Barbéris, Dominique « La vie en marge » (2014)

Barbéris, Dominique « La vie en marge » (2014)

Résumé de l’éditeur : «Il n’avait plus un sou ; il n’avait plus accès à un distributeur automatique (les transactions laissaient des traces). Une fois éteint, le petit téléviseur bombé fixé au bout d’un bras articulé à la corniche du plafond ressemblait à une caméra de surveillance. Le froid faisait craquer les canalisations. C’est peut-être à ce moment que l’idée lui est venue ; il a fait jouer l’idée du lac parmi d’autres hypothèses, une fois qu’il aurait fait ce qu’il avait prévu ; c’était risqué, mais il n’avait pas le choix. Il pourrait passer la frontière, et qui sait, embarquer. Aborder à une rive inconnue. Survivre.

Finalement, la neige n’était pas tombée dans la nuit.»

L’homme est arrivé de nuit dans cette petite ville industrielle de montagne. Ils sont nombreux à l’avoir croisé, la nuit tombée, tandis qu’on se rapproche de l’an 2000 comme en un compte à rebours.

Analyse en relation avec une interview de l’auteur : L’action se passe dans le Jura, dans une petite ville de province ; la vie y apparait dans ce qu’elle a de plus nu et énigmatique. En lecture superficielle, un roman policier. En vérité un roman sur la solitude, sur l’isolement, sur la neige et l’hiver dans les zones reculées. Un roman « climatique » : à proximité d’un lac et d’une forêt, de nuit dasn la montagne, avec la neige qui recouvre tout et ne cesse de tomber.. Le temps se dilate. Les lumières et l’obscurité sont très importantes (les petites lumières des maisons isolées, les phares dans la nuit) La narratrice, qui est privée de prénom recueille le témoignage des isolés. Les personnages cherchent à se construire ou à conserver une façade, mais ce sont plutôt des ombres qui habitent un paysage en tons de blanc, gris et noir..

Dès le début on peut imaginer le pire, bien que rien ne soit dit. Les faits divers, même si ils ne nous concernent pas directement font peser l’angoisse sur nos vies, instillent la peur dans notre comportement).

Comme point de départ, un homme de dos dans un hôtel ; c’est la nuit ; les lumières tremblotent et s’éteignent. Une menace inconnue plane dans la salle du restaurant. Un homme seul dans sa chambre d’hôtel : les interrogations surgissent, l’angoisse nait du manque d’éléments fournis, d’une non description.

En parallèle, une angoisse temporelle : le passage du millénaire.. Le roman s’établit autour de deux passages : celui de la frontière et la bascule dans le nouveau siècle. Deux inconnus, deux frontières qui angoissent, le temps qui passe. La neige, qui ralentit tout modifie aussi le rythme du temps, générant un malaise. Tout fonctionne par couches, comme les strates de neige.. On suit un personnage qui veut quitter la France pour se fondre dans l’obscurité et l’anonymat. La nuit est obscurité, mis à part quelques lumières diffuses. L’atmosphère est ouatée, tant à l’extérieur ( neige et manque de visibilité) que dans les intérieurs ( les gens vivent cloitrés, cachés, derrière des rideaux et des fenêtres, seuls) ; tout le monde prend son temps ; tout est feutré, personne ne s’agite ; des solitaires et des isolés qui vivent « en marge », confrontés au temps qui passe ou pas.., à la solitude de la retraite, à la jeunesse partie, aux souvenirs d’une époque où ils se sentaient vivants, au vide, au monde « nu », non occupé. Même les actifs sont seuls et voudraient peupler leur solitude. La narratrice, infirmière qui fait des visites à domicile peuple sa vie de la solitude de ses patients. Un livre sur la mémoire nostalgique du temps ; les sous-sols sont des refuges, un repli vers les souvenirs de jeunesse, une évasion dans une ancienne vie. On ne se parle plus, on ne communique plus, on vit replié sur soi, on garde tout pour soi, peur y compris.

