Gros, Frédéric «Possédées» (RL2016)

Gros, Frédéric «Possédées» (RL2016)

Auteur : Frédéric Gros est professeur de pensée politique à Sciences-Po Paris. Essayiste, philosophe, grand connaisseur de l’œuvre de Michel Foucault qu’il a éditée pour la Bibliothèque de la Pléiade, il est déjà l’auteur de nombreux livres. On lui doit notamment : Etats de violence (Gallimard, 2005), Le principe Sécurité (Gallimard, 2012), et surtout Marcher, une philosophie (Carnets Nord, 2009), succès de librairie, qui a été traduit dans de très nombreuses langues.

Possédées est son premier roman. Il figure dans la première et la deuxième sélection du Prix Goncourt.

Résumé :

En 1632, dans la petite ville de Loudun, mère Jeanne des Anges, supérieure du couvent des Ursulines, est brusquement saisie de convulsions et d’hallucinations. Elle est bientôt suivie par d’autres sœurs et les autorités de l’Eglise les déclarent « possédées ». Contraints par l’exorcisme, les démons logeant dans leurs corps désignent bientôt leur maître : Urbain Grandier, le curé de la ville.

L’affaire des possédées de Loudun, brassant les énergies du désir et les calculs politiques, les intrigues religieuses et les complots judiciaires, a inspiré cinéastes et essayistes. Frédéric Gros en fait le roman d’un homme : Urbain Grandier, brillant serviteur de l’Eglise, humaniste rebelle, amoureux des femmes, figure expiatoire toute trouvée de la Contre-Réforme. Récit d’une possession collective, le texte étonne par sa modernité, tant les fanatismes d’hier ressemblent à ceux d’aujourd’hui.

Mon avis:

La mise en lumière d’un fait d’histoire avec comme personnages des gens qui ont réellement existé et été au cœur de l’affaire des possédées de Loudun. L’Histoire avec un grand « H » sous forme romancée. A cette époque, la ville de Loudun fut frappée par une épidémie de peste qui tue un quart de sa population. C’est à la fois un roman sur le prêtre de l’endroit et sur les nonnes du couvent des Ursulines. C’est aussi le roman de la manipulation, de la création du délire collectif qui dépassera largement le cadre local au moment où la politique s’en emparera. La possession des nonnes va se dérouler en deux phases ; la première va se tasser rapidement et le politique va réveiller le processus pour s’en servir pour arriver à ses fins.  Cette possession sera de fait un levier politique démoniaque (c’est le cas de le dire). L’instrumentalisation politique prend son essor. Ce qui aurait pu passer pour de la folie ou de l’hystérie sera instrumentalisé et recadré en histoire religieuse. Nous sommes en 1632 sous le règne de Louis XIII. Ce fait divers religieux va mettre le feu aux poudres ; les jeunes Ursulines vont accuser un prêtre de les posséder, en faisant entrer des diables dans leur corps. Bienvenue dans le délire érotico-religieux, dans les règlements de comptes des habitants de la ville. Maintenant il convient aussi de se demander si les jeunes Ursulines enfermées, qui sont en manque charnel et s’ennuient, sont bien possédées ou jouent une sorte de pièce de théâtre grandeur nature qui va les entrainer plus loin que ce qu’elles avaient imaginé et les rendre hystériques .. C’est la naissance de la « raison d’Etat » en France qui permet de faire tout et n’importe quoi. Richelieu est tout puissant ; à ses côtés son éminence grise, un fanatique religieux, le « Père Joseph ». Un ennemi : les protestants. En face, un prêtre tolérant, mais qui est beau, charismatique, qui aime les femmes et qui va s’opposer à Richelieu qui souhaite détruire les murailles de la ville. De plus, il est excellent orateur et est favorable à la fin du célibat des prêtres. Il écrira un pamphlet et un traité qui se retourneront contre lui. A un moment de l’histoire où la religion catholique se radicalise contre une autre religion – le Protestantisme –  (ce qui n’est pas sans faire écho à l’époque à laquelle nous vivons et où des délires religieux conduisent à la paranoïa et à la violence collective) cela fait scandale ! Le roman dénonce aussi les méfaits de la frustration sexuelle. L’importance du sexe, même chez les gens d’église. Je ne vous raconte pas l’histoire mais l’amour de Dieu et des hommes rayonne malgré les manœuvres sauvages des fanatiques religieux catholiques et la corruption qui règne à cette époque. Attention à la manipulation… C’est facile de pousser à haïr… Mais ce n’est pas la solution…

