Guilcher, Armelle «Pour l’amour d’une île» (2015)

Guilcher, Armelle «Pour l’amour d’une île» (2015)

Résumé : Elle s’appelle Marine. Un prénom qui évoque sa passion, la mer. Cette mer qui entoure la petite île bretonne où elle est née et a grandi, jusqu’à la mort brutale de ses parents. Devenue médecin, Marine décide de retourner sur l’île perdue dans les brumes, au milieu des écueils qu’elle aime tant. Mais les mois passent et elle ne parvient pas à amadouer les habitants pour le moins distants. Les patients restent rares et l’hostilité est palpable. Une hostilité qui semble trouver sa source dans l’histoire familiale, ne laissant au « nouveau docteur », au bord du découragement, d’autres choix que de raviver le passé pour comprendre. Au risque de rouvrir des blessures enfouies. (Paru chez Pocket en 01.2016)

Mon avis : On prend le ferry et on quitte le continent pour s’installer sur la petite île de Marine. Retour aux sources, aux origines. Et on se retrouve immergé dans les haines intestines, dans la méfiance à l’égard de ceux qui ne sont pas totalement iliens (même si au départ l’ile était leur lieu de naissance).. Et j’ai plongé… Et en plus une femme médecin, non mariée… vous pensez bien … c’est mal vu ! Marine va être confrontée à la méfiance, au rejet… pour aller au bout de son rêve.. Les relations entre les jeunes les rapports hommes/femmes… Et au passage, un petit cours d’histoire de la Bretagne, de la collaboration des nationalistes bretons pendant la guerre… Marine va lutter au propre et au figuré contre vents et marées pour s’ancrer dans le paysage et la vie de l’île. Des jalousies, des amours contrariées, des amitiés entre jeunes et moins jeunes, des luttes d’influence, des générations qui se détestent ou se protègent ; la suspicion règne et le poids du passé est lourd à porter. Que c’est dur la vie en vase clos ! Allez-y, vous n’allez pas le regretter. Un roman à l’image de la météo : puissant, tempétueux, tumultueux, avec des vagues et des périodes calmes… mais la lame de fond n’est jamais bien loin.  Et aussi de très belles pages de tendresse et d’attachement aux ainés… Ce livre m’a fait penser à l’excellent « Les déferlantes » de Claudie Gallay… Si vous aviez aimé cette concordance caractère / histoire / nature, alors vous allez aimer.

Extraits :

En rejoignant son cabinet, elle s’adressa à la personne qui l’espionnait derrière le volet.
— Bonne soirée !

Non, je ne m’ennuie jamais grâce à cette merveilleuse capacité que j’ai de rêver à volonté. Dans mes rêves, je bâtis un univers en harmonie avec mes désirs les plus enfouis et dans lequel tout est parfait.

On aurait cru l’étrange appel d’un être irréel, le souffle de quelque esprit impalpable ou plus simplement la respiration de la nuit. La nuit vivait et par la magie d’une secrète alchimie, j’étais entraînée au cœur de cet univers fantastique.

Je me moquais pas mal de connaître la vérité. Ce qui m’importait réellement, c’était de continuer à croire en lui parce que je n’aurais pas accepté que s’effondrent mes valeurs.

Ce tableau, sublime, magnifié par l’adoration que je voue à ma terre natale, m’amène toujours à croire que je suis née en un lieu dont la singularité, la mystique sauvagerie collent à ma personnalité, un lieu qui de toute éternité m’a été destiné.

Ainsi je prenais soudainement conscience que notre abbé était un être de chair. Je me l’étais toujours représenté en mandataire d’une religion, autant dire sans existence physique, et voilà qu’il m’apparaissait avec les défauts, les tentations, la fragilité d’un homme. C’était une situation nouvelle qui éveillait en moi un désordre inconnu et troublant.

Le vent, la pluie, le froid, rien ne m’en dissuadait. J’allais ainsi chaque jour à la nuit tombée au-devant de ma ration de rêve. Dans une nature dépouillée, propice aux retours en soi, je ressassais ma journée, m’attardant surtout sur les moments de bonheur, moments si rares qu’il est parfois utile de les remâcher jusqu’à n’en plus pouvoir.

Île, mon sang, mes origines, mes blessures enfouies.

Si vu du port l’océan arborait un aspect pacifique, une fois au large l’illusion ne persistait guère. On aurait dit un gigantesque reptile ondulant violemment, décrivant des creux et des bosses et le bateau épousait fidèlement les méandres de la bête mugissante.

L’âpreté du sol se lisait sur le visage fermé des femmes, entièrement vêtues de noir, et sur la face burinée, sculptée par vents et marées, des hommes.

Les vagues s’écrasaient sèchement à un rythme constant. Elles s’étalaient, se retiraient, revenaient encore et le mouvement, monotone comme le tic-tac d’une horloge, finissait par endormir l’esprit.

Tous les ports se ressemblent, l’océan est le même partout, tantôt rieur, tantôt chagrin. Pourtant je reconnaîtrais mon île entre toutes.

C’est comme un film triste au cinéma, tu pleures, tu t’apitoies mais ce n’est pas pour autant que ta vie en est bouleversée. À la fin de la séance, tu essuies tes larmes et tu oublies. Là c’est pareil.

Malgré l’obscurité, je distinguais les larmes qui brillaient au bord de ses yeux. On aurait dit deux perles irisées, enserrées dans leur prison de cils.

J’avais peur de ce monde d’adultes que j’entrevoyais et qui m’aspirait inexorablement.

« À l’avenir, me promis-je, avant toute réaction intempestive (genre “je me drape dans ma dignité”) face à un litige quel qu’il soit, interroge-toi d’abord sur ta propre responsabilité. » Avais-je assez de générosité pour souscrire à ce principe ?

Autant je contrôlais parfaitement ma vie jusqu’alors, et peu importe qu’elle ronronnât ou que ce fût une enveloppe presque vide, autant je me demandais ce qu’il allait advenir de moi à l’issue de tous ces événements traumatisants.

Mes pensées étaient aussi embrouillées que la perspective que je découvrais de ma fenêtre.

Moi qui, en tout temps, en tous lieux, trouvais toujours à m’occuper, ne serait-ce qu’à rêver, voilà que l’absence d’activités me rendait morose.

Pour rapprocher deux êtres, il faut plus que le décider : des points communs, une même sensibilité, se divertir, s’émouvoir ou s’offenser des mêmes choses…

Au lieu d’attaquer d’emblée une langue relativement complexe, le professeur essayait de susciter en nous le désir de l’apprendre.

De peine, je n’en avais plus. Mon cœur était mort et c’était bien ainsi. Ma conversion en adulte, et en adulte indifférente à tout, s’était opérée à mon corps défendant. Mais cela était et me vaudrait peut-être une suite de parcours sans autres égratignures.

Dorénavant j’étais capable de me souvenir des êtres et non plus uniquement de leurs souffrances, celles qui jusqu’alors avaient alimenté les miennes.

Elle redoutait qu’à la faveur de la nuit, les fantômes du passé ne surgissent et ne l’entraînent avec eux dans un abîme sans fond qui l’engloutirait à jamais.

Elle aimait aussi la pluie. Lors des grosses averses, les quais étaient déserts et elle s’accoudait au parapet pour contempler les gouttes rebondir sur la surface de la mer. Cela faisait comme un voile de perles qui s’élevait au-dessus de l’écume des vagues.

Les excuses qu’elle se donnait pour justifier son émoi, elle en avait conscience, ressemblaient davantage à de la psychologie de bazar qu’à une véritable explication rationnelle.

Elle n’était pas malade. Elle s’éteignait comme une chandelle.

Des déceptions, tu en auras partout. Les gens sont par essence décevants. Alors si en plus tu rajoutes un lieu qui ne te satisfait pas, une façon de pratiquer ton métier qui ne te sied pas, c’est trop de désappointements à la fois.

Oublier c’était renier les raisons qui lui avaient permis de grandir, de s’aguerrir, de se façonner dans les deuils, les chagrins, pour finalement renaître, reconstruite, fortifiée, apaisée.

 

Image : echogeo.revues.org (modifiée en noir/blanc)

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