Colin, Jerome « Les dragons » (RL2023) 168 pages

Auteur : né le 9 novembre 1974 à Flawinne, est un journaliste et romancier belge. Il est journaliste à la RTBF où il anime « Entrez sans frapper » et « Hep Taxi ».
Il est l’auteur de Éviter les péages (Allary Éditions, 2015) et Le Champ de bataille (Allary Éditions, 2018), adapté au théâtre et en cours d’adaptation au cinéma. Pour écrire « Les Dragons », il a fait une immersion de 4 mois dans un centre de soin psychiatrique pour adolescents âgés entre 12 et 18 ans.
Allard – 24.08.2023 – 192 pages / Livre de poche – 21.05.2025 – 168 pages
Résumé:
Jérôme a quinze ans. Il est en colère contre ses parents qui sentent le vieux. Contre le monde qui le rejette. Contre les monstres qui l’empêchent de dormir. Contre lui surtout. Sur décision de justice, il est interné dans un centre de soins pour adolescents. Là, il rencontre les dragons, ces enfants détruits par leur famille, l’école ou l’époque. Parmi eux, il y a Colette. Crâne rasé, bras lacérés, noir sur les yeux. Elle veut mourir. Il veut l’embrasser. L’emmener loin d’ici.
Les Dragons est l’histoire d’un coup de foudre entre adolescents plus normaux qu’il n’y paraît.
Un cri d’amour pour ces enfants que notre société cache, mais qui disent tant de nous.
Mon avis:
C’est un livre que tous les parents et tous les jeunes mal dans leur peau devraient lire. Toutes les personnes en contact avec les jeunes aussi (les enseignants en particulier). L’auteur est allé en immersion dans des centres pour ados afin de rencontrer des adolescents qui ont des problèmes pour trouver leur place dans la société et qui grandissent dans un monde de plus en plus anxiogène.
Histoire d’amour entre deux adolescents. Le personnage principal s’appelle Jerome mais ce n’est pas un récit autobiographique même s’il est en colère contre le monde entier comme l’était l’auteur. Il est placé contre son gré dans une maison pour ados et son idée est de fuir à peine arrivé dans ce centre.
Il va y rencontrer des personnes qui vont le réconcilier avec la vie.
Il faut vivre avec les autres, ne pas rester seul pour vivre. Il faut vivre avec l’espoir de rencontrer l’autre. Il faut s’engouffrer dans la lecture, vivre à l’abri dans les livres. On ne peut pas vivre avec la peur chevillée au corps, recroquevillé sur soi-même, isolé, coupé des autres et du monde, ce monde anxiogène, sans avenir, sans confiance, à avoir toujours peur de ne pas être à la hauteur, de décevoir, de ne pas faire ce qu’il faut comme il faut. Si on a peur de l’avenir, on ne vit pas.
Une des révélations viendra de la « rencontre avec l’écriture de John Steinbeck (« Les raisins de la colère » – «Des souris et des hommes ») . On ne peut pas subsister dans un monde confiné, sans les autres, sans amis, sans personne vers qui se tourner, sans personne à qui parler, en remplaçant les êtres humains par des objets et des machines, en privilégiant le matériel à l’humain. Cela rend le futur triste et inaccessible et sans avenir, sans foi en l’avenir. Sans espoir… il n’y a pas de vie… Et l’auteur nous remémore la scène finale de E.T. Quand l’extraterrestre dit au gamin cette phrase essentielle : « Je serai toujours là. »
Et la vie c’est l’espoir, c’est la voix qui rassure, qui dit « je suis là » …
Ce roman est magnifique, bouleversant, il parle d’amour et d’espoir alors qu’au début on se dit que ces ados envoyés dans des centres sont considérés comme irrécupérables. Au fur et à mesure que l’on découvre pourquoi ils sont là, on se dit qu’il est indispensable de leur tendre la main au lieu de leur enfoncer encore davantage la tête sous l’eau et leur redonner confiance en eux, en l’avenir, en l’autre. Certes l’avenir que nous décrivent les médias et les politiciens est plombant, mais à nous de faire en sorte de tendre la main, de vivre et de ne pas croire qu’il n’y a rien a faire, que la fin du monde est inéluctable, que seul le matériel est important. Il faut croire en demain et en l’amour!
