Désérable, François-Henri «Évariste» (2015)

Désérable, François-Henri «Évariste» (2015)

Auteur : Né(e) à : Amiens , le 06/02/1987  . Il a fait des études de langues et de droit (jusqu’en thèse de doctorat) et a été joueur de hockey sur glace professionnel. Prix du jeune écrivain de langue française en 2012 pour Clic ! Clac ! Boum !, une nouvelle sur la mort de Danton.

Résumé : À quinze ans, Évariste Galois découvre les mathématiques ; à dix-huit, il les révolutionne ; à vingt, il meurt en duel. Il a connu Raspail, Nerval, Dumas, Cauchy, les Trois Glorieuses et la prison, le miracle de la dernière nuit, l’amour et la mort à l’aube, sur le pré.

C’est cette vie fulgurante, cette vie qui fut un crescendo tourmenté, au rythme marqué par le tambour de passions frénétiques, qui nous est ici racontée.

Mon avis : alors Évariste c’est un prix !… je ne sais pas lequel mais c’est un petit livre exceptionnel… Tout y est … et la beauté de la langue, l’humour, le côté historique, le rythme … tout tout tout… Et comme il est court, aucune excuse pour ne pas le lire…

Non ! ce n’est pas un livre sur les mathématiques (croyez-moi , je suis nulle en maths 😉 et l’idée de lire un livre sur les théorèmes ne m’aurait pas emballée…) – C’est un livre sur celui qui est décrit comme le «Rimbaud des Mathématiques, le Mozart des théorèmes » , l’inventeur de la théorie des groupes de l’Algèbre. C’est un livre sur l’envie, sur la motivation, sur la joie de faire et de découvrir, sur la volonté de vivre et sur la jubilation. C’est un livre sur les années 1830, sur les barricades, sur l’ambiance dans Paris. C’est un livre sur le rêve d’un jeune qui rêve d’entrer dans une grande Ecole et qui, à cause de son caractère enflammé va rater l’examen : il s’énerve car le sujet est trop simple et il envoie le chiffon à la tête de l’examinateur. Dans la foulée il rate aussi les « trois glorieuses » car le directeur de son école l’a enfermé dans l’établissement. De fait, il veut vivre à toute vitesse et il est sans cesse confronté à l’échec, au refus, au manque de chance… Il passe les derniers mois de sa courte vie en prison. Il passe sa dernière nuit à écrire et corriger son mémoire, qui va révolutionner l’algèbre, puis se fait tuer à l’aube en duel à l’âge de 20 ans pour l’amour d’une jeune fille. La théorie du complot est avancée mais non prouvée. C’est de fait l’histoire d’un jeune révolutionnaire exalté, plein de fureur, qui va comme la vie du jeune Evariste se dérouler à un train d’enfer. J’ai aussi bien aimé l’arrivée d’un personnage bleu… le choléra… Dans le livre, l’auteur parle à une demoiselle, le public en fait… il la prend par la main et alpague le lecteur.

Extraits

William Shakespeare, poète, dramaturge, écrivain (et écrivain de la trempe des Goethe, des Cervantès, des Molière, la coterie de happy few dont la langue a épousé le nom)

un jour de juillet 89 que l’on célèbre aujourd’hui en ne foutant rien, avachi devant la télé à regarder la Patrouille de France mettre le feu au ciel, les bourgeois mettent des piques entre les mains des paysans, les paysans des têtes au bout des piques, et entre les paumes de leurs mains, sur le cal des besognes immémoriales, coule le sang de la noblesse et du clergé

On raconte qu’elle était belle, mais les témoignages sont sujets à caution, la beauté subjective — pour le porc, rien n’est plus beau que la truie —, et ses canons évoluent — qu’est-elle, en effet, sinon une forme de laideur à la mode

On le prénommera Évariste, du grec áristos — « le meilleur ». Tout est déjà écrit.

qu’il était donc aux mathématiques ce que le petit Salzbourgeois était à la musique, rien de moins : un prodige qui se jouait des théorèmes les plus complexes comme l’Oreille Absolue se jouait des chants sacrés, qui de mémoire les retenait, les reproduisait après une seule lecture comme l’autre avait retranscrit après une seule écoute le Miserere tout entier

Que dire, de Cauchy, qui n’ait déjà été dit ? Il est né, on le sait, en août 1789 à Paris. Autant dire au-dessus du cratère pendant l’éruption du volcan

c’est là, sur la montagne Sainte-Geneviève, la seule qu’il fût à même de gravir, que Richard vit un jeune élève prénommé Évariste devenir Galois, de même qu’Izambard en classe de rhétorique à Charleville en vit un autre se prénommant Arthur devenir Rimbaud

Il le flattait comme on flatte l’encolure d’un cheval ; le donnait en exemple, en modèle ; chantait ses louanges ; comme Raphaël sur Dante tressait sur sa tête une couronne de lauriers

Ainsi furent les cinq premières années de la vie de Cauchy. Ces années, on ne les choisit pas, on les subit. La suite, on la choisit plus ou moins, et les choix de Cauchy furent radicaux, newtoniens : action, réaction

Qu’est-ce qui vous pousse à choisir la mort quand ce n’est pas elle qui vous choisit ?

