Lemaître, Pierre «Trois jours et une vie» (2016)

Lemaître, Pierre «Trois jours et une vie» (2016)

 

Auteur : écrivain et scénariste français, né à Paris , le 19/04/1951. Fils d’employés de sensibilité politique de gauche, il passe son enfance entre Aubervilliers et Drancy.
Psychologue de formation, et autodidacte en matière de littérature, il effectue une grande partie de sa carrière dans la formation professionnelle des adultes, leur enseignant la communication, la culture générale ou animant des cycles d’enseignement de la littérature à destination de bibliothécaires.

Ses écrits : Verhoeven, tétralogie incluant : Travail soigné, Alex, Rosy & John, Sacrifices – Robe de marié (2009) – Cadres noirs (2010) – Trois jours et une vie (2016) – Trilogie de l’entre deux-guerres : Au revoir là-haut(2013) – Couleurs de l’incendie (2018)

Résumé : « À la fin de décembre 1999, une surprenante série d’événements tragiques s’abattit sur Beauval, au premier rang desquels, bien sûr, la disparition du petit Rémi Desmedt. Dans cette région couverte de forêts, soumise à des rythmes lents, la disparition soudaine de cet enfant provoqua la stupeur et fut même considérée, par bien des habitants, comme le signe annonciateur des catastrophes à venir. Pour Antoine, qui fut au centre de ce drame, tout commença par la mort du chien… »

Mon avis : Premier livre que je lis de cet auteur « culte » ou presque… J’entends déjà vos commentaires… Comment ? Mais t’as pas lu « LE Goncourt » ? Ben non … Le sujet ne me tente pas… désolée… mais cela viendra peut-être un jour… Par contre je n’ai pas été déçue par celui-ci.

Nous sommes en 1999. Antoine a 12 ans. Par accident suite à un accès de colère dû à la mort d’un chien qui était pour ainsi dire son seul ami il va tuer un enfant et ce tragique fait divers va hypothéquer toute sa vie future. Cela pourrait arriver à n’importe qui. Ce roman (pour moi ce n’est pas un polar) est fondé sur deux sentiments : la solitude et la peur. Le contexte social est aussi très important. C’est plus que le décor du roman ; petite bourgade confrontée au chômage, les usines ferment, jalousies et haines entre les habitants…Et juste après cet accident tragique, un invité surprise débarque sur le lieu de la tragédie : la tempête qui ravage tout sur son passage et fait changer toutes les priorités en faisant table rase du passé..

Ce roman se passe ans la tête d’un enfant de 12 ans qui va imaginer ce qui va lui arriver une fois que l’auteur du meurtre sera démasqué. Son angoisse est alimentée par la vision de la vie qui est la sienne, celle du monde qu’il voit tous les jours à la télévision, que ce soit aux nouvelles ou dans les séries télé. Le livre, tout comme en son temps l’affaire Grégory, fait ressortir les haines et les ressentis des habitants : les gens se soupçonnent, s’épient.

Donc je ne vais pas vous en dire plus. J’ai beaucoup aimé ce livre, qui est plus l’étude psychologique d’un petit criminel et de sa gestion de l’acte qu’il a commis. Les personnages font toute l’histoire. Le gamin qui veut protéger sa mère des conséquences de son acte irréfléchi ; la mère qui, inconsciemment a tout compris et qui le protège à sa façon, en occultant ses craintes. Tout est gris et tragique dans cette petite ville ; pas de place pour le sourire, pour l’intelligence, pour l’amitié… Les hommes sont mauvais et noirs, les filles totalement idiotes et vulgaires. La lueur est ailleurs…elle a disparu du village avec la disparition du petit bonhomme souriant que tout le monde aimait.. et qui semblait être la seule source de joie du bled… Elle est aussi dans Laura, une jeune fille lumineuse… mais parviendra-t-elle à occulter la noirceur de la projection imaginée dans le futur du jeune Antoine ?

Antoine, qui a tué son enfance, son avenir, sa foi en demain en tuant le petit Remi réussira-t-il à se libérer de sa culpabilité ? Ce gamin, partagé entre l’envie que la vérité éclate au grand jour et l’envie de tout dissimuler et de fuir parviendra-t-il à vivre ? Une vie conditionnée par l’angoisse, qui le forcera à prendre quelles décisions ?  Allez-vous condamner ou absoudre ce petit criminel ? A vous de voir et bonne lecture…

Extraits :

Il doit prendre une décision, mais quelque chose lui dit que c’est déjà fait : il va rentrer à la maison, ne rien dire, monter dans sa chambre comme s’il n’en était jamais sorti, qui pourra deviner que c’est lui ?

