Muñoz Molina, Antonio  « Tes pas dans l’escalier » (2023) 288 pages

Muñoz Molina, Antonio  « Tes pas dans l’escalier » (2023) 288 pages

Auteur : Antonio Muñoz Molina est un écrivain espagnol né le 10 janvier 1956 à Úbeda, dans la province de Jaén.
Licencié en histoire de l’art à l’université de Grenade, il a publié plusieurs romans couronnés de nombreux prix littéraires Il écrit régulièrement dans le journal El País. En 1996, il a été élu à la Real Academia de Letras. En 1998, son roman Pleine Lune a obtenu le prix Femina étranger. Membre depuis 1995 de la Real Academia Española fondée en 1713. Il réside à Madrid et à New York, où il a dirigé l’Institut Cervantes jusqu’en 2006. Il a reçu le prix Prince des Asturies en 2013.
En 1996, il a été élu à la Real Academia de Letras. En 1998, son roman « Pleine Lune » a obtenu le prix Femina étranger.

Ses romans : Beatus Ille (1986) – L’Hiver à Lisbonne  (1987) – Beltenebros (1989) – Le Royaume des voix (El jinete polaco) (1991) – Les Mystères de Madrid (1992) – Le Sceau du secret (1994) – Une ardeur guerrière : mémoires militaires – Pleine Lune (1997) – Carlota Fainberg (1999) – En l’absence de Blanca (2001) – Séfarade (2001) – Le Vent de Lune (2006) – Dans la grande nuit des temps (2009) – Comme l’ombre qui s’en va (2014) – Un promeneur solitaire dans la foule (2018) – Tes pas dans l’escalier (2019) – Je ne te verrai pas mourir (2025)

Seuil – Cadre vert – 06.10.2023 – 250 pages / Point Poche – 22.08.2025 – 288 pages (Tus pasos en la escalera – 2019 – traduit par Isabelle Gugnon ) 

Résumé

A Lisbonne, un homme attend la femme qu’il aime, restée à New York. Il profite de la douceur du climat et de la tranquillité du quartier, tout en arrangeant l’appartement qu’ils ont acheté : penser au moindre détail, imaginer les rituels qui rythmeront leur nouvelle vie. Pourtant, un sentiment diffus l’accompagne, une …

A Lisbonne, un homme attend la femme qu’il aime, restée à New York. Il profite de la douceur du climat et de la tranquillité du quartier, tout en arrangeant l’appartement qu’ils ont acheté : penser au moindre détail, imaginer les rituels qui rythmeront leur nouvelle vie. Pourtant, un sentiment diffus l’accompagne, une forme de confusion qu’il ne parvient pas à éclaircir. Est-ce la similarité entre les deux villes, les deux appartements ? La présence d’une menace sourde impossible à identifier ? Admirable styliste, Antonio Munoz Molina entraîne le lecteur à travers les méandres de la mémoire, de la raison et de la peur.

Mon avis:
Un livre magnifique, poignant, délicat et oppressant à la fois qui traite le thème de l’attente, de la mémoire. Plus les pages se tournent et plus le malaise grandit. On s’enlise dans une atmosphère lourde et poisseuse en compagnie d’une homme qui s’angoisse de plus en plus, obsédé par des informations sur le déclin de son monde, le dérèglement climatique, l’avancée du racisme, la dictature qui gagne du terrain sur la démocratie.

Avec lui on attend sans attendre vraiment et avec lui on commence à s’associer à la perte de mémoire, à la réalité qui se dissocie de plus en plus de sa réalité, à la perte de la notion du temps… La vraie présence dans ce roman est une présence fantôme, de l’être aimé qu’il attend et qui n’arrive jamais… Cecilia dit, Cecilia pense, Cecilia fait…mais Cecilia est fantôme même s’il parle d’elle au présent.. C’est la présence d’une absente…Avec la chienne et le silence comme fond sonore… Une solitude pesante… La peur est un des éléments importants de la vie du personnage…
Suspense, perte de la notion du temps, nostalgie, solitude … C’est du grand Muñoz-Molina qui se sert de la lenteur du temps qui ne passe pas pour déstabiliser.

New-York et Lisbonne finissent par se superposer dans la vision du personnage et avec lui on attend. Mais lui attend toujours et moi j’attends de moins en moins…
Cecilia est un peu le lieutenant Dorgo du désert des Tartares de Dino Buzzati… Viendra, viendra pas ?  C’est un roman sur l’attente existentielle : le personnage est figé dans l’attente, se recroqueville de plus en plus sur lui-même, mais en même temps sans cette attente, il n’est plus rien…

Extraits: 

La peur ne dort jamais, ajoute-t-elle. Nous descendons d’organismes primitifs et d’animaux auxquels ce que nous appelons la peur a permis de survivre.