Et comme le dit Steinbeck « La force est d’aimer le faible »
Lisez ce livre, lisez plein de livres, sortez, ayez des amis, ne croyez pas toutes les horreurs qu’on vous fait croire, cherchez la beauté.. et merci à l’auteur pour cette leçon de vie et d’espoir en la vie…
Et merci à mes amies belges (Aurore et N@n) de m’avoir parlé de ce livre.
Extraits:
Les bibliothèques ordonnées sont des cimetières. « Comment tu veux t’y retrouver dans ce foutoir », disait-elle. Elle n’a jamais compris que j’aimais justement m’y perdre. Promener mon regard sur les dos, saisir un roman au hasard, humer ses pages, retrouver une phrase soulignée lors de sa lecture. Chercher un livre. En trouver dix autres.
On s’attache. C’est dans notre programme. On ne peut pas aller contre. Alors que nous savons au fond que pour vivre bien, les hommes et les bêtes, il ne faut pas trop s’en approcher.
Parce qu’un enfant ne devient jamais exactement ce que tu espérais de lui. Ça pousse de travers ces choses-là.
« Penche-toi sur ton passé. Répare ce que tu peux réparer. Et tâche de profiter de ce qui te reste. » (Philip Roth)
Il fallait se fondre dans la masse. N’être personne pour ressembler à tout le monde.
J’avais peur parce qu’on m’avait toujours dit d’avoir peur. Le monde n’allait pas m’attendre. Et moi, je ne savais pas comment il fallait faire pour monter à bord.
J’aurais pu lui dire bien d’autres choses. Mais je voulais garder l’essentiel pour moi. Que j’avais l’impression de n’être personne parce que je n’étais personne. Que le monde tournait bien sans moi et que je ne voyais pas de raison d’y prendre part. Parce que je ne changerais rien à l’affaire. Parce que j’étais inutile et insignifiant. Que j’étais déjà fatigué de vivre. Mais, par chance, terrifié de mourir.
Je ne savais pas faire ça, des phrases. C’est ce qui arrive quand, toute votre vie, on vous a dit de vous taire.
aux enfants, ne pas dire arrête mais explique. Ne pas dire tais-toi mais raconte. Ne pas dire ne fais pas l’intéressant mais fais l’intéressant.
L’écriture, ce n’est pas un concours de beauté. C’est avant tout un moyen de s’examiner et de dire aux autres : voyez ce qui m’émeut et me bouleverse. C’est rencontrer l’autre et lui dire : tu n’es pas seul.
Les compliments sont des regards bienveillants. Ils ne chassent pas l’ennemi, mais vous arment pour la bataille.
C’est Steinbeck qui utilisait cette expression dans son livre. « Quand l’incroyable viendrait enfin à advenir. »
Steinbeck a écrit : « La force est d’aimer le faible. » Et quelques pages plus loin : « Ce qui compte, c’est parler. C’est être avec un autre. Voilà tout. »
Le viol est un assassinat. Sauf que le cadavre respire encore.
Je voulais la nuit. Qui, finalement, est venue. Parce que c’est ce qu’elle fait, la nuit, elle arrive toujours après le jour.
Le suicide, c’est se sentir libéré de toutes ses obligations. Y compris celle de vivre. C’est faire disparaître tout ce qui encombre.
lle était là parce qu’elle était incapable d’appartenir au monde. Qu’elle ne comprenait pas ce qu’elle allait pouvoir faire de cette vie qu’on lui avait donnée, où chaque jour paraissait une éternité. On ne peut pas jouer à vivre quand on pense qu’il faut réparer le fait d’être né.
C’était donc ça, la tendresse. Un mouvement délicat qui remplace tous les mots.
« Un peuple de moutons finit par engendrer un gouvernement de loups » (Agatha Christie). « Soyez vous-mêmes, les autres sont déjà pris » (Oscar Wilde).
Je n’ai rien rangé. Ni les feuilles ni les livres qui traînaient. Il faut brandir son droit au désordre. La vraie vie ne se présente pas en allées parallèles. Au contraire, elle n’est que pagaille et enchevêtrement. Il est vain de vouloir tout ordonner.
Image : E.T: