Gauz « Debout-payé » (2014)

Gauz « Debout-payé » (2014)

Résumé :

Debout-Payé est le roman d’Ossiri, étudiant ivoirien devenu vigile après avoir atterri sans papier en France en 1990.

C’est un chant en l’honneur d’une famille où, de père en fils, on devient vigile à Paris, en l’honneur d’une mère et plus globalement en l’honneur de la communauté africaine à Paris, avec ses travers, ses souffrances et ses différences. C’est aussi l’histoire politique d’un immigré et du regard qu’il porte sur notre pays, à travers l’évolution du métier de vigile depuis les années 1960 — la Françafrique triomphante — à l’après 11-Septembre.

Cette épopée familiale est ponctuée par des interludes : les choses vues et entendues par l’auteur lorsqu’il travaillait comme vigile au Camaïeu de Bastille et au Sephora des Champs-Élysées. Gauz est un fin satiriste, tant à l’endroit des patrons que des client(e)s, avec une fibre sociale et un regard très aigu sur les dérives du monde marchand contemporain, saisies dans ce qu’elles ont de plus anodin — mais aussi de plus universel.

Un portrait drôle, riche,et sans concession des sociétés française et africaine, et un témoignage inédit de ce que voient vraiment les vigiles sous leur carapace.

Mon avis : Petit livre très surprenant, un de ces OLNI (Objet livresque non identifié) qui fait plaisir à lire mais heureusement qu’il n’est pas plus long, bien que divertissant… Sorti de nulle part, encensé par la critique, j’ai voulu le lire.. Le livre est intelligent , j’ai souri et ri, plusieurs fois je me suis dit « bien vu ».. C’est drôle, bien observé, cela donne la vision des immigrés sur la France. Jamais vulgaire, l’auteur nous révèle les codes des grands magasins, la filière d’engagement, les dessous de la vente, les espoirs et les déceptions, les tenants et les aboutissants… Passé un bon moment.

Extraits :

Il y a aussi la fameuse lettre de motivation : « intégrer une équipe dynamique », « s’inscrire dans un projet de carrière ambitieux », « mettre en adéquation sa formation et ses compétences », « veuillez agréer monsieur », « sentiments distingués », « l’expression de ma plus haute considération », etc. Les circonlocutions moyenâgeuses et les phrases lèche-cul des lettres de motivation font sourire en un tel lieu et dans de telles circonstances

Pour tenir le coup dans ce métier, pour garder du recul, pour ne pas tomber dans la facilité oisive ou au contraire dans le zèle imbécile et l’agressivité aigrie, il faut soit savoir se vider la tête de toute considération qui s’élève au-dessus de l’instinct ou du réflexe spinal, soit avoir une vie intérieure très intense. L’option crétin inguérissable est aussi très appréciable

En Chine, il paraît que le mot « fesse » n’existe pas. Là-bas, on dit « bas du dos ». On ne peut inventer un mot pour une partie du corps qui n’existe pas

DEBOUT-PAYÉ : désigne l’ensemble des métiers où il faut rester debout pour gagner sa pitance

Colibri, Langouste, Tapir, respectivement à 92 %, 95 % et 98 % de viscose… Plus la concentration en viscose est élevée, plus les « nommeurs » choisissent des animaux étranges pour baptiser les habits

C’était toujours le même itinéraire. Ses pieds pouvaient faire le chemin tout seuls pendant que sa tête se perdait dans les souvenirs et les réflexions

À Sephora Les Champs-Élysées, le vigile est habillé en veste noire, pantalon noir, chemise noire, cravate noire. C’est le MIB : le Man In Black

. Il est interdit de rentrer dans le magasin avec une capuche sur la tête. Mais il n’est pas interdit d’entrer avec un voile, même intégral. Quelle attitude adopter quand apparaît cette jeune fille qui a une capuche sur un voile ?

Chanel numéro 5 et Allure de Chanel. Du parfum. Du vrai. Tu crois que tu es ici pour quoi ? Pour empêcher qu’on vole les mascaras à 10 € ou les pauvres Cacharel à 30 € ? Arrête-toi là et ne bouge plus. Si on en perd un seul, tu ne viens plus dans mon magasin

L’obélisque de la Concorde est la bite dressée, l’Arc de Triomphe est le trou du cul, et les Champs-Élysées la raie érogène qui relie les deux. Avec ces militaires et ces politiciens qui frétillent en tous ces points, on peut dire qu’aujourd’hui, la République se branle.

Quelle idée de poursuivre cet homme ? Et s’il est armé ? Et s’il est fou ? Et si c’est le vigile qui devient fou ? Quel genre de devoir remplit-on à poursuivre de la sorte un voleur de parfum ? Quelle idée de courir après quelqu’un qui a volé dans la boutique de Bernard, première fortune de France, une babiole ridicule produite par Liliane, septième fortune de France ? Un tel zèle, un tel manque de recul et de lucidité !

Capitalisme pur. Ces choses simples à exécuter, on peut confier leur exploitation à des nègres. En plus, en cas de grand besoin de main-d’œuvre, ils peuvent facilement mobiliser leurs “frères”. Ce n’est même pas du racisme, ce n’est pas une question de couleur de peau. C’est juste une question de blé, mon pote

Kassoum se sentait un peu ridicule, arrêté comme ça sur le trottoir, la tête en l’air à scruter un ciel bleu vide de nuages. Bleu. Vide de nuages. Bleu. Le ciel était bleu. Cela pouvait sembler banal mais Kassoum comprit ce qu’Ossiri voulait lui montrer. À Abidjan, jamais le ciel n’était bleu. Il était toujours chargé de troupeaux entiers de nuages étalant leurs dégradés de gris plus ou moins profond. Le vent, invisible berger, les emmenait paître de-ci de-là jusqu’à ce qu’ils s’épaississent, enflent et deviennent de gros cumulus massifs gris-noirs avant de se répandre sur la terre en de violentes pluies tropicales

Les malheurs sont toujours bien plus bruyants que les bonheurs

Notes : Débalousseur : voleur à la tire

 

 

 

2 Replies to “Gauz « Debout-payé » (2014)”

  1. L’écriture alterne entre ces récits de vie d’immigrés, depuis les années 60 à aujourd’hui, et des saynètes captées dans quelques boutiques, notamment sur les Champs Elysées où les vigiles tiennent debout à longueur de journées. On y sourit et rit souvent, parfois jaune (on n’oserait pas dire noir!). L’auteur est aussi photographe et a été lui-même vigile. Son regard attentif et féroce n’épargne personne, même s’il est plus ironique et bienveillant que franchement méchant. Il y en a pour les noirs qui jouent aux blancs, pour les blancs et les autres, pour le commerce et sa publicité, etc. Gauz y fait preuve d’un indéniable talent, tant dans ce qu’il sait voir que dans sa façon de nous le raconter. Si vous fréquentez parfois de tels lieux, vous risquer fort de ne plus les voir avec tout à fait le même œil.

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