Bouraoui, Nina « Beaux rivages » (RL2016)
Auteur : Nina Bouraoui est une écrivaine française née le 31 juillet 1967 à Rennes, d’un père algérien (originaire de Jijel, dans le pays des Kotama) et d’une mère bretonne.
Le déracinement, la nostalgie de l’enfance, le désir, l’homosexualité, l’écriture et l’identité sont les thèmes majeurs de son travail. Elle est officier de l’ordre des Arts et des Lettres et ses romans sont traduits dans une quinzaine de langues.
Résumé : C’est une histoire simple, universelle. Après huit ans d’amour, Adrian quitte A. pour une autre femme : Beaux rivages est la radiographie de cette séparation. Quels que soient notre âge, notre sexe, notre origine sociale, nous sommes tous égaux devant un grand chagrin d’amour. Les larmes rassemblent davantage que les baisers.
Beaux rivages a été écrit pour tous les quittés du monde. Pour ceux qui ont perdu la foi en perdant leur bonheur. Pour ceux qui pensent qu’ils ne sauront plus vivre sans l’autre et qu’ils ne sauront plus aimer. Pour comprendre pourquoi une rupture nous laisse si désarmés. Et pour rappeler que l’amour triomphera toujours. En cela, c’est un roman de résistance. (252 pages, paru chez JC Lattès)
Mon avis : Premier livre que je lis de cette romancière. Une quadra abandonnée après une relation de 8 ans… Elle qui accordait sa confiance et croyait en la liberté est totalement sonnée par la rupture SMS… C’est un livre qui pointe la difficulté de l’amour à distance et le mal que peuvent faire les nouveaux modes de communication. Dans ce roman – écrit à l’imparfait – où les hommes ont des prénoms et les femmes apparaissent comme A. et l’Autre la narratrice, A… s’enfonce dans le chagrin d’amour. A. laisse sous-entendre que la facilité de rompre une relation non contraignante a favorisé cette possibilité de jouer sur les deux tableaux (le lien aurait été plus difficile à rompre en cas de lien du mariage). Elle s’accompagne ( et se noie) de chansons tristes et romantiques, et c’est totalement du vécu. Quand on a mal, on se repasse en boucle de type de chansons, on lit des poèmes sombres et on regarde des films de rupture. Je pense que toutes les filles ont eu cette tentation ; en tous cas moi oui… Ce livre est la descente aux enfers par étapes… comment faire son deuil : on passe par plusieurs phases, l’incompréhension, la tristesse, la rage, la haine, le désespoir, l’envie de tout planter là, les problèmes de santé, l’errance… Le fait d’avoir été abandonnée devient un problème obsessionnel et tout ce que les autres pourront nous dire lui glissera dessus comme de l’eau sur un parapluie. A. va se faire mal… elle va tout vouloir connaître de sa rivale et en prendre plein la tête. En effet l’Autre tient un blog et A. va s’y rendre pour essayer d’en savoir plus sur la relation entre l’Autre et son ex. Et comme l’Autre est mauvaise, la situation va être encore pire car elle prend son pied en ridiculisant et martyrisant la pauvre abandonnée. Notre époque, celle des réseaux sociaux et d’internet permet de savoir ce qui se passe en temps réel et au lieu de se cacher et d’apaiser la douleur dans le silence et l’oubli, voir son histoire étalée aux yeux de tous dans un blog – dont elle devient accro – va faire l’effet du sel sur une plaie ouverte. En allant plus loin, elle fait remonter toutes les blessures depuis l’enfance…
Ecrit dans une langue qui m’a beaucoup plu, l’écriture de Nina Bouraoui épouse le rythme de la rupture et de la lente remontée. Car c’est un livre sur le deuil d’un amour mais aussi sur la reconstruction… Un livre universel dans une société où on finit par vivre dans l’urgence et le présent (l’espace temps de ce roman se situe entre les attentats de janvier et ceux de novembre 2015) .
Extraits :
Je ne crois pas que l’on puisse mourir d’amour, mais sa perte nous éteint et nous devenons sans lui des pierres sèches, grises
Il faisait froid et nuit comme si un trou dans le ciel avait aspiré la lumière pour ne plus jamais la rendre
Les choses que l’on n’énonce pas n’existent pas
Dans mon cas, les chemins tracés menaient à une impasse.
