del Árbol, Víctor « Un millón de gotas » « Toutes les vagues de l’océan »

del Árbol, Víctor « Un millón de gotas » « Toutes les vagues de l’océan »

lu en espagnol (Editorial: Destino – mai 2014) – la version française : février 2015

Résumé : Gonzalo est un quelqu’un de bien. Il aime sa famille, c’est un avocat travailleur, une personne qui n’a rien à cacher. Mais personne n’est vraiment transparent dans un monde où l’innocence n’existe pas. En apprenant le suicide de sa sœur Laura dont il était très proche pendant son enfance mais que la vie a séparés au point de perdre tout contact, Gonzalo va devoir se pencher sur son passé, sur le passé de son père Elias, de sa famille. Une descente en enfer dans l’Union Soviétique des années 30, en Sibérie, une plongée dans la guerre civile espagnole, dans les camps de réfugiés du Sud de la France, dans la Deuxième guerre mondiale, dans la résistance interne contre Franco. Mais Gonzalo nous entrainera bien plus loin ; il nous amènera à tracer une carte exhaustive de la condition humaine, à vivre une histoire d’amour incroyable, la trahison, la culpabilité et pour terminer à explorer un monde ou la mémoire est une invention qui est loin d’être fiable. Une grande épopée : passé et présent se confondent, s’entrecroisent dans une histoire extraordinaire dont personne ne sortira indemne.

Actes Sud Fevrier 2015 – 608 pages / Babel Noir Janvier, 2017 – 688 pages

Prix du Polar SNCF 2018

Mon avis : MAGISTRAL ! Un roman noir, certes. Mais aussi et surtout un magnifique roman historique, sur près de 70 ans qui démarre en 1933 et nous amène jusqu’à nos jours, une fresque dont le point de départ est l’idéalisme des jeunes européens communistes partis à Moscou avec une bourse d’étude pour aider la Russie à se développer et qui ont découvert un pays qui n’avait pas grand-chose avec ce qu’ils s’attendaient à trouver.. Une histoire à deux voix, celle du passé et celle du présent qui rappelle la construction du roman « la tristesse du samouraï ». Et une fois encore, les actes du passé génèrent haine et vengeance qui impliquent des acteurs qui ne savent pas quels sont les fondements sur lesquels ils ont bâti leur vie. Les secrets des anciens pèsent lourd.. très lourd.. et même si ils sont morts ou si les survivants ont scellé à jamais leurs souvenirs et leurs blessures au fond de l’oubli ou de leur mémoire, les actes ne s’effacent jamais et leurs conséquences finissent toujours par remonter à la surface… Le passé, ici, c’est la figure du père, Elias. Le présent, c’est Gonzalo. Et autour des personnages qui sont rattachés, soit à l’un soit à l’autre, et de fait aux deux par les fils qui se tissent entre les histoires du passé et du présent. Pour le reste, c’est un voyage entre deux époques et plusieurs générations des mêmes familles, dont les vies se croisent et s’imbriquent. Une fois encore l’importance des racines, de l’endroit d’où l’on vient, du passé est un thème primordial pour l’auteur. Il faut regarder en arrière, chercher pourquoi et comment on en est arrivé là. Retrouver les racines des haines et des rancœurs qui lient les êtres, pénétrer au cœur de la souffrance et de la douleur, aller au-delà des apparences, faire fi des actes pour pénétrer au plus profond des motivations cachées et des blessures enfouies. Casser la gangue pour arriver au noyau. Un livre qui nous montre qu’il ne faut pas se fier aux apparences, qui nous montre à quel point il est facile de se faire manipuler, et combien patience et ténacité sont importantes pour remonter le cours du temps et tenter d’entrevoir la vérité. Et aussi l’importance d’être acteur et non spectateur de sa propre vie. Un vrai héro ne subit pas ; il agit, prend des décisions, au risque de se tromper. Un exemple parfait de ce type de personne est un personnage fascinant dans le livre, Igor Stern, parti de rien et qui devient un des rouages les plus importants du pouvoir soviétique, à la tête d’un empire fondé sur la peur et la haine. C’est aussi un roman de société ; sur l’évolution des personnages et la progression de la société. Un roman sur les utopies et la lutte, la lutte pour survivre, sur les convictions. C’est aussi une peinture des années « paraitre », le fossé entre les gens qui ont de l’argent et du pouvoir et ceux qui privilégies les vraies valeurs et la culture. Et une fois encore l’auteur nous présente ses personnages de telle manière qu’on a l’impression de faire leur connaissance ; il les rend vivants avec un soin du détail qui permet de les recentrer dans un contexte ; l’auteur met un tel soin à décrire l’environnement affectif des personnages qu’on jure qu’ils sont réels et non inventés. Nous sommes dans du concret et pas dans de la reconstitution. On pourrait croire qu’il y était ; qu’il décrit des situations qu’il a vécues et de ce fait qu’on y est aussi. Que ce soit les deux personnages « clés » ou les autres (morts ou vivants) ils ont tous une vie propre, un caractère, qui les rend attachants ou détestables – (même si ils sont détestables il leur reste toujours une petite étincelle d’humanité salvatrice qui fait que leur vie nous intéresse.) J’ai beaucoup aimé que Catherine change son prénom pour prendre celui d’Esperanza le jour où elle quitte la Russie pour commencer une nouvelle vie. (le choix du prénom de Catherine comme héroïne du roman ne peut pas me laisser indifférente  😉 et de plus -petite note personnelle – il semble que l’héroïne du premier roman de l’auteur se prénomme Gilda, comme ma Maman) J’ajoute que j’aime aussi le style de l’auteur. C’est un roman historique extrêmement bien documenté, un roman noir, mais mâtiné de poésie. (le poète Maïakovski entre autres) Dans une interview, l’auteur a dit que la phrase qu’il préfère est la suivante : “Il m’a dit qu’on ne peut pas aimer une personne qu’on ne connait pas, que le véritable amour dépend de la vérité, et que le silence ne sert qu’à tromper».