Il est anéanti par la dimension de la catastrophe. Sa vie, en quelques secondes, a changé de direction. Il est un assassin.
Ces deux images ne vont pas ensemble, on ne peut pas avoir douze ans et être un assassin…
Le chagrin qui le submerge est vertigineux.

Autour de lui la forêt craque comme un vieux bateau.

on avait le sentiment qu’il était le petit frère de tous les enfants comme il était déjà le fils de tous les adultes.

Elle fréquentait l’église quand elle avait besoin de secours. Dieu était un voisin un peu distant qu’on avait plaisir à croiser et à qui on ne rechignait pas de demander un petit service de temps à autre. Elle allait à la messe de Noël comme on visite une vieille tante. Il entrait aussi dans cet usage utilitaire de la religion une large part de conformisme.

Elle tenait à sa réputation comme elle tenait à sa maison et peut-être même comme elle tenait à sa vie car elle serait sans doute morte d’une faillite de sa respectabilité.

Il était saisi d’un trouble si intense et douloureux qu’il retrouva sa hâte.
Hâte de se faire prendre, d’être arrêté.
Hâte d’avouer. D’être enfin débarrassé. De pouvoir dormir, dormir.

Il y avait, dans cette irritation confuse, toute l’animosité que la menace sociale faisait peser depuis longtemps sur la collectivité et qui, à défaut de savoir s’exprimer ouvertement, se reportait sur cet événement.

C’était bien dans sa manière, quand on ne parlait pas de quelque chose, ce quelque chose n’existait plus.

Une fois de plus, il ressentit à quel point il avait hâte que cet orage qui le menaçait depuis deux jours éclate enfin.
Dehors, le vent, de plus en plus puissant, faisait claquer les volets dans leurs gonds.

Le vent ne cessa de forcir toute la nuit et devint si violent que même la pluie, intense et nourrie, qui était tombée jusqu’aux premières heures du matin, fut chassée et, épuisée, dut rendre les armes.

Il avait passé la nuit à imaginer la forme que prendrait la catastrophe maintenant inévitable. Il restait dans son lit, écoutant la tempête.

Il ressentait une corrélation confuse entre la situation de la maison tremblant sous la tempête et sa propre vie. Il pensait aussi beaucoup à sa mère.

Elle élevait, entre les faits qui la dérangeaient et son imagination, un mur haut et solide qui ne laissait filtrer qu’une angoisse diffuse qu’elle atténuait grâce à une quantité inouïe de gestes habituels et de rituels intangibles. La vie doit toujours reprendre le dessus, elle adorait cette expression. Cela signifiait que la vie devait continuer de couler, non pas telle qu’elle était mais telle qu’on la désirait. La réalité n’était qu’une question de volonté, il ne servait à rien de se laisser envahir par des tracas inutiles, le plus sûr pour les éloigner était de les ignorer, c’était une méthode imparable, toute son existence montrait qu’elle fonctionnait à merveille.

Elle s’exprimait à l’aide de généralités, d’idées qui, comme elles lui arrivaient toutes faites et prêtes à l’emploi, n’avaient quasiment pas besoin de passer par sa tête.

Après quelques minutes d’un dialogue silencieux qui faisait l’inventaire de leurs incompréhensions réciproques, il débarrassa et retourna dans sa chambre.

La conversation était terminée. Quoi se dire ? Il y avait entre eux autant de non-dits que de souvenirs.

Son imaginaire le replongeait dans la pire période de sa vie qui, à elle seule, avait condensé toute son enfance.

4 Replies to “Lemaître, Pierre «Trois jours et une vie» (2016)”

  1. Je l’ai lu également et je n’ai pas été déçue mais pas non plus enthousiasmée. Peut-être du fait de la comparaison émotionnelle avec « au-revoir là haut » que je te conseille vivement, il est haut, très haut dans les sphères des très bons bouquins.
    Dans « trois jours une vie » il manque cette émotion, enfin moi elle m’a manqué, je ne l’ai pas ressentie alors que le sujet traité est grave.

  2. J’ai beaucoup aimé « Trois jours… » mais il est vrai qu’après « Au revoir là-haut », je m’attendais à quelque chose qui me remuerait davantage.

    Je pense que tu te fais une fausse idée de « Au revoir là-haut » et que tu devrais essayer. Et, pour info si tu ne sais plus quoi lire, les polars de Pierre Lemaitre sont excellents également (surtout « Alex »).

    Bises.

  3. CatW..
    je me demande si le manque d’émotion ressenti n’est pas dû au fait de faire parler un enfant de 12 ans… renfermé, solitaire et angoissé…

    Corinne
    Je vais essayer les autres .. je sais bien que je vais finir par lire le « Au revoir là-haut » mais les éclopés de la vie.. pas trop envie …

  4. Comme le suggère Corinne, je confirme que le polar ALEX est l’un des meilleurs polars que j’ai lu ces 10 dernières années !

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