Ce qui m’a intéressé c’est de voir ce sujet traité d’un point de vue politique, ce qui est assez normal au vu de la profession de l’auteur. J’ai également été très réceptive à la description des personnages, des lieux, de la réalité historique. Deux catégories : les beaux qui sont nobles d’âme et purs de cœur et agissent à la lumière. Et les moches, envieux, qui sont noirs à l’intérieur et œuvrent dans l’ombre. Les scènes de torture, d’exorcisme, de folie des religieuses sont fortes, percutantes. Et la description de la petite bourgeoisie, des luttes de pouvoir fait froid dans le dos.

J’ai beaucoup aimé ce roman historique, le premier de cet auteur et j’espère qu’il en fera d’autres.

Extraits :

Loudun la superbe, Loudun l’arrogante se croyait réformée, elle affichait avec morgue sa dissidence, Loudun devenue la proie des huguenots. Les royalistes voulaient mater sa suffisance.

Et quand, le jour, on avait trouvé un intérêt de culture ou d’histoire, on se promettait : Je le dirai ce soir au cercle de Sainte-Marthe. On le gardait comme une provision d’écureuil.

Elle doit là peser, réfléchir, mesurer, méditer, apprécier, décider. L’engagement à prendre est définitif, irréversible, il est irrévocable. Elle aime ce mot là surtout : « irrévocable ».

Il flottait un air qui faisait tout entrer en suspension, portait les cœurs facilement aux lèvres

Elle avait lu d’une voix appliquée et très douce. Il a de son côté pris une voix plus lente et pénétrante. Il est debout et sa main, en expliquant, semble dessiner dans l’air une caresse.

On l’aimait secrètement, sachant que ce qu’on aimait le plus chez elle allait précisément dresser un rempart contre toute autre tentative. On ne pouvait que l’aimer impossiblement.

Le diable les Turcs, le diable les protestants, le diable les complices des huguenots et des Turcs.

Richelieu, avec ses complices dans Loudun, joue la carte catholique, loyaliste, nationale : ces murs, c’est la morgue protestante, une provocation permanente, une manière de narguer continûment le roi. Mais le cardinal recherche autre chose.

Eh bien, quand elle erre, le bleu des yeux devient intense, fixe, et cette flèche transperce. Chez elle le bleu est accueillant, avec ce vague et comme une transparence mouillée dès qu’elle est absolument décidée, sans concession. Et elle peut laisser ses yeux flotter comme des mouchoirs perdus. Mais là, elle reste debout les mains jointes, et le bleu catégorique hurle son trouble, les yeux écarquillés.

Si le corps des vierges abrite des démons, c’est qu’elles deviennent sorcières ?

– Nous interrogeons le diable en anglais. Vous savez comme moi que la connaissance des langues étrangères est sa marque.

Mais enfin, qui irait jamais prendre au sérieux des accusations démentes, est-ce qu’on fait crédit aux fous ? Mais il fallait se rendre à l’évidence : cela avait un peu pris quand même

On tient mieux dans la haine que dans l’amour. La haine se nourrit du temps qui passe, l’amour s’y use.

– La vérité, monsieur, celle des tribunaux, est une domestique. Elle se donne au plus offrant. Si vous n’avez pour vous que la vérité vraie, celle que reconnaît Dieu, monsieur, vous n’avez pas grand-chose.

Le temps use l’amitié, il décuple les haines. Le temps est contre vous,

Les vérités avec lesquelles nous gouvernons, monsieur, ne se tiennent pas dans l’intimité muette des consciences. Ce sont des spectacles.

Elle se répétait ces idées, une chose l’avait impressionnée : qu’une abstinence forcée ne pouvait que conduire aux pires excès, comme un fleuve retenu trop longtemps. Et la parole surtout, la parole de saint Paul : « Il vaut mieux se marier que de brûler. »

Je vous rappelle la parole de saint Thomas : « Il ne faut jamais croire le diable, même quand il dit la vérité. »

Elle ne le verrait plus sur terre, plus jamais. Qu’était-elle sans lui, à qui parler, comment savoir, comment penser demain sans lui ?

Image : Le prétendu pacte de Grandier avec le Diable

En savoir plus : https://savoirsdhistoire.wordpress.com/2015/09/02/panique-au-couvent-les-vierges-folles-de-loudun/.

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