Wobmann, Fanny «Nues dans un verre d’eau» (2017)

Wobmann, Fanny «Nues dans un verre d’eau» (2017)

Auteur : Fanny Wobmann est née en 1984 à La Chaux-de-Fonds. Titulaire d’un master en sociologie et muséologie de l’Université de Neuchâtel, elle consacre son temps aux milieux artistiques (théâtre, galeries, écriture). Membre de l’AJAR. Il s’agit de son deuxième roman, le premier, « La Poussière qu’ils soulèvent » est sorti en 2013

Parution : janvier 2017 – 160 pages « Nues dans un verre d’eau » de Fanny Wobmann (Flammarion) a été sélectionné parmi plus de 60 livres par le jury du Prix du public 2018.

Résumé : Elles sont deux, à deux moments très éloignés de l’existence. L’une, Grand-maman, s’éteint doucement dans une chambre d’hôpital. L’autre, Laura, est enceinte, pour l’heure dans le plus grand secret. Étrangement, elles vont faire la route ensemble et bientôt n’avoir qu’une seule attente : la compagnie de l’autre. Entre les visites, les silences encombrés, les gestes retenus, elles s’apprivoisent et se mettent à nu. Il s’agit moins de transmission que d’offrande, chacune forçant un peu sa pudeur pour offrir à l’autre un morceau de sa vie. Et le cadeau – une pensée, un souvenir, une histoire – se révèle à la fois infiniment précieux et infiniment modeste.

Fanny Wobmann met en scène deux personnages suspendus entre la vie et la mort et livre un roman singulier, d’une exquise poésie.

Mon avis :  Une écriture imagée, sans fioriture, sèche, précise, lucide, crue, sincère mais qui réussit à être poétique… Un livre très intéressant.

Un livre sur le passage du temps, des jours et des états, sur le silence et non-dits, sur le manque de communication. La grand-mère est pudique, c’est une femme de la campagne, élevée dans l’optique de ne pas déranger. Elle parle un peu avec sa petite fille mais ne se livre pas : elle garde son jardin secret, ses zones d’ombre. Pour Laura, on a l’impression que c’est sa voix intérieure qui s’exprime. Il semble qu’au moment où elle est enceinte, elle a besoin d’une figure maternelle et comme sa mère semble très très absente dans sa vie, le lien se dessine avec sa grand-mère.

Les deux femmes apprennent à s’écouter, à écouter leurs silences, elles s’observent, s’appréhendent enfin. La vie de l’une se remplit et la vie de l’autre s’échappe.  « À mesure que mon corps se remplit, le tien s’égratigne. J’ai parfois l’impression qu’il n’y a pas assez de vie pour nous deux, et que c’est moi qui, petit à petit, la récolte et la stocke, te laissant en jachère. Comme si ton troupeau migrait dans mon pâturage à moi, sans que je n’aie lancé aucun appel. Une petite désalpe silencieuse ».

Thème primordial : le corps dans tous ses états… mais un corps qui ne fait jamais envie… que ce soit celui de Laura, de son amant anglais de passage, de la prof d’anglais, de la grand-mère. Une très forte dimension corporelle : elle décrit les corps et les odeurs. Elle décrit la décrépitude du corps de sa grand-mère avec des mots extrêmement crus et choquants mais qui au final traduisent une grande tendresse. Le moment où le corps s’effrite, redevient fluides et nature.   Et la dépossession du corps de la personne en fin de vie par le personnel médical… Très important pour moi le moment ou la jeune fille prend la défense de sa grand-mère en appuyant sa décision de partir dignement alors que sa mère voudrait ne pas la laisser partir et la traiter contre sa volonté sous prétexte qu’elle souffre de démence sénile comme le souligne la phrase « je dis qu’il y a de nombreux moments où tu es lucide, que tu as une mémoire incroyable et que tu sais ce que tu veux »

Pas compris le titre….

 

Extraits :

L’hiver a brouillé les pistes, tout est blanc, gris et bleu, comme tes mains dont les doigts tordus pianotent vaguement sur le drap tendu.

Je ne sais pas quoi te répondre, je ris. Parce que ce que je sais de toi, ce sont tes silences, tes secrets, cette retenue dont tu as garni ton existence. Il ne faut pas déranger. Pas remuer. Pas trop creuser. S’en tirer en faisant le moins de bruit possible.

Nous titubons dans les couloirs déserts, comme deux amies un soir de fête. Tu es bien plus légère que moi mais tu nous encombres tant.

C’est bientôt la retraite, il me reste seulement une année. Mais ça sera bizarre, c’est certain, j’ai travaillé toute ma vie, je ne suis pas sûr de savoir faire autrement.
Moi je me réjouis déjà de la retraite, c’est travailler toute la vie qui me semble bizarre.

Il a dit quelque chose, je n’ai pas bien compris. Il avait cette manière de cueillir les mots avant qu’ils soient mûrs puis de les jeter sans y prendre garde dans un panier déjà rempli.

Je lui ai dit que chez moi il n’y avait pas de mer, que ma ville s’appelait La Chaux-de-Fonds, qu’elle était perdue au milieu des sapins, qu’elle était haute et insaisissable.

Lui, il venait du nord de l’Angleterre, là où les falaises expulsent et avalent l’océan. Là où les bourrasques sont des voisines têtues qu’on ne peut faire autrement qu’aimer.

Tu as mis ta main devant ta bouche, tes doigts fins dans le silence des choses.

Je pense beaucoup, mais pas au futur, il me paraît simplement trop semblable à tout le reste pour que ça vaille la peine de s’y intéresser.

À mesure que mon corps se remplit, le tien s’égratigne. J’ai parfois l’impression qu’il n’y a pas assez de vie pour nous deux, et que c’est moi qui, petit à petit, la récolte et la stocke, te laissant en jachère. Comme si ton troupeau migrait dans mon pâturage à moi, sans que je n’aie lancé aucun appel. Une petite désalpe silencieuse.

Encore une question de temps qui ne lui convient pas. C’est trop long, ou trop court. Comme les jours d’une personne en fin de vie.

Comme d’habitude, nous laissons s’installer les paroles retenues, elles nous connaissent bien. Elles sont polies, bien repassées. Elles attendent sans broncher qu’une énième coupure de connexion nous autorise à mettre fin à la non-conversation.

Ils sont artistes, ils me disent, et s’arrêtent là, ils ne développent pas. Artiste, ça a l’air de suffire. Ça définit, ça remplit, ça dit que si tu es micromécanicienne, ça n’est quand même pas tout à fait la même chose, pas le même monde, pas le même horizon.

je suis comme le cygne. Je mets mon bec dans tous ces univers qui ne sont pas les miens, jetés dans la mare avec des bruits de temps qui passe et d’êtres humains qui se frôlent.

 

(livre choisi pour le « challenge j’ai lu 2018 » ) : Un livre écrit par un auteur de votre région  ( elle n’est pas genevoise mais de Suisse Romande)

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