Suter, Martin « Montecristo » (2015)
Résumé : Jonas Brand est reporter vidéo à Zurich. Spécialisé dans les émissions people, il rêve un jour de tourner Montecristo, un long métrage de fiction dont on lui a jusqu’alors refusé le financement. Lorsqu’il découvre qu’il est en possession de deux billets de cent francs suisses porteurs du même numéro de série – ce qui est a priori techniquement impossible -, il décide de mener l’enquête. Sans le savoir, il se trouve mêlé à une affaire dont il ne mesure pas l’ampleur.
« Le nouveau roman de Martin Suter nous introduit dans le monde interlope de la haute finance suisse. […] Montecristo n’est pas seulement le tableau profondément pessimiste d’un milieu. Il traite aussi de questions devenues quotidiennes de la vie politico-économique, en Suisse et ailleurs. L’importance vitale des banques pour le système, par exemple, invoquée par les conjurés pour justifier leur campagne de maquillage des comptes. » Sebastian Baltzer, Frankfurter Allgemeine Zeitung « Haletant thriller financier, […] Montecristo marque le grand retour de Martin Suter au roman d’investigation métaphysico-policière. […] La fiction devient entre les mains expertes de Suter une arme de destruction massive. » Olivier Mony
Mon avis : Bien contente de retrouver un Suter plus consistant que les petits polars de Von Allmen ! Un polar pur jus ! Un journaliste de presse people qui rêve de devenir réalisateur de films tourne quelques images lors d’un « incident de personnes » dans un train. Dans le même temps il se retrouve avec ceux billets de cent francs avec le même numéro de série. Est-ce possible ? Dès les premières lignes, on est plongés dans le feu de l’action. Le roman repose sur des coïncidences, sur le hasard. Une sombre histoire de faux billets ( ?) ; une écriture très précise, très minutieuse, beaucoup de détails, une histoire bien structurée et fort documentée. C’est une écriture cinématographique avec des scènes bien cadrées, même si, comme dans un film, il y a des flash-back. Les décors sont bien plantés et très révélateurs des personnages ; ils sont le reflet de leur caractère; les personnages se précisent au fur et à mesure que l’histoire progresse. Appartements et habillement indiquent comment les personnages souhaitent qu’on les perçoive. Et ce qui intéressant est que place est laissée à différents points de vue de différents protagonistes sur le déroulement des faits ; mais on a en permanence le « narrateur » qui lui sait de quoi il retourne. Le monde décrit par le roman n’est pas une petite Suisse idyllique ! Et l’auteur nous présente aussi les différentes facettes du journalisme ; il y a le journalisme d’investigation, et la presse people ; il y a le journaliste qui fait des concessions et celui qui résiste envers vents et marées. Il a le mérite de décrire les faits sans les juger. Martin Suter se permet de critiquer la Suisse, mais comme il est suisse, on lui accorde le droit de le faire ; de plus il est bien placé pour poser son regard sur le pays, lui qui a vécu de longues années à l’étranger.
Comme dans ses autres romans, il privilégie le vrai. Il fait attention aux détails, aux descriptions, afin de rendre ses écrits crédibles. Pour exemple la vérification en 18 points de la véracité des billets suisses. Il s’est également documenté sur les visites de prisonniers en Thaïlande, les hôtels, le cadre ou se déroule son roman.
En refermant ce thriller passionnant, je dois quand même dire que je suis effarée par les dessous de la place financière suisse/mondiale… Pas joli joli… cela fait réfléchir et c’est assez inquiétant. Je conseille vivement de le lire. L’écriture est fluide, le scénario suspense jusqu’au bout, les personnages crédibles…
Extraits :
C’est qu’une vie aussi bonne que celle des Suisses était difficilement supportable.
C’est comme ça, dans le cinéma : tout le monde veut de l’expérience, et personne ne vous laisse l’acquérir.
— Je suppose que tu n’invites pas tes rendez-vous à boire un dernier verre dès le premier soir.
— Si, répondit-elle. Mais pas ceux que je veux revoir.
Naogopa simba na meno yake siogopi mtu kwa maneno yake. C’était du swahili et cela signifiait : « J’ai peur d’un lion avec ses dents puissantes, mais pas d’un homme avec ses mots. »
Il était très rare qu’il parle de lui. Et quand il le faisait, cela lui laissait toujours une sensation désagréable, comme après une soirée trop chargée en alcool et en souvenirs imprécis.
Il s’assit sur son canapé blanc et attendit. Son appartement était à l’opposé du sien. Pas de bibelots, des murs nus. L’unique décoration était une bibliothèque comportant quatre étagères de livres rangés par ordre de grandeur.
Pour tout dire, les lieux ressemblaient à ce qu’aurait été son domicile s’il n’avait pas décidé de remplir son grand logement avec autre chose que sa seule présence. Il s’était peut-être aussi agi d’une simple réaction à son ex, qui lui avait reproché d’être un minimaliste.
Il lui était bien arrivé de préparer le dîner avec l’une de ses liaisons, mais il n’avait pas tardé à se rendre compte que cuisiner ensemble supposait plus de familiarité que coucher ensemble.
— Est-ce qu’il y a une question que je ne dois pas poser ?
Elle réfléchit un instant.
— Vous pouvez poser toutes les questions. À moi de voir si j’y réponds.
Les autorités policières de différents cantons avaient-elles le droit d’échanger ce genre d’informations lorsqu’il s’agissait de victimes et non de coupables ?
« Si tout le monde le fait, c’est déjà un petit peu obligatoire. »
À la joie que lui procurait la perspective de ce travail se mêlaient déjà les premiers signes d’angoisse de l’échec. Il avait toujours été à la hauteur du rêve, mais le serait-il aussi de sa réalisation ?
Ma mère dit qu’une vie entière ne suffit pas pour se connaître soi-même.