Makine, Andreï «La musique d’une vie» (2001)
Résumé : « Le premier concert du jeune pianiste Alexeï Berg est annoncé pour le 24 mai 1941. Fin du long purgatoire que sa famille a vécu durant les années de terreur. Promesse de célébrité future, de nouvelles rencontres parmi la jeunesse dorée de la capitale. Or, ce concert n’aura pas lieu. La vie d’Alexeï se jouera sur une partition différente, marquée par l’amour sans nom, par la familiarité avec la mort, par la découverte de la dignité des vaincus. Car ce « roman-destin » est d’abord un éloge de l’indomptable force de l’esprit, de la résistance intérieure. Et c’est aussi une histoire pleine d’un charme profond, qu’on lira et qu’on relira, un vrai joyau. »
Mon avis : Au moment où la vie du jeune homme aurait dû basculer vers le beau, elle bascule dans le sombre… Comme il le dit.. un peu comme la bataille navale… touché, coulé… Et au lieu de passer de l’ombre à la lumière, il se trouvera obligé à fuir, se cacher, usurper l’identité d’un soldat tombé sur le champ de bataille. Il survivra avec la peur d’être reconnu, la peur de se trahir. Il vivra aussi plusieurs sortes d’amour… Il se rendra insensible à la musique, jusqu’au jour où celle-ci explosera, jaillira de ses doigts, délivrant son être intérieur en même temps qu’elle le fera emprisonner. Encore une fois du grand Makine, un style magnifique, la sensibilité slave à fleur de peau.
Extraits:
« Soudain cette musique! Le sommeil se retire comme le rouleau d’une vague dans laquelle un enfant tente d’attraper un coquillage entrevu, et moi, ces quelques notes que je viens de rêver. »
« Et cette gare assiégée par la tempête n’est rien d’autre que le résumé de l’histoire du pays. Ces espaces qui rendent absurde toute tentative d’agir. La surabondance d’espace qui engloutit le temps, qui égalise tous les délais, toutes les durées, tous les projets. Demain signifie « un jour, peut-être », le jour où l’espace, les neiges, le destin le permettront. Le fatalisme … »
« … ces marques du passé lui échappent et me laissent deviner qu’il se promène dans une ville qui n’existe plus. »
« Il pensa de nouveau à la décalcomanie. Le monde tout entier ressemblait à ce jeu de couleurs : il suffisait de retirer une mince feuille grisâtre de mauvais souvenirs et la joie éclatait. »
« Même sous la verdure des boulevards, la torpeur moite stagnait, amortissant les bruits, enveloppant les arbres, les bancs, les poteaux des réverbères d’un reflet gris, celui d’une journée déjà vécue avant et dans laquelle on aurait pénétré par erreur. »
« La tranquillité des champs, le ciel, les étoiles embuées de chaleur, tout l’invitait à la confiance, à la joie de la vie. Tout mentait. »
« Cette pensée, cette idée livresque était probablement l’unique attache qui le reliait encore à son passé. »
« Avec étonnement, il se sentait de plus en plus distinct du vent, de la terre, du froid dans lesquels il avait failli se fondre. »
« Distraitement, il suivait le glissement des flocons qui semblaient voltiger dans une journée très ancienne, sur une ville oubliée. »
« Elle découvrait l’un des attraits les plus intenses de l’amour, celui de se faire obéir, de manipuler l’autre et, avec son consentement fervent, de lui enlever sa liberté. »
« …et se sentit désemparé devant ces souvenirs, où tout débouchait sur les ruptures, la solitude, la mort. »
« Il n’avait pas l’impression de jouer. Il avançait à travers une nuit, respirait sa transparence fragile faite d’infinies facettes de glace, de feuilles, de vent. Il ne portait plus aucun mal en lui. Pas de crainte de ce qui allait arriver. Pas d’angoisse ou de remords. La nuit à travers laquelle il avançait disait et ce mal, et cette peur, et l’irrémédiable brisure du passé mais tout cela était déjà devenu musique et n’existait que par sa beauté. »
« douze mois d’hiver, le reste c’est l’été »