Extraits : Je me permets de citer ci-après quelques phrases qui m’ont interpellée. Mais en espagnol., le livre n’ayant pas été traduit. ( difficile de choisir.. mais je ne vais pas vous recopier les 700 pages du livre… )

( Je sais … il faudrait que j’actualise en mettant les phrases en français…)

Ya estaba muerta hace mucho. Ahora solo hay que enterrarla

Se tapó la boca con los dedos y miró a su hijo con un brillo de nostalgia que solo llega al final de una vida vivida.

Me dijo que no puede amarse a quien no se conoce, que el verdadero amor es solo el resultado de la verdad, y que el silencio solo sirve como engaño

Eso era hacerse adulto, ocultarse de los demás. lo único que contaba, la única cosa que merecía su respeto era la voluntad de ser uno mismo: poco le importaba si ángel o demonio; ser fiel a la naturaleza propia, hasta las últimas consecuencias

Tú no eres lo que otros te obligaron a hacer. Ellos son las aberraciones, no tú. Al evocar el pasado o pensar en el futuro se debilitaban para afrontar el presente Las palabras mienten, pero la mentira puede ser el único consuelo posible. todo lo que hacemos queda grabado a fuego para siempre. Da igual lo que hagamos en el futuro; lo que hemos hecho aquí nos acompañará siempre ciertas personas se encontraban en espacios que no les correspondían, como si hubieran ido a parar por error a vidas que no eran suyas

 Pero entre el cariño y el amor hay matices muy delicados. La ternura se puede confundir con compasión, la pasión con el desahogo, la necesidad con el hábito

La memoria es algo prodigioso. Inventa como quiere el relato de una vida, utiliza lo que le conviene y desecha lo que le estorba, y es como si nada hubiese existido

Una gota entre un millón de gotas, nos fundiremos en esa inmensidad llamada humanidad.

Todo se convierte en polvo y en olvido si se tiene la paciencia para esperar La primera gota es la que empieza a romper la piedra.

La primera gota es la que empieza a ser océano.

* image : ce n’est pas la couverture du livre mais une image trouvée sur le web qui ne fait penser au livre ( comme toujours)

19 Replies to “del Árbol, Víctor « Un millón de gotas » « Toutes les vagues de l’océan »”

  1. Moi non plus je n’ai pas eu la patience d’attendre la traduction et j’avoue que je suis rentrée dans cette histoire sans peine (mes racines espagnoles y sont pour qques choses) et avec un plaisir immense sans pouvoir m’en défaire jusqu’à la dernière ligne. Un régal après lequel il est difficile de se plonger dans un nouvelle lecture!!!

