Kourkov, Andrei « Le pingouin » (2000) 272 pages
Auteur: de nationalité Ukrainienne , né à Boudougochtch, Leningrad , le 23/04/1961.
Il a déménage en Ukraine, à Kiev, dès sa plus tendre enfance et y a terminé ses études à l’institut d’État de pédagogie des langues étrangères en 1983.
Enrôlé en tant que gardien de prison à Odessa durant son service militaire, il en profite pour écrire des contes pour enfants.
C’est en 1991 que son premier roman paraît à Kiev, deux semaines avant la chute du communisme.
En 1993, « Le monde de Bickford » est nominé à Moscou pour le Booker Prize russe et l’année suivante « La chanson préférée d’un cosmopolite » gagne le prix de la compétition Heinrich Böll.
C’est son roman « Le pingouin », paru en France en 2000, qui lui apporte le succès, confirmé par ces romans suivants . Depuis 1996, il vit en partie à Londres.
Romans: Le Pingouin, 2000 – Le Caméléon, 2001 – L’Ami du défunt, 2002 – Les pingouins n’ont jamais froid, 2004 – Le Dernier Amour du président, 2005 – Laitier de nuit, 2010 – Surprises de Noël, « Piccolo » no 75, 2010 – Le Jardinier d’Otchakov, 2012
Liana Levi – 15.03.2000 – 274 pages /Liana Levi – Piccolo – 09.03.2022 – 272 pages (traduit du russe par Nathalie Amargier – Titre original : Smert postoronnevo 1996 )
Résumé:
Pour tromper sa solitude, Victor Zolotarev a adopté un pingouin au zoo de Kiev en faillite. L’écrivain au chômage tente d’assurer leur subsistance tandis que l’animal déraciné traîne sa dépression entre la baignoire et le frigidaire vide. Alors, quand le rédacteur en chef d’un grand quotidien propose a` Victor de travailler pour la rubrique nécrologie, celui-ci saute sur l’occasion. Un boulot tranquille et lucratif.
Sauf qu’il s’agit de rédiger des notices sur des personnalités… encore en vie. Et qu’un beau jour, ces personnes se mettent à disparaître pour de bon. Une plongée dans le monde impitoyable et absurde de l’ex-URSS. Un roman culte.
Mon avis:
Un livre extrêmement inattendu et original. Absurde et loufoque, certes mais pas que ! Et on mettra surtout en avant une sorte d’humour très caustique et bien à part. Derrière cette histoire de pingouin la manipulation est au rendez-vous. … Un auteur qui n’arrive pas à écrire et se retrouve embauché par la rédaction d’un journal pour écrire les nécrologies de personnes non disparues et publie sous le nom d’un groupe inexistant « Groupe de Camarades ». Les « petites croix » comme on les appelle seront ainsi disponibles au moment du décès et il n’y a plus qu’à publier immédiatement. Tout est prêt et disponible. Et je dirais même programmé… Et en plus de son salaire de journaliste nécrophile, l’argent va arriver par des biais totalement inattendus…
Dans sa vie privée, l’homme vit seul avec un pingouin qui mange du poisson surgelé et prend des bains dans sa baignoire… Mais bientôt il va se trouver en charge d’une fillette Sonia, (Son père la laisse sous sa protection) puis viendra se greffer une jeune fille, Nina, qui devient la nounou de la fillette … mais pas que… Sans oublier un personnage en fin de vie, Pidpaly, le spécialiste des pingouins…
J’ai beaucoup apprécié les personnages : les gentils, les méchants, les qui traversent l’histoire sans savoir où ils vont et ce qu’ils font là… Et quand ils sont méchants et manipulateurs, c’est pas pour de faux ! Victor est l’anti-héros pas excellence. Il est dépressif tout comme son colocataire, le pingouin Micha.
Mais sous cette histoire… il y a la politique … Dans une Ukraine qui fait encore partie de l’ex-URSS, les rouages de la politique et de la société … la corruption, les journalistes inquiétés…
Et la fin est juste grandiose…
Extraits:
[…] les détails biographiques, qui, telle une pincée d’épices indiennes, transformaient la sèche constatation d’un triste fait en régal de gourmet.
