Boley, Guy «Fils du Feu» (RL2016)
160 pages – paru le 24.08.2016 chez Grasset
Auteur : Guy Boley est né en 1952, il a été maçon, ouvrier d’usine, chanteur des rues, cracheur de feu, acrobate, saltimbanque, directeur de cirque, funambule à grande hauteur, machiniste, scénariste, chauffeur de bus, garde du corps, et cascadeur avant de devenir dramaturge pour des compagnies de danses et de théâtre. Il compte à son actif une centaine de spectacles joués en Europe, au Japon, en Afrique ou aux États-Unis. «Fils du Feu» est son premier roman. « Quand Dieu boxait en amateur » (RL2018) est la suite de ce qui sera au minimum une trilogie.
Prix : lauréat de sept prix littéraires (grand prix SGDL du premier roman, prix Georges Brassens, prix Millepages, prix Alain-Fournier, prix Françoise Sagan, prix (du métro) Goncourt, prix Québec-France Marie-Claire Blais).
Résumé : Nés sous les feux de la forge où s’attèle leur père, ils étaient Fils du feu, donc fils de roi, destinés à briller. Mais l’un des deux frères décède précocement et laisse derrière lui des parents endeuillés et un frère orphelin. Face à la peine, chacun s’invente sa parade : si le père s’efface dans les vagues de l’ivresse, la mère choisit de faire comme si rien ne s’était passé. Et comment interdire à sa mère de dresser le couvert d’un fantôme rêvé ou de border chaque nuit un lit depuis longtemps vidé ? Pourquoi ne pas plutôt entrer dans cette danse où la gaité renait ? Une fois devenu adulte et peintre confirmé, le narrateur, fils du feu survivant, retrouvera la paix dans les tableaux qu’il crée et raconte à présent. Ainsi nous dévoile-t-il son enfance passée dans une France qu’on croirait de légende, où les hommes forgent encore, les grands-mères dépiautent les grenouilles comme les singes les bananes, et les mères en deuil, pour effacer la mort, prétendent que leurs fils perdus continuent d’exister.
Dans une langue splendide, Guy Boley signe ainsi un premier roman stupéfiant de talent et de justesse.
Mon avis : Un énorme coup de cœur que ce livre de la RL2016.
Le récit se situe pendant les 30 glorieuses (entre 1946 et 1975) : Passage de la France rurale à la modernité. Nous sommes dans un village reculé, plongés dans la vie quotidienne d’une famille et de ses voisins.
Tout bascule dans la vie de la famille et de l’enfant narrateur du récit ; la vie de la famille tout comme la société qui plonge dans la consommation. Plus rien de stable dans ce monde en mutation. Son frère disparaît, le comportement de son père se modifie radicalement, sa sœur quitte la maison, sa mère bascule dans la folie…
Le roman commence dans le feu et les flammes, dans la forge de la création du monde qui fut l’univers de l’auteur dont le père était forgeron. L’enfant raconte : il raconte son monde, son village, son univers fait de bruit et de fureur, la forge, ces hommes façonnent le monde ; les femmes qui font les lessives ; les rapports entre les familles, les habitudes… Un drame : la mort de son frère… et la vie qui change… Sa mère, comme une de ses voisines, va refuser la mort de son fils et sombrer dans la folie… Et les rêves de liberté sont remplacés par la pesanteur de l’ambiance qui va remplacer et étouffer la joie de vivre… La lutte entre l’homme et le fer se transposera en lutte entre humains… Au lieu de frapper la matière, la force se transformera en coups, en affrontements … Et toutes les couleurs ( le rouge, l’or du feu,) vont faire place au gris …
Ayant perdu tous ses repères à ce bouleversement, le jeune tentera de fuir et de se réfugier dans les études, les arts, la sexualité ; il se cherchera tout en essayant de ne pas se faire détruire par son passé. Beaucoup de douleur, des échappatoires pour ne pas affronter une réalité et la fuite dans le rêve et l’imaginaire… La violence des sentiments et de la douleur passera par les couleurs et sera jetée sur des toiles … Jusqu’à la fin , la fuite et le rejet du passé…
Une écriture puissante, percutante, colorée, imagée à l’image des héros de la mythologie… Un livre de feu, de noir, de rouge, de flamboyance et d’étincelles … Des mots martelés, des envolées, des images… Les phrases qui scandent les émotions, sur fond de références mythologiques et culturelles. Une poésie en prose, une écriture en alexandrins, des descriptions qui font de vous les spectateurs des scènes décrites, des statues figées face à des scènes du monde des enfers ou de la mythologie… les dieux des enfers entrent en scène… et je suis restée scotchée …….
Extraits :
Ils étaient incultes, c’est-à-dire intelligents mais sans les livres capables de leur nommer, soit cette intelligence, soit cette inculture.
« Tu périras par le fer » était-il écrit à la fois dans la Bible et dans Les Trois Mousquetaires. Dieu et Alexandre Dumas ne pouvaient pas ensemble se tromper sur une phrase aussi brève et bénigne. D’autant qu’armures, fléaux, épées, boucliers, baïonnettes, poignards, fleurets, écus : tout n’était que fer, tout n’était qu’acier. Acier, acier, acier ! Alors acier acier assieds-toi petit que je te forge l’âme entre enclume et marteau, que je te forge un arc à hauteur de tes rêves.
Mort de son vivant. À répéter inlassablement les mêmes gestes, à dire les mêmes mots et à feindre de vivre en prenant des allures de quelqu’un d’important […]
Puisque tout n’était que brillance et tout dans l’apparence. Puisqu’il fallait briller. Briller de l’extérieur, pourrir de l’intérieur. Briller en société, mourir de solitude.
[…] m’amusais tout seul avec les pinces à linge. Je leur ouvrais le bec d’une simple pression et les faisais parler, mordre, rire ou bâiller, selon qu’elles devenaient humaines, gorgones, fantômes, licornes ou crocodiles.
c’est ainsi que l’on devient un homme, un conquérant, un Attila en herbe : en reniant son passé, en écrasant autrui ; surtout s’il est petit ; surtout s’il nous renvoie l’image de ce que l’on fut naguère.
ces fragments d’éternel qui m’ont porté, moi, fœtus, des étoiles à l’ovule, du néant jusqu’ici, traversant les saisons, les siècles et les empires, les tranchées, les charniers et les épidémies.
[…] en riant bien sûr, en riant à chaudes larmes.
Ce sont pourtant des années que l’on nommera Glorieuses : le roi nommé crédit distribue à la volée de pleines poignées de billets permettant d’acheter des meubles en aggloméré, des tables en Formica, de la vaisselle transparente en Pyrex, des oreilles de Mickey et des Général de Gaulle en forme de tire-bouchon.
Papa a démâté et maman éplorée est en train de naufrager à l’intérieur d’elle-même.
Les petits riens aux petits riens s’additionnent, faisant mourir les mondes, périr les civilisations : on tourne en rond avec l’automobile comme tournent les moines sur le pavé des cloîtres, on pilonne les livres en massacrant les mots derrière le noir et blanc d’un écran de télé qui a cependant l’élégance de se nommer encore Radiotélévision, histoire de faire croire que la parole est reine, lors qu’elle est déjà condamnée, mise en joue par ces réclames naïves, aux tons pastel, qui deviendront de la pub et régiront le monde. La complainte du progrès, on connaît la chanson ; on n’en écrira pas tous les couplets. Le confort de la laideur a pris la place de l’inconfort du beau. On sacre l’inutile, on glorifie le gadget, qu’importe que Dieu soit mort ou juste à l’agonie : on a des pinces à sucre, des bigoudis chauffants.
Mais pour un enfant, une mère n’est qu’amour.
C’était assez fréquent qu’elle fuie la réalité et qu’elle se mette à vivre de l’autre côté de l’écran.
[…] j’aimais comme aiment les enfants, c’est-à-dire à plein cœur, et démesurément.
[…] je me suis enfermé à l’intérieur des pages comme derrière des barreaux. À tel point que je ne voulais plus quitter ni ma chambre, ni ces livres qui demeuraient, sans que je m’en rende compte, ouverts à la même page.
Je suis heureux, ou plutôt libéré ; je sais à présent que je n’emporterai rien de mon passé, rien de mon enfance. Rien de cette maison.
La question qui m’intrigue et dont la réponse à chaque fois m’émerveille est celle-ci : d’où va surgir la lumière ? De quel amas de matières, de quel coin du tableau, de quel endroit de moi-même, de quel passé, de quelles insoupçonnables profondeurs, de quelle victoire, quelle défaite, quelle joie ou quelle douleur ?
La lumière d’un tableau participe certainement d’un même mouvement de soi. Qui sait si la lumière qui sourd de la matière que l’on pose sur une toile n’est pas née, elle aussi, d’un grand choc de planètes, d’un grand chaos d’étoiles, d’une conscience qui se meut par-delà le mouvement ? Quelque chose qui pourrait par exemple se nommer tout simplement l’enfance.
[…]quand les arbres fruitiers, se prenant pour des troubadours, se paraient de guipures multicolores qui mélangeaient tendres pastels et arrogants carmins, quand les arbustes dégoulinaient de guirlandes violettes
4 Replies to “Boley, Guy «Fils du Feu» (RL2016)”
La feuille est grande ,j’ajoute .
J’ai parlé de ce livre avec ma copine libraire hier suite à la lecture de ton avis.
Du coup, nous le rajoutons toutes les deux à notre liste de livres à découvrir.
La mienne de liste n’en finit pas de s’allonger …:-)
Je pense qu’il devrait te plaire 😉 J’attends ton avis avec intérêt.
Cath, ton commentaire : « des mots martelés, une écriture percutante », est une invitation irrésistible à la découverte, et encore un livre…et encore un…que j’ai envie de lire…