Mendoza, Eduardo «L’Ile enchantée» (1991)

Mendoza, Eduardo «L’Ile enchantée» (1991)

Résumé : Décidant un beau matin que seul le rêve mérite d’être vécu, Fabregas, un industriel catalan, fait sa valise, claque la porte et abandonne les siens aux lois de la routine barcelonaise.

Mais ce qui ne semblait être qu’une parenthèse se transforme peu à peu en un égarement absurde dans le labyrinthe mystérieux et cruel d’une Venise livrée à la décadence et à la décomposition : la vie de Fabregas devient soudain la proie d’une logique impénétrable dont le sens lui échappe. Inexorablement captivé par une jeune fille qui le fuit, il s’enfonce dans un dédale de rencontres fortuites, d’événements insolites, de situations cocasses où se bousculent, tantôt rêves, tantôt récits, les légendes citadines et les allégories lacustres.

Avec la verve, l’humour et le brio désinvolte qui l’ont rendu internationalement célèbre, Eduardo Mendoza nous entraîne cette fois dans un surprenant voyage sentimental, à la fois poétique et pittoresque, où l’histoire et fantaisie, rêve et réalité, conspirent pour brosser le portrait d’un personnage fantasque, envouté par le charme ténébreux des palais et des mythes vénitiens.

Mon avis : Mendoza est un écrivain que j’aime beaucoup et j’adore Venise ! Ce livre et moi étions donc faits pour nous rencontrer… mais la rencontre n’a pas été ce que j’espérais..

Un homme largue les amarres pour échapper à ses problèmes. Il fuit, quitte Barcelone et ses soucis pour se réfugier à Venise. Il fuit une vie bien réglée pour plonger dans l’imprévu, l’irrationnel, le monde des songes, des souvenirs, des légendes… De fait il se fuit lui-même et va errer sans but dans la cité des Doges. Il y fera des rencontres, et tous les personnages seront mystérieux et insaisissables ; une jeune fille et sa famille, une ancienne artiste, un docteur… Le tout dans une Venise obscure et brumeuse, à l’image de l’état d’esprit des personnages. Tous fuient leur vie et leur réalité et sont déconnectés de la vie réelle… Il y a la façade, les apparences, mais l’envers du décor et des visages est loin de faire illusion… On nage dans l’autodestruction, dans le refus de vivre sa vie, dans la folie … mais on ne sait pas trop où l’on va… Tous les intervenants sont totalement à la masse, mais malheureusement ils sont loin d’être attachants. L’auteur nous emmène dans une Venise en décrépitude, à l’image de ses personnages… Très belle écriture poétique pour cette description de la solitude intérieure dans un décor magnifiquement rendu. Une Venise intemporelle et irréelle… il manque quelque chose pour que j’adhère totalement … un manque évident d’attachement aux personnages.. je suis restée en marge, en spectatrice… et je ne suis jamais entrée dans l’histoire…

Extraits :

Rêver. Au fond, toute ma vie, je n’ai su faire que ça : rêver

— Franchement, je n’ai pas à me plaindre et je ne me plains pas, dit-il en guise de conclusion, mais parfois je peux difficilement empêcher une insurmontable mélancolie de s’emparer de moi. La réalité m’apparaît alors bien plus irréelle que les rêves.

Pourquoi ce souvenir revenait-il ? Il lui aurait suffi d’allumer sa lampe de chevet pour que s’évanouissent aussitôt personnages et paysage.

La vie semblait ne plus être pour elle qu’une succession de maux qu’elle s’efforçait toujours de surmonter : à la merci des fatigues et de la maladie, elle était celle qui dormait le moins ou qui perdait le plus facilement l’appétit. Si quelqu’un se plaignait ou semblait souffrir en sa présence, elle s’emportait, comme si la souffrance était une prérogative que l’on tentait de lui usurper.

Rien ne l’intéressait vraiment ; les choses n’éveillaient en elle qu’une curiosité passagère et superficielle.

Toute une vie pouvait-elle se résumer à n’être qu’un cas identique à beaucoup d’autres, banal et dénué de toute originalité ? Oui, se dit-il, les êtres humains sont sans doute prédestinés à se fondre dans une seule masse, dans un magma d’où n’en émerge qu’un parmi des dizaines de millions.

Il se souvint des portraits de ces saints à l’existence incertaine dont les prouesses, fruits de l’imagination populaire, étaient à jamais immortalisées dans les églises et les musées. Tout est si arbitraire, se dit-il une fois de plus.

les miracles sont une partie essentielle de la religion

Divaguant parmi les souvenirs tantôt récents, tantôt lointains qui l’assaillaient pêle-mêle, il avait le sentiment que sa vie n’avait été que vide et absurdité.

C’était, tout simplement, que l’évocation de son enfance n’apportait à sa mémoire que des images d’emprunt, illustrations de livres, photographies, scènes de films qui jadis l’avaient particulièrement impressionné. Ces réminiscences le contrariaient parce qu’elles se rapportaient non pas à des événements qu’il avait lui-même vécus, mais à des images représentant des épisodes vécus par d’autres, qui les avaient déformés en les lui racontant. Alors, convaincu qu’il n’avait pas vécu sa vie, il enviait ceux qui avaient eu un contact direct avec ces visions et ces aventures.

Comme les touristes qui appuyaient sur le bouton de leur appareil photo devant les monuments et les canaux de la ville, ces gens avaient vécu par l’intermédiaire de la photographie dans un monde limité, encadré par la technique de leurs professions respectives.

la vive impression de se trouver devant un portrait qui, soudain détaché de la toile, aurait pénétré d’un pas irréel dans l’espace des vivants.

Savez-vous que certaines étoiles, là-haut, sont en réalité éteintes depuis des milliers d’années mais qu’en raison de leur éloignement nous continuons à voir leur lumière et donc à admirer ce qui n’existe plus ? Cela montre à quel point les sens sont trompeurs et combien il est facile de leurrer les autres et de se leurrer soi-même. Et pourtant, quelle importance nous accordons à la vérité ! N’est-ce pas ?

Personne ne sait ce que les autres pensent. Tout au plus pouvons-nous entrevoir les mobiles immédiats de certains actes, et encore, sans en être sûrs. Croyez moi : ça ne vaut pas la peine de se faire du mauvais sang ni de souffrir inutilement. Personne ne vous donnera l’occasion de vivre une autre vie.

personne ne connaît les limites de la ruine, sauf ceux qui s’arrêtent, par fatigue ou par lassitude. Vivre ruiné, c’est comme voyager dans le cosmos : c’est sans fin.

Croyez-vous que la beauté est une friandise qui disparaît à mesure qu’on la consomme ? Allons, allons, vous confondez le beau et le nouveau. Montrez-vous intelligent : on peut toujours aller plus loin dans la contemplation de la beauté. Il suffit de le vouloir. Essayez et vous verrez que vous m’en saurez gré. Ne perdez pas de temps : vivez votre vie, réfléchissez, et, si après vous avez encore du temps libre, lisez.

En dépit de ses efforts, il ne parvenait pas à se concevoir comme une somme d’attributs mis bout à bout pour composer son identité. Il avait de lui-même l’image d’un être que des contradictions, tombées du ciel comme des extraterrestres, avaient choisi au hasard pour champ de bataille.

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