L’automne est la saison idéale pour les nécrologies. C’est le temps du déclin, de l’affliction, du repli sur le passé. L’hiver, lui, correspond bien à la vie. Il est joyeux en soi, avec son froid vivifiant, sa neige qui scintille au soleil.
Il avait longtemps rêvé de devenir romancier, mais n’avait même pas été capable d’écrire une nouvelle. Il avait bien quelques manuscrits inachevés dans ses tiroirs, mais leur destin était d’y rester. Il n’avait pas de chance avec les muses. Pour une raison inconnue, elles ne voulaient pas rester assez longtemps dans son deux-pièces pour lui permettre de mener au moins une nouvelle à son terme. Telle était l’origine de ses échecs. Avec lui, les muses étaient incroyablement volages.
Souvent, la vie oblige à tuer, mais la mort d’un proche oblige à continuer à vivre, à vivre malgré out… Tout est lié. Tout en ce bas monde est uni par un réseau de vaisseaux sanguins. La vie est un tout, et c’est pourquoi la mort d’une petite partie de ce tout laisse de la vie après elle, car la quantité des éléments vivants d’un tout est toujours supérieure à celle des éléments morts…
Moins on en sait, plus on vit vieux!
Il songea que c’était une drôle d’époque pour un enfant, un drôle de pays, une drôle d’existence, qu’on n’avait pas même envie de chercher à comprendre ; juste survivre, pas plus…
Tout ce qui vit sur Terre a sa propre voix. La voix est le symbole de la vie, un signe de joie ou de tristesse. Elle peut enfler, se briser, s’éteindre, devenir un murmure à peine audible. Dans le chœur de notre existence, il est difficile de distinguer la voix de chacun, mais lorsque l’une se tait, on a l’impression que c’est la fin de tout bruit, de toute vie. La voix qu’il ne nous sera désormais plus donné d’entendre était aimée du plus grand nombre… Elle s’est tue de manière subite et prématurée. Le monde a été envahi de silence, mais pas de celui que recherchent les amateurs de calme. Ce silence soudain, comme un trou noir dans l’univers, ne fait que souligner l’aspect éphémère de tout bruit et l’infinité des pertes passées et à venir…
En janvier, l’hiver fut paresseux. Il se contenta de vivre sur ses réserves de neige de l’année précédente, qui recouvraient toujours le sol grâce à des gelées persistantes.
Le passé avait foi dans les dates, et la vie de chacun était composée de dates qui lui conféraient un rythme, la sensation de progresser, comme si, de la hauteur d’un nouveau repère, on avait pu se retourner, et, regardant en bas, apercevoir le passé, un passé clair, simple, divisé en événements carrés et en routes droites.
L’existence est une route, et si on prend la tangente, elle est plus longue. Et là, le processus compte plus que le résultat, puisque l’aboutissement est toujours le même : la mort.
Ainsi, il avait pris la tangente, évitant les portes fermées qu’il effleurait à tâtons, non sans y laisser des empreintes, qui restaient aussi, dans sa mémoire, dans ce passé qui ne le tourmentait plus.
One Reply to “Kourkov, Andrei « Le pingouin » (2000) 272 pages”
Entièremenr de ton avis . C’est un roman très original, plein d’humour et de tendresse . Un petit bijou de drôlerie mais aussi de mélancolie, l’auteur nous entraîne avec Victor , son personnage principal, dans un monde incompréhensible pour lui, tantôt absurde , tantôt méchamment réaliste ! Un monde sans issue ou alors il faut boire « pour que ça ne soit pas pire ; mieux, ça a déjà été »! Et mine de rien, l’auteur , qui semblait écrire une espèce de fable dénonce cette société de l’ex Russie , sans règles, entre corruption et mafia . . Il y a plein de personnages attachants et des méchants très méchants. Et une fin géniale !
Il faut lire la suite « Les pingouins n’ont jamais froid » qui est super aussi . Et surtout « Les abeilles grises » qui est magnifique . Andréï Khourkov est un de mes écrivains préférés ., j’ai lu 10 de ses romans et tous aimés .