On l’oublie trop souvent, mais c’est aussi l’enfant qui meurt quand meurt le père. La mort emporte le père dans la tombe, et la tombe se referme sur l’enfant

La mémoire, pour Dinet, primait sur la réflexion : il fallait être scolaire, médiocre, flamboyant dans la médiocrité. Vous aviez du génie ? Recalé. Évariste en regorgeait

À moins qu’il ne se fût embourgeoisé, ce fils de bourgeois, épousant une fille de bourgeois et devenant à son tour père de bourgeois qui héritent plus qu’ils ne méritent, se laissent porter par la vie du berceau à la tombe. Il vaut mieux mourir à vingt ans.

Mais avant il faut tout recommencer. Depuis le début, mon petit gars. C’est qu’en ce temps-là il n’y avait pas de clés USB, pas plus qu’il n’y avait de disques durs, de boîtes mails ou de ctrl + C, ctrl + V : on perdait un an de travail aussi facilement que sa virginité dans les bordels de la rue Saint-Honoré. Donc, refondre le mémoire. Cent fois sur le métier

Le mathématicien, dira Darwin qui à cette époque collectionne les coléoptères et pressent peut-être déjà que l’homme descend du singe et le singe de l’arbre, le mathématicien est un aveugle dans une pièce noire cherchant à voir un chat noir qui souvent n’est pas là.

de même que l’écrivain pour qui une phrase n’est pas une phrase tant qu’elle n’est pas la phrase, pour qui le texte est corps et souffle, rythme et puissance, grâce et poésie, pèse chaque mot avant de le placer dans l’écrin de ses pages, s’incarne dans le verbe, est le Verbe en personne

une maison en bord de lac, en bois et en couleurs, qui le jour s’évanouissait dans la brume et la nuit dans la nuit

quand la jeunesse est dans la rue, la rue exhale comme un parfum de révolution, de Grand Soir, de lendemains qui fredonnent. Puis les vacances arrivent ; chacun rentre chez soi (c’est qu’en fin d’année il y a le bac, l’année prochaine les études de droit, et dans vingt ans le vote à droite).

L’Histoire bégaie, se répète, c’est une vieille rombière qui radote sans cesse,

Quai de l’École, on aperçoit le drapeau bleu-blanc-rouge, trois couleurs pour lesquelles un gamin est mort en les plantant sur un pont : le gamin s’appelait Arcole ; ainsi s’appellera le pont

Puis vint le moment que tout le monde attendait, l’apogée de la pièce (car le prétoire est un théâtre, mademoiselle, un théâtre où l’on ne fait pas semblant), quand juste avant l’épilogue et la tombée du rideau rien n’est encore joué : la plaidoirie.

En s’accrochant à son bras il lui dit qu’il l’aimait, qu’il lui manquait quelque chose, ou plutôt quelqu’un qu’il puisse aimer comme il avait aimé son père aux yeux tristes comme la pluie en été

C’était à s’imbiber les doigts et à les foutre dans une prise électrique ; il ne le fit pas : on s’éclairait encore à la bougie.

la mort semblait venir de nulle part, c’est-à-dire de partout. Les riches avaient peur des pauvres, les pauvres avaient peur des riches, et tous avaient peur du vent — or c’est de l’eau, on le sait aujourd’hui, qu’il fallait se méfier

Comme le paon fait la roue vous lui faites votre cour

Vous ne lisez pas de romans, pas plus que vous ne lisez de poésie, ou sinon dans des tables de logarithmes, mais vous avez peur de paraître idiot, alors vous ajoutez que les poètes ont les sentiments courts, que c’est pour ça, sans doute, qu’ils vont si souvent à la ligne

Vous devez lui faire éprouver l’émoi que son corps vous inspire, prendre un chemin de traverse, partir du haut, de la prunelle de ses yeux aux longs cils recourbés, pour arriver là où depuis le début vous brûlez d’arriver — le tout, bien sûr, sans hâter le pas, mais en prenant garde de ne pas traîner. Alors, peut-être, vous l’aurez : il n’y a pas de fort imprenable, seulement des assauts mal menés.

Il est triste à mourir, comme peut l’être aujourd’hui la liste des meilleures ventes de livres au début de l’été

Il est cinq ou six heures du matin, ce bref intervalle où l’on ne saurait dire si c’est le jour qui arrive ou la nuit qui s’en va

ce sont les indices universels de l’amour déchu ; celui auquel on s’accroche et qui s’en va et ne reviendra plus ; qui s’éloigne et que l’on voit s’éloigner, impuissant, avec tristesse et résignation, de même que les deux licornes, sans doute, ont vu l’arche de Noé s’éloigner sur les flots qui devaient les engloutir comme nous engloutissent les flots du temps

Cet esprit, vous avez pu le saisir, en pénétrer les profondeurs opaques dans ces lignes jetées à la hâte, à la lueur d’une bougie. Et en les lisant vous avez vibré comme en les écrivant il a vibré dans la nuit, vous avez pleuré comme peut-être il a pleuré au petit matin en les relisant — du moins s’il eut le temps de les relire

Or il n’est pas mort. Il est tout entier dans les pages qu’il nous a laissées.

Je préférerai toujours le mystère aux certitudes bien forgées, le champ des possibles à l’indéniable vérité

 

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