans le village qui l’a vue naître. Mais Jess veut emprunter des chemins de traverse, se laisser surprendre.
Ce sera à Venise où, logée dans un appartement prêté, vivotant des visites guidées qu’elle propose en ligne, elle se nourrit de beauté, de découvertes, du simple plaisir d’être là, déchiffrant les secrets de la ville. Mais l’appartement est bientôt mis en vente, il faut déménager, chercher d’autres ressources. C’est alors qu’elle trouve un travail d’appoint auprès de Maxence Darsène. Fameux avocat pénaliste, vivant en couple avec l’exubérant Colin, il occupe une propriété au charme suranné, sur l’île de Torcello, où, entre deux affaires criminelles et aidé par un gardien au passé ténébreux, il poursuit un projet magnifique : redessiner, reconstituer, sauver les jardins qui bordent sa maison, depuis toujours livrés aux ravages de la montée des eaux…
Baigné de lumière et de sentiments effleurés, d’espoirs indicibles, de révoltes minuscules et d’émerveillements soudains, le roman de Claudie Gallay nous tient captifs des miroitements de la lagune, et de cette première Venise où la mémoire, la mélancolie et la ténacité insulaires se déploient, pour une jeune femme pleine d’attentes, telle une vie à s’inventer sous un vaste ciel de liberté.
Mon avis:
Vous connaissez ces livres qui vous murmurent « coup de cœur » dès les premières pages?
Au coeur du roman, la montée des eaux, inexorable… Et Venise, Venise et ses îles.
Jess va nous servir de guide, jusqu’à la dernière île de la lagune, Torcello, qui est de fait la première île habitée alors que Venise n’était que marécage… Elle est amoureuse de la Venise authentique, de celle des amoureux de Venise et propose la découverte de la Venise secrète qui ne se dévoile pas au tourisme de masse. Et elle nous raconte la Venise ancienne, l’histoire de ses palais, les légendes, comme par exemple les secrets de la Ca’Dario….
Elle nous parle aussi d’art, d’artistes vénitiens et d’autres, de la Biennale, de la peintre Rosa Bonheur, Banksy, Rayman, Canaletto.. et d’auteurs comme Hemingway.
Jess habite provisoirement dans un superbe appartement qui est malheureusement mis en vente et elle doit se trouver un nouvel endroit pour habiter et continuer à faire visiter la ville et ses environs. Le propriétaire de l’appartement la met en contact avec une de ses relations, Maxence, un avocat qui vit sur l’ile de Torcello (13 habitants au total) avec son compagnon Colin et des personnes qui ont toujours habité Torcello. Le rêve de Maxence est de recréer à l’identique les jardins du passé.
Jess est fragilisée par la perte d’un être très cher – un ami – avant son arrivée à Venise. Elle fait partie des solitudes qui hantent ce roman, nostalgique, mélancolique, plein de tendresse, de sensiblilité et d’espoir.
Dans ce roman les protagonistes changent de prénom… Jess est née Louise et c’est elle qui a décidé de se faire appeler Jess. Maxence lui a été débaptisé par sa mère qui pensait que son prénom épicène avait pu avoir un effet sur sa sexualité…
Cette promenade est une déambulation dans la Venise des brumes, des petits matins et des nuits, de la pénombre, de l’automne et de l’hiver, celle qui transmet le charme et la langueur, qui nous enveloppe de mystère et de rêverie, qui se dévoile à ceux qui prennent le temps.
Une merveille tout en nuances, que ce soit au niveau des sentiments que des couleurs…
Extraits🙁beaucoup mais j’ai tellement aimé… )
Venise, la nuit, c’est inoubliable. Si on veut comprendre une ville, il faut la connaître la nuit. Ou le matin.
On vit avec des gens, on les aime, on les croise, on s’amuse avec eux, et un jour ils ne sont plus là. On vous les arrache.
Pour expliquer Venise, lors de ses visites, elle dit toujours quelques mots de Torcello. Parce qu’elle est l’île des débuts. On comptait dix églises et plusieurs monastères. De l’île vivante qu’elle avait été au XIIe siècle, il reste très peu. Torcello s’est envasée. Les habitants l’ont abandonnée pour aller là où la vie était possible, à Murano, à Burano, sur l’île de rivus altus qui deviendra le Rialto.
L’eau n’emporte pas seulement de la terre et des plantes, elle emporte aussi de la mémoire.
Si elle était une fleur, elle serait un coquelicot. Personne ne cueille les coquelicots, on ne peut pas en faire des bouquets car ils se fanent très vite, dès qu’on les coupe, ils sont fragiles et leur fragilité est leur force.