L’amour à chaque fois qu’il se perd rejoint le cimetière des amours mortes, et son deuil est impossible à envisager
À chaque fois que je pleurais, c’était rare, je retrouvais un chagrin plus ancien que celui que j’étais en train de vivre, enfoui dans les plis de la petite enfance et dont l’empreinte demeurait ; ma mémoire fossile ne m’aidait pas
en flottement entre la réalité et ce qui semble ne pas exister, que l’on a inventé et qui disparaîtra dès que l’on aura recouvré ses esprits
On en veut toujours à celui qui s’empare plutôt qu’à celui qui s’en va
Constatant mon inquiétude et mon épuisement, je ne dormais plus, il me prescrivit une série de tests sanguins à effectuer au plus vite, non à cause de la gravité du mal secret qui me frappait, mais pour me soulager d’une souffrance que j’étais en train de fabriquer
Ma vie explosait. Son nouveau désordre me rappelait la multitude d’étincelles que font les bâtonnets de Noël que j’allumais enfant et qui finissaient par me brûler les doigts
Je maigrissais un peu plus chaque jour, de cent grammes en cent grammes, comme une bougie fondant à la chaleur de son feu
si les êtres échouent à se relier par la douceur, ils partagent un territoire commun : celui de la défaite amoureuse
Seule la beauté de la nature parvenait à me divertir de mes pensées, me reconnectant à mes souvenirs d’enfant
l’amour passe avant tout par la connaissance des autres, la haine et la violence, elles, étant le produit de l’ignorance
Je n’étais jamais ivre, ne perdais jamais le fil de mes idées, la nuit avançant je me sentais enveloppée par le champagne comme si je m’étais enroulée dans un doux sari qui, je le savais par expérience, toutes mes nuits se ressemblaient, disparaîtrait une fois seule dans mon lit
Une femme se désolait de ne pas être reconnue en tant qu’écrivain, elle avait du talent pourtant, elle en était convaincue, la preuve, elle ne cessait d’écrire, ne se décourageait pas, même si aucun éditeur ne lui avait accordé sa confiance, cinq manuscrits déjà, envoyés par la poste
« J’ai fait mon choix », quand je dépassais les limites – mais de quelles limites s’agissait-il ? La tristesse est sans cadre
il voulait encore partager des choses avec moi, mais je n’avais plus rien à lui donner
Je retrouvais en lui une part de moi, peut-être la plus obscure, mais aussi la plus attachante : nous n’avions jamais vraiment aimé
j’ai des plis et des surplis de protection, plus rien ne peut m’atteindre, plus rien
c’était comme un trait tiré sur mon hiver, même si on ne tire jamais de traits définitifs, on le sait, le passé est un serpent qui mord, un léger trait alors
il m’avait choisie et j’étais en train de le choisir
il est apparu dans ma vie ainsi, il est survenu, alors que je ne le voulais pas, que je ne m’y attendais pas, d’ailleurs c’est comme ça que ça arrive, dès l’instant où l’on ne veut plus que cela arrive, quand on a mis la clé sous la porte, que l’on part, s’efface, bye bye tout le monde, au revoir et merci, ne m’appelez pas, je ne répondrai pas, les abonnés absents ça veut dire ça
« On va dans le mur, mais je ne sais pas à quelle vitesse »
j’occupe mon temps, dans le sens où je suis vraiment à l’intérieur, comme si c’était un territoire, c’est ça, le temps est devenu un lieu pour moi, c’est une sensation étrange, et pourtant c’est ainsi que j’envisage mon avenir : un endroit vierge que je foulerai plus tard, mais qui pour l’instant n’existe pas
on manque d’illusion, c’est ça la vraie vieillesse, ce ne sont ni la peau changée ni les rides, c’est de ne plus croire
on n’apprend rien de ses erreurs, on les cumule
En aimant, j’ai appris à aimer. En perdant, j’ai appris à reconquérir, non l’autre, un autre, mais toutes les parts de mon cœur pulvérisé
2 Replies to “Bouraoui, Nina « Beaux rivages » (RL2016)”
Je viens de lire ton avis et je vois que nous n’avons pas le même avis. Je me suis ennuyée sévère avec ce livre au point de ne pas aller au bout, ce qui m’arrive rarement.
Mais la littérature c’est aussi ça. Ça peut plaire aux uns et déplaire aux autres.
J’ai bien aimé ce livre ,l’écriture de l’auteur, que je ne connaissais pas ,m’a beaucoup plu ,une écriture fluide ,triste ,mais lucide et en concordance avec la rupture ses conséquences et le devenir de la personne qui a subi la rupture .
J’ai envie de lire un autre livre de Nina Bouraoui.