La lecture est compatible avec l’attente. Lire est un acte paresseux sans monotonie. Ce n’est qu’en cessant de travailler que j’ai découvert avec étonnement le vaste royaume de liberté que me garantissaient les matinées de la semaine.

La lecture trompe, écourte le temps de l’attente, un élément à prendre en considération dans cette ville où tout peut se dérouler à un rythme très lent. Quand je lis, le temps est suspendu. Je passe d’un livre à l’autre sans ordre précis. 

Elle-même dit que les mécanismes viscéraux de la peur sont bien plus puissants que ceux de la raison.

Cela m’arrive parce que je suis retraité. Je réfléchis à ce terme sans même le prononcer et j’en ai des frissons. Être retraité, c’est être vieux. Il est vrai que, dans mon cas, on peut parler d’une retraite anticipée. Mais le mot est assassin. « Retiré », « retired », serait plus digne ou, mieux, « reformado », comme on le dit en portugais. Être reformado est moins ignominieux qu’être retraité.

Je prends un livre sur l’étagère, non pour le lire entièrement mais pour le toucher ou m’arrêter sur une page au hasard, afin de voir si la date de son achat ou une dédicace y figure, désireux d’y trouver des traces matérielles de notre vie d’alors, deux places de concert ou deux billets de cinéma, la note d’un restaurant où nous aurions déjeuné, chaque petit papier ayant une précision testimoniale oubliée : la preuve imprimée que  (…)

Même quand nous parlions, le silence ne se dissipait pas. Nos voix résonnaient étrangement car le silence qu’elles ne parvenaient pas à briser les avait neutralisées. Nous échangions des propos banals et ne reconnaissions ni notre propre voix ni celle qui nous répondait. Elles étaient comme éteintes, pleines d’une monotonie sans éclat. 

Le silence était une offense que chacun infligeait à l’autre, en même temps qu’un remords et une punition.

Le passé sert de dépôt d’expériences permettant de tirer de précieuses leçons sur les faits à venir, les dangers qui pourraient nous guetter, les lieux où nous ne devrions pas retourner, les aliments nocifs qu’il conviendrait d’identifier avant de les retrouver dans notre assiette. La mémoire excelle à établir des séquences et des continuités prévisibles, des patrons significatifs. 

le changement climatique précipitera la fin des démocraties européennes. Il parle de l’avenir avec autant d’aplomb que pour exposer le passé historique qu’il connaît si bien. Il dit que depuis des années le changement climatique provoque une sécheresse irréversible dans les pays de l’Afrique subsaharienne : le désert s’étend, rendant impossibles l’agriculture et l’élevage, contraignant les populations jeunes à émigrer.

Les Européens voteront chaque fois davantage pour des partis politiques racistes, préférant la démagogie de la sécurité et la défense des frontières au mirage discrédité de la démocratie »,

Elle dit que lorsqu’on se rappelle ou qu’on imagine quelque chose, on active les mêmes circuits neuronaux que si on le voyait ou le revivait en rêve.

Une idée impérieuse m’a réveillé, une clarté décisive qui s’est effacée en même temps que le rêve en me laissant pourtant la trace d’une intuition.

« Tu es enfermé dans ton monde et, sans me consulter, tu te persuades que je veux m’y enfermer moi aussi. »

 

 

3 Replies to “Muñoz Molina, Antonio  « Tes pas dans l’escalier » (2023) 288 pages”

    1. Alors moi je comprends.
      Si tu dis « retraité » on a presque l’impression qu’on te recycle, qu’on te donne une nouvelle forme …
      Alors que retiré ou réformé on te change de statut, certes, mais pas d’apparence…

  1. Retraité, c’est être libéré d’un travail qui devient pesant et surtout de moins en moins passionnant, en raison des chicaneries administratives qui consistent à faire remplir des documents autrefois dévolus aux fonctionnaires.
    Oui, j’ai vécu la retraite comme une libération d’un job moins plaisant qu’à mes débuts, où on n’est plus un atout mais une pièce d’un rouage. Bientôt 4 ans de liberté. Et je ne m’ennuie jamais.

    Je ne vois pas en quoi le terme « retraité » serait infâmant.

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