Morandini, Claudio «Le chien, la neige, un pied» (03.2017)

Morandini, Claudio «Le chien, la neige, un pied» (03.2017)

Auteur : Claudio Morandini a obtenu avec Le chien, la neige, un pied le prestigieux Premio Procida-isola di Arturo-Elsa Morante 2016. Auteur d’une demi- douzaine de romans, il est regardé comme un écrivain des plus prometteurs en Italie.

144 pages – Editions Anacharsis

Résumé : Avec Le chien, la neige, un pied, Claudio Morandini compose un conte cruel, une de ces histoires fascinantes et terribles qu’on se raconte le soir à la veillée.
Adelmo Farandola vit seul dans son chalet perdu dans la montagne. Depuis un temps immémorial. Les années ont passé, identiques à elles-mêmes. Quoique. Adelmo Farandola n’a pas le souvenir très lucide. Les saisons s’empilent dans sa mémoire comme en un brouillard indistinct.
Une longue grisaille vécue à l’écart des hommes, dans une solitude absolue, entretenue, revêche, un peu méchante. Mais cet hiver-là surgit un chien. Bavard. Pétulant. La truffe en éveil. Il adopte Adelmo Farandola.
Au printemps, la fonte des neiges révèle peu à peu un pied humain non loin de leur cabane. À qui appartient-il ? Qui l’a mis là ? Adelmo Farandola ne se souvient pas très bien des événements de l’an passé…

Mon avis : Un livre qui m’est passé par les mains totalement par hasard, grâce à un ami qui sait que j’aime les auteurs italiens… Juste avant l’hiver… cela met dans l’ambiance… J’ai beaucoup aimé ce roman psychologique que je recommande chaudement (!) – je crois qu’il est limite coup de cœur…

Adelmo, est un vieil homme taiseux atteint d’Alzheimer avec un parcours de vie solitaire qui va soudainement être adopté par … un chien bavard. Quelques personnages : le garde-chasse, l’épicière du village, les personnages de sa jeunesse au travers de quelques souvenirs, tous perçus comme des agressions. Un hiver rude, long, ou la nourriture vient à manquer et la survie est tout sauf assurée…

Ses interlocuteurs ? son chien (eh oui !) avec qui il dialogue et les éléments de la nature qui l’entoure. Nature et éléments vivent, crient, se brisent, comme des humains au gré des événements. Il a aussi pour compagnons depuis toujours, depuis sa jeunesse difficile qui lui a appris à survivre et à échapper aux soldats- trois compagnons qui font partie intégrante de son être : Faim, Froid, Sommeil…

Le regard de la société, les conditions de sa jeunesse et de sa vie renvoient l’homme à sa solitude. Un homme qui a toujours vécu dans l’angoisse des humains, et surtout des humains en uniforme. Un être pour qui la montagne, la nature, la solitude, les endroits reculés tels les cabanes et les grottes inaccessibles et invisibles sont synonyme de survie et de non-agression. Bien sûr il est à la limite de la folie, il est repoussant, mais personne ne lui tend la main pour l’aider. Pour moi ce n’est pas un livre sur la maladie, sur l’oubli, mais sur la solitude, le rapport avec la nature et les animaux.

 

Extraits :

Adelmo Farandola, quant à lui, accoutumé aux silences qui durent des mois, a perdu la capacité de parler, mais aussi celle d’écouter.

Il ne se souvient pas – il ne se souvient pas qu’il a oublié.

Ruminer sa vengeance l’apaise un peu, lui offre une petite satisfaction. Ce n’est pas comme le faire pour de vrai, mais enfin on s’en approche, surtout quand une solitude accumulée pendant des armées mélange la réalité véritable des choses et la réalité rêvée.

Les gargouillis de la faim sont une sorte de voix intérieure, avec laquelle il discute parfois de tout et de rien. Mais à présent il a le chien avec qui parler.

[…] ses mots étaient une petite haleine blanche dans l’obscurité glaciale.

[…] les arguments étaient une chose, les coups en étaient une autre et, dans l’ensemble, ces derniers fonctionnaient mieux, sur les uns et sur les autres.

Faim, Froid et Sommeil s’asseyaient devant lui, enroulés dans de sombres haillons. Ils avaient des visages normaux, des expressions lasses. Ils étaient à court d’arguments et s’échangeaient des regards manifestement gênés.

Les gens imaginent que la montagne enneigée est le royaume du silence. Mais la neige et la glace sont des créatures bruyantes, éhontées, moqueuses. Tout craque, sous le poids de la neige, et ces craquements coupent la respiration, car ils semblent préluder au fracas d’un effondrement. Les affaissements des masses de neige et de glace résonnent longuement, leur raffut traverse la terre et se communique à l’air. Les grandes avalanches s’expriment avec un grondement effarant qui remplit d’horreur et avec un sifflement féroce, celui du déplacement d’air.

Les pas crissent avec difficulté sur la neige fraîche, et chaque pas ressemble à un sanglot. Chaque flocon frappe les fenêtres et toute surface avec un petit bruit nerveux, similaire à celui de pages tournées dans un livre trop long. Et quand la température s’adoucit, voilà que les blocs de glace hurlent jusqu’à se fissurer, ils sont en proie à des quintes de toux, ils se laissent aller à des éclats de tonnerre ou de flatuosité.

Il avait vu toute sa vie des animaux mourir, des plantes mourir, des roches tomber et s’effriter, et il s’est dit que pour l’homme aussi ça finit comme ça, un éboulement par usure, un étiolement soudain ; si on est au lit, on y reste, sinon, on s’écroule, le bâton à la main dans un raidillon, ou encore, penché pour cueillir une plante comestible, on ne se redresse plus. Tout meurt, et puis voilà.

 

One Reply to “Morandini, Claudio «Le chien, la neige, un pied» (03.2017)”

  1. C’est un livre court sur un ermite, sa solitude et son chien. Toutes les citations que tu as relevées et bien d’autres ont fait que je n’ai pas lâché le livre. Cette description de la vie rude, une vie de survie, par choix est bien appréhendée par l’auteur. Mais je n’ai pas aimé sous certains aspects l’homme qu’il décrit (ATTENTION SPOILER)
    – Quand il brûle à plusieurs reprises le chien avec un tison pour tuer ses tiques. Il s’en amuse de le réveiller, de le prendre par surprise.
    – Quand parfois il le laisse dehors et se distrait de l’entendre gémir.
    – Quand à la fin il lui écrase la tête avec une pierre.
    L’auteur à la fin explique comment il est venu à imaginer son histoire. Alors pourquoi avoir voulu lui affubler de ses traits de caractère là ?!?! C’était pour moi inutile et probablement très éloigné d’une probable réalité. La rusticité, la rudesse d’un homme sont à l’opposé de la cruauté, mesquinerie qu’il décrit (inventé) dans le livre.

    Merci toutefois pour cette découverte Carthy.

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