Métaphoriquement, le livre est un besoin de raconter comment on traverse les « bois noirs et angoissants de sa vie », paysage moral, symbolique et cadre du récit.

Mon avis : Un – petit – livre très intimiste, ou tout est suggéré. Un univers ou paysage et intériorité se confondent. J’ai beaucoup aimé. Si vous cherchez du trépidant et de l’action, ce livre n’est pas pour vous..

Extraits :

La ville s’étire en long dans la vallée ; elle est resserrée par la chaîne des montagnes. Les lumières soulignaient l’alignement des rues parallèles, selon le plan très simple d’une ville plutôt récente – une ville-couloir

C’était la circulation peu nourrie du dimanche soir, la tristesse propre au dimanche soir, cette petite dépression liée à la diminution sensible de l’activité, à la fermeture des commerces

C’était comme si le corps de la ville se ralentissait, se détendait, n’était plus agité, de temps en temps, que par de légers spasmes

Décembre avait été doux et pluvieux ; la neige n’avait touché que les sommets ; seule une ligne blanche irrégulière permettait de faire la différence entre le ciel et la pierre, entre la nuit et la montagne

La jardinerie était le seul endroit où s’était conservée l’odeur profonde, musquée, de la montagne, l’odeur des bois, il la respira ; c’était une odeur de plaie récente

Vers quatre heures, lorsque le jour qui ne s’était jamais vraiment levé s’assombrit…

Une neige épaisse voilait la montagne ; elle commençait à dessiner les arêtes des rochers et soulignait, ici ou là, des toits compacts qui d’habitude ne sortaient pas de l’ombre

c’était ainsi avec la neige ; elle ne faisait pas de bruit, elle avait beau être annoncée, elle prenait par surprise

la neige qui tombe sous les réverbères est aussi belle que dans les films ; elle tombait avec un léger tournoiement. C’était comme l’éclatement silencieux, ralenti, constamment renouvelé, uniformément blanc, du bouquet d’un feu d’artifice

Beaucoup de personnes n’aiment pas les fêtes. » J’avais pensé : quand elles vieillissent

Et à force de faire semblant, est-ce que nous ne nous dupons pas nous-mêmes ? Sur presque tout ?

Elle pensait à ce qui peut arriver dans le noir, à ce qui peut arriver dans le temps (le temps et le noir, c’est pareil), et la peur lui coupait le souffle

Le temps ne passe pas, à un certain étage de la conscience

Il ne neigeait plus, la nuit avait épuisé le ciel

Quand on regarde la neige tomber, on a l’impression que le temps se matérialise tel qu’il est, plutôt lent dans le fond, irréversible et régulier. La distance entre les flocons doit correspondre à celle qui sépare les secondes, à peu de chose près

La ville se préparait à faire le saut dans l’an 2000. Elle avait même gagné une sorte de beauté inattendue qui la rapprochait d’un village de montagne

Dans la nuit du 30 au 31, le gel et le verglas avaient couvert les routes. On déconseillait de circuler

Ce n’est pas sa faute, le froid de la vie lui est entré beaucoup trop tôt dans le cœur.

… les étoiles semblaient plus nombreuses et plus nettes. Elles brillaient comme des grains de mica sur une roche. Il les voyait entre les sapins blancs

Même la nouvelle année, on dirait qu’elle n’arrive pas jusqu’ici. On la fête parce qu’à la télévision, on nous dit de le faire.

Je revois les choses s’enclencher dans un ordre sur lequel nous n’avions aucune prise, s’amonceler sur nous comme la neige. Je me dis : si nous avions su…

 

One Reply to “Barbéris, Dominique « La vie en marge » (2014)”

  1. Oh ! oh ! mais c’est un livre pour moi ça…
    J’aime bien me laisser imprégner avec lenteur par les mots quand ils sont profonds et au vue de ta critique, ils le sont…
    Merci Cath de donner envie…

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