Tu sais ce que faisaient les Vénitiennes pour avoir un beau regard ? Elles mélangeaient une goutte de sève de belladone à leur boisson, le breuvage dilatait leurs pupilles et leurs yeux brillaient. Une dose un peu plus forte leur retournait le cerveau.
Si vous acceptez l’inacceptable une seule fois, vous l’accepterez mille autres fois encore, et plus vous l’accepterez et plus il sera difficile de ne pas le faire.
Les épidémies reviennent, les guerres aussi. Tout ce qu’on pensait ne jamais revoir est de nouveau à notre porte.
Il cite un philosophe, Paul Ricœur, “Même si nous voulons que la vérité soit au singulier, l’esprit de la vérité est de respecter la complexité des ordres de vérité ; c’est l’aveu du pluriel”. On admettra ainsi facilement que la notion de vérité n’a pas le même sens selon que l’on parle de vérité scientifique, juridique, philosophique, romanesque.
Certains gestes ne sont pas punis par la loi, mais par la vie, qui continue et entache la mémoire de culpabilité.
À elle seule, une valise ne décide pas d’un départ, encore moins d’un retour, mais elle peut donner l’impulsion. La tentation.
Le tilleul symbolise l’amour et la fidélité, il est aussi l’arbre de la liberté et de l’amitié.
Le rêve serait de pouvoir ressentir ce que ressent le tilleul. Quand le vent souffle dans ses branches, quand la pluie tombe, quand la sève monte, quand les oiseaux l’habitent.
— Le temps passe de plus en plus vite. Il paraît que c’est parce qu’on a davantage de souvenirs, cela donne l’illusion de l’accélération.
Peut-être que les morts font les mêmes rêves que les vivants. Que ces rêves communs sont les signes que l’on espère, des passerelles possibles.
Et dans ce cas, s’il avait eu le même rêve, il devait être heureux, ce matin, dans son paradis.
Elle marche. Venise, la nuit, c’est très particulier. Il n’y a pas de bruit. La ville devient un labyrinthe. Elle croise des insomniaques, des mélancoliques, des désespérés.
— Être employé par quelqu’un ne justifie pas la soumission, ni l’acceptation de tout,
— Une mère, quoi qu’elle vous fasse, vous l’aimez. Même dans la haine, vous l’aimez encore.
— Votre peut-être me laisse une marge d’espérance.
Si on laisse les gens décider pour nous, ils se croient autorisés, et peuvent nous faire mal.
Être l’enfant de quelqu’un ne justifie pas la soumission, ni l’acceptation de tout.
Elle voit la vie comme une balance à deux plateaux. Sur l’un, on met les joies et les beautés, et sur l’autre la douleur et la mort. Le deuxième plateau sera toujours gagnant, mais parfois, en de brefs moments, la joie l’emporte, et ainsi, d’un coup, elle fait pencher son plateau. La victoire est de courte durée, mais d’une intensité incroyable, et c’est pour cette intensité qu’il faut vivre.
Image : L’enfant migrant de Banksy – biennale de Venise 2019
2 Replies to “Gallay, Claudie « Les Jardins de Torcello » (RLE2024) 416 pages”
Merci pour cette recommandation car je ferme le livre avec la nostalgie de perdre Jess avec laquelle j’ai adoré déambuler dans ce vieux Venise authentique, loin des circuits touristiques, avec ses anecdotes méconnues.
Mon avis succinct :
Un livre tout en délicatesse et force sous toile de fond poétique avec sa Venise impériale. Jess est jeune, vit à Venise en s’improvisant guide, pour gagner quelques billets. Ces visites sont loin des circuits touristiques et elle apprend dans les livres, les anecdotes qu’elle retransmet avec sa vision à elle. Elle fait la connaissance de Maxence et Colin un couple d’homosexuels qui vit sur l’île de Torcello. Maxence est un grand avocat qui défend les causes perdues avec un art tout à lui, admiré, respecté. En fin de carrière il a pour projet la réhabilitation des 7 jardins comme jadis ils existaient. Jess donne un coup de main à Maxence pour classer ses dossiers et s’occuper de la maison, elle fera tout sauf passer la serpillière, elle n’est la bonne de personne, son point d’honneur, sa fuite aussi de ne pas avoir voulu suivre les traces de sa mère hôtelière qui insiste à sa manière pour qu’elle revienne. Jess s’insère dans ce paysage en fondu, elle observe, elle s’adapte, une amitié presque sensuelle la lie à Maxence dont le charisme, malgré son âge, la trouble et l’incite à se surpasser. Coup de cœur.
Je ne peux qu’approuver vos commentaires ! Quel beau livre !!!
Et j’espère sincèrement qu’on pourra retrouver Jess et compagnie dans un prochain livre car j’ai vraiment un goût d’inachevé…