Dufourmantelle, Anne «L’Envers du feu» (2015)

Dufourmantelle, Anne «L’Envers du feu» (2015)

Auteur : Anne Dufourmantelle, née le 20 mars 1964 à Paris1 et morte le 21 juillet 2017 à Ramatuelle, est une psychanalyste et philosophe française. a publié de nombreux essais, entre autres, De l’hospitalité, avec Jacques Derrida, mais aussi En cas d’amour, L’Éloge du risque, et le dernier Défense du Secret (2015), tous chez Payot . Elle meurt le 21 juillet 2017 des suites d’un arrêt cardiaque, en tentant de sauver l’enfant d’une amie de la noyade sur la plage de Pampelonne. Les notions de risque et de sacrifice étaient au cœur de sa pensée.

Albin-Michel, aout 2015, 352 pages

Résumé : « Les grands incendies sont une espèce en voie de disparition. Ils se propagent à la vitesse du vent et de la nuit. Leur souveraineté soumet l’espace. Pareils aux météorites et au désir, leur dangerosité, leur degré de combustion, leur trajectoire sont imprévisibles.
Dévastation. Régénération.
Nous sommes de même nature ; des feux. »
Thriller psychanalytique, roman initiatique, histoire d’une passion, quête de soi, labyrinthe de mensonges et de faux-fuyants, de souvenirs écrans, ce suspense qui emprunte les arcanes de l’analyse nous mène de Brooklyn jusqu’aux confins du Caucase à la poursuite d’une mystérieuse disparue.
Le premier roman de l’auteur de « En cas d’amour et de Défense du secret » nous fascine et nous trouble jusqu’au vertige.

Mon avis : Excellent ! Si cette dame n’était pas décédée en portant secours à des enfants, je ne crois pas que j’aurais entendu parler du livre. Et je serais passée à côté d’un roman comme je les aime. Un vrai roman psychologique avec un rôle de psy plus que convainquant (ce qui semble logique au vu de la profession de l’auteur) mais pas que… Une écriture fluide et agréable, une construction efficace, rythmée par les séances chez le psy… une histoire qui fait remonter le passé (refoulé) et la mémoire…

Alors suicide ? meurtre ? disparition ? enquête ? à quête de soi ? inconscient ? quête des autres ? souvenirs d’enfance ? fuite ? reconstitution ? amour ? amitié ? trahison ? confiance ? Toute une vie remise en question ; les fondements et les certitudes s’effondrent… Le personnage principal va voir sa vie s’écrouler et se décomposer autour de lui.. A qui faire confiance? A ces amis? mais sont-ils ses amis? A son père? à des rencontres de passage? Par moments il se croit libre, d’autres fois il se sent observé, surveillé… Vérité ou paranoïa? Est-ce une simple disparition? A-t-il mis les pieds là ou il n’aurait pas dû ? Je vous laisse en compagnie d’Alexeï.. Je ne vous raconte rien… j’ai beaucoup aimé et je le recommande.

Extraits :

Les livres n’appartiennent à personne, les conserver ne m’est jamais venu à l’esprit. Ils sont faits pour passer de main en main, de vie en vie. J’aime les déplacer, en dérober un comme ça, pour l’abandonner ensuite dans un endroit public.

Ce n’est pas tant les espaces qui me fascinent que l’histoire dont ils gardent la trace, ou celle qu’ils annoncent en secret.

Les détails me rassurent, ils s’opposent à l’oubli. Je revois ma déambulation, les pièces entre-vues, les recoins, les objets.

Ce qu’on oublie est un choix, pas un accident, encore moins une faiblesse. Mais tout ne s’efface pas, il y a des îlots qui échappent au refoulement.

un état somnambulique peut être une forme de veille paradoxale. Les vigilances se créent parce qu’un jour elles ont été prises en défaut

Qu’est-ce qu’un serment, sinon la possibilité d’une future trahison ?

Je voudrais échapper à l’inquiétude que je devine en elle. J’ai assez de la mienne.

La nostalgie n’est pas mon élément. Je ne veux rien d’autre que le présent.

– Une fugue ?
– J’ai passé l’âge.
– L’âge n’a pas d’importance, c’est l’intention.

– La mort appartient à celui qui meurt, personne ne peut s’arroger le droit d’en questionner les derniers instants.

Sa musique infuse comme une rivière inconnue que l’on découvrirait dans un lieu familier, une eau tumultueuse qui se serait frayé seule un passage.

Il s’est dit quelque chose d’important, d’essentiel même, qui peut les guider. C’est comme une phrase musicale qui serait là, invisible, soutenant la mélodie.

Les grands rêves sont des trésors qui, s’ils ne sont pas captés, peuvent devenir toxiques.

Il faut accompagner les morts une partie du chemin et puis leur dire adieu quand le temps est venu. Et alors savoir qu’une part de nous est partie avec eux, et l’honorer, pour qu’ils ne reviennent pas nous hanter.

C’est comme ces chevaliers dans les livres que je lisais enfant, dont l’idéal guidait les actes : cela ne leur rendait pas la guerre plus douce ou le voyage plus sûr, mais ils servaient une noble cause.

La psychanalyse est une étrange fabrique de secrets destinés à lever d’autres secrets.

Elle voulait sortir du jeu définitivement. S’éclipser. Ce mot lui plaisait, il signifiait d’abord le mouvement par lequel la lune ou le soleil se rendent invisibles.

Personne remplace personne. Ça fait un trou, basta.

Couper court et faire silence. Mais ne serait-ce pas déserter face à un adversaire qui n’est autre que lui-même, quoi qu’il se raconte ?

L’inconscient n’oublie rien, dit-elle. Chaque événement passé poursuit son devenir en nous. Notre psyché contient toutes les mémoires qui nous ont traversés, et pas uniquement la nôtre.

Écrire à la main déjà lui paraît d’un autre âge. Une archiviste de la vie des autres.

La moitié de notre vie est dédiée à enregistrer la plainte venue de nos rêves d’enfant, de nos désirs sacrifiés.

ces bribes d’enfance qui remontent, c’est comme le retour du sang après une gelure. C’est douloureux mais vivant.

Elle essaie de penser, c’est sa seule dissidence, mais il n’y a pas d’abri possible pour la pensée

Lacan disait de l’ignorance que c’était une passion au même titre que l’amour et la haine. Elle engendrait des monstres.

 

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