  2. Un livre remarquable.
    A comparer avec Avis à mon exécuteur de Romain Slocombe, qui, s’il décrit un autre aspect de l’Espagne et l’Union Soviétique à la même époque, est tout aussi captivant, avec des références historiques en plus.

    1. Suite à ton commentaire j’ai lu le livre de Slocombe (voir article sur le blog) : alors pour moi il y a une différence essentielle entre le Del Arbol et le Slocombe. Le Slocombe n’est que références historiques, sans personnages à suivre, à qui s’attacher.. De fait je n’ai jamais eu l’impression de lire un roman mais un documentaire sur les purges staliniennes, très intéressant mais pas un roman..

  3. Il est vrai qu’après ce livre prodigieux on se demande (pas longtemps) maintenant qu’est ce que je vais lire ?
    On est entraînée par ce texte si riche , si fertiles en événements et en rebondissements .
    Il nous « aspire » de la première à la dernière page .
    J’ai hâte de lire « La vispera… »

    1. tu as de la chance .. « La veille de presque tout » sort en français le 4 janvier 2017 😉
      le livre est déjà chroniqué sur ce blog .. sans les citations en français bien sûr..

  4. Pas sortie indemne de ce roman…
    Merci Soeurette, pour cette lecture prenante, tant par son intrigue que par ses personnages et son contexte historique.
    bises,

    1. Je suis très contente de lire ton avis. Un roman qui met en lumière des points d’histoire peu ou pas connus et qui n’avait passionné aussi.

  5. Au départ, j’ai eu un peu de mal à entrer dans le roman, me perdant parmi les nombreux personnages mais une fois les liens qui les unissent mieux définis, je me suis passionnée pour cette magnifique mais très sombre fresque familiale.

  6. Il m’en reste encore 200 pages à lire mais ce roman est d’ores et déjà un de ceux qui m’auront secouée … qui anéantirait les dernières illusions que j’avais sur l’exercice du pouvoir si j’en avais encore . mais ayant l’âme d’une militante , un tel rappel, fait très mal. Noir est un euphémisme. Il me fait beaucoup penser à « La nuit du décret » de Michel del Castillo, lu il y a très longtemps et jamais oublié . Tu dois le lire Catherine si tu ne connais pas , je ne le vois pas dans ta liste d’auteurs .

    1. Oh oui, j’ai lu cet auteur ( mais avant la création du blog……) Tu pourras enchainer avec « La tristesse du Samourai » du même Del Arbol. Une merveille ( toujours assez noir)

  7. Noir, très noir ! Ce roman magistral traque le mal dans toutes ses racines humaines. Le mal qui détruit les corps et les âmes de ceux qui en sont victimes. Le mal qui transforme parfois les victimes en bourreaux.
    Survivre dans ces conditions devient la seule victoire mais elle a un prix très élevé en morts, en compromissions , en désespérance.
    Une histoire où le passé et le présent, les hommes , les femmes et les enfants sont emmêlés dans les haines et les vengeances. Pas de Happy end, juste un petit espoir que les plus jeunes s’en sortent.
    Toutes les idéologies sont renvoyées dos à dos au rang de monstruosités. L’Histoire est omni présente et les personnages – même si ce sont des personnages de fiction- ont existé.
    « Une histoire comme celle-ci ne peut naître exclusivement de l’imagination de l’écrivain. Beaucoup de gens m’ont aidé à lui donner un sens… » Victor del Arbol
    Bien que ce soit un pavé de plus de 600 pages , je l’ai lu en peu de temps tant je voulais savoir .la suite . J’ai parfois enchaîné jusqu’à 100 pages sans lever les yeux !
    Merci à toi de me l’avoir conseillé .
    Merci aussi au traducteur pour avoir transmis cette écriture limpide et percutante.

  8. Toutes les vagues de l’océan.
    Je vais te décevoir car je sais que tu aimes beaucoup cet écrivain, mais après 400 pages, j’ai décroché..
    Peut-être que je l’ai lu à un mauvais moment…je ne sais pas…mais j’ai trouvé vraiment trop long.
    Merci quand même de me l’avoir conseillé.

  9. Complément: j’ai pourtant réussi à terminer « Les bienveillantes » de Jonathan Littell, qui question horreur dont sont capables les humains n’a rien à envier à Toutes les vagues…

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