Serres, Karin « Monde sans oiseaux » (Stock 2013)

Serres, Karin « Monde sans oiseaux » (Stock 2013)

Résume de l’éditeur : « Petite Boîte d’Os » est la fille du pasteur d’une communauté vivant sur les bords d’un lac nordique. Elle grandit dans les senteurs d’algues et d’herbe séchée, et devient une adolescente romantique aux côtés de son amie Blanche. Elle découvre l’amour avec le vieux Joseph, revenu au pays après le « Déluge », enveloppé d’une légende troublante qui le fait passer pour cannibale. Dans ce monde à la beauté trompeuse, se profile le spectre d’un passé enfui où vivaient des oiseaux, une espèce aujourd’hui disparue. Le lac, d’apparence si paisible, est le domaine où nagent les cochons fluorescents, et au fond duquel repose une forêt de cercueils, dernière demeure des habitants du village. Une histoire d’amour fou aussi poignante qu’envoûtante, un roman écrit comme un conte, terriblement actuel, qui voit la fin d’un monde, puisque l’eau monte inexorablement et que la mort rôde autour du lac…

Mon avis : Oh que je n’ai pas aimé.. Mauvaise ambiance, trop défaitiste. Un peu le même thème que « la lettre à Helga », à savoir la confrontation entre une île vivant comme dans le passé et la civilisation. Mais j’ai trouvé très glauque.. Quelques jolies phrases, mais heureusement qu’il n’est pas trop long car j’en suis sortie avec une impression de malaise collée à la peau.

Extraits:

La peau du lac frémit, frise, se creuse comme une tôle ondulée puis explose en une immense vague qui asperge toutes les maisons du village sous le cri de ma mère qui me surplombe, petit corps gluant qui vient de ramper hors de sa nuit rouge pour atterrir sur le plancher au bout du cordon qui bat.

Ma mère a des yeux bleu rivière gelée, de fins cheveux blonds sévèrement tirés et de hautes pommettes au sang à fleur.

Au printemps, la neige fond sur les collines, et la terre la boit. Le soleil est encore si pâle, comment croire que c’est lui qui fait fondre l’hiver ?

La douleur est peut-être un organisme vivant, invisible mais réel, qui habite à l’intérieur de notre corps. Parfois, il se réveille, s’agite violemment, mais le reste du temps il dort. Du bout de ses tentacules, soudain, il appuie sur nos gencives, nos tympans, nos seins adolescents ou notre utérus comme là, maintenant, aaargh ! Et c’est lui qui nous suce le sang, de l’intérieur, qui boit toute l’eau de notre peau d’enfant. Mais que devient-il, quand on meurt ?

La vie est ronde. On se regarde, face à face, tellement près. On se connaît par cœur, on se redécouvre sans arrêt.

Elle sort de la maison jaune qui paraît brune sous cette lumière, descend les rues de planches jusqu’à l’eau sombre qui miroite, jette sa chemise de nuit en l’air et danse, nue, en silence. Puis elle saute dans l’eau qui se brise en mille éclats et se recompose en cercles noirs autour de sa tête qui émerge.

En automne, je retourne travailler à la ville. Mes pieds avancent, régulièrement, de l’embarcadère au bureau, du bureau au bar, du bar au bureau, du bureau à l’embarcadère, mais ma tête reste à la traîne. Quand je marche dans les rues, je vois le nom des gens flotter à côté d’eux, à hauteur de leur torse ou de leur taille, en lettres brillantes, et j’entends leurs pensées chuchotantes. Ce scintillement me fascine et m’épuise. Parfois, je suis des inconnus, au risque de me perdre, tellement leur nom frémissant leur va bien, ou leurs pensées sont musicales, rythmées. Et le jour s’éteint, mauve.

Les premières années, les ronflements de Jeff m’énervaient. Je sifflais, je le secouais, je le faisais rouler sur le côté, je le réveillais même, parfois, hors de moi : « Tu ronfles ! – Désolé. Je fais pas exprès. Je vais essayer de… » Maintenant, je les attends, je ne peux plus m’endormir sans. Une fois couchés, dos à dos, je respire régulièrement, pour l’entraîner, par mimétisme, et dès qu’ils commencent à résonner, je m’installe dans leur rythme râpeux, caverneux, comme dans un hamac.

Je le regarde tous les jours, pourtant. Sa chair qui s’affine et se plisse, ses cheveux qui blanchissent, je les regarde, je les touche, je les connais, je les aime mais sans observer de changement net, sans comprendre ce que cela annonce, sans voir notre temps passer. Je n’ai pas vu sa mort arriver. Pas prévu. Jamais pensé. Fauchée, je suis, à genoux dans la terre de notre potager.

Je n’arrête pas d’en accompagner vers le lac, dans leur cercueil d’osier. On ne sait jamais, la dernière fois qu’on voit les gens qu’on aime, que ce sera la dernière fois.

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