Couto Mia « la véranda au frangipanier » (03/2000)

Couto Mia « la véranda au frangipanier » (03/2000)

Paru chez Albin Michel.

Résumé : Après Terre somnambule et Les baleines de Quissico, l’écrivain mozambicain Mia Couto poursuit avec ce nouveau roman une œuvre singulière, quête incessante des racines et d’une identité nationale perdues.

Fortement marqué par la tradition orale africaine, animé de légendes, d’épisodes fabuleux et de sagesse populaire, cet étrange récit aux allures de faux roman policier est hanté par un crime véritable : celui qui consiste à tuer le passé d’un peuple. Et à travers l’aventure d’Ermelindo Mucanga, mort rendu à la vie pour quelques jours, c’est l’histoire violente du Mozambique qui est évoquée et dont un frangipanier, au cœur d’une ancienne forteresse transformée en asile, est le témoin muet…

Nourri de toute une mémoire collective, ce récit fantastique, poétique et souvent drôle, illustre toute la puissance d’évocation d’une littérature métissée, dans son inspiration comme dans sa langue, dont Mia Couto demeure l’un des plus brillants représentants.

Mon avis

Un pangolin ? Les pangolins (du malais pang goling : « celui qui s’enroule ») ou Manidés encore appelés fourmiliers écailleux, sont des mammifères insectivores édentés dont le corps allongé est en grande partie recouvert d’écailles, qui vivent dans les régions tropicales et équatoriales d’Afrique et d’Asie du Sud-Est. Avec ses écailles soudées on peut le confondre avec les membres de la classe des reptiles. Et le pangolin, meilleur ami du mort, a le pouvoir d’offrir à la personne qui repose sous le frangipanier de la véranda de retourner faire un tour dans le monde des vivants en habitant un humain, policier de son état. Avec lui nous allons mener une enquête sur un crime dans l’asile de vieux… entre les vivants, les vieillards presque morts et les esprits, les absences de mémoire, les mensonges et les souvenirs, vrais et faux… Entre légendes, croyances, traditions et contes populaires, sorcières et esprits, dans le monde fantastique… avec son style si particulier, si flamboyant, si original et innovant… si poétique… ses mots inventés et imagés. Passé et présent se mélangent, dans un lieu et un univers hors du temps et hors du monde… En toile de fond, le non-respect des morts, les rites des enterrements non respectés, la tradition bafouée par le modernisme, qui affecte le repos de l’âme et la force à errer après la mort..

 

Extraits :

« Les heures entre ses murs, dans ce lieu empesé tout entier de silences et d’absences, se sont décolorées. »

« Aujourd’hui je sais: l’Afrique nous vole notre être. Et elle nous vide a contrario: en nous remplissant d’âme. »

« Ma vie s’est enivrée du parfum de ses fleurs blanches au cœur jaune. En ce moment il ne sent rien, en ce moment ce n’est pas le temps des fleurs. Vous êtes noir, inspecteur. Vous ne pouvez pas comprendre combien j’ai toujours aimé ces arbres. C’est qu’ici, dans votre pays, il est le seul qui perde ses feuilles. De tous les arbres le frangipanier est le seul qui se dénude ainsi, il fait comme si allait survenir un Hiver. Lorsque je suis arrivé en Afrique, après je n’ai plus jamais senti l’Automne. C’était comme si le temps arrêtait son cours, comme si c’était toujours la même éternelle saison. Seul le frangipanier me restituait ce sentiment du passage du temps. Non que j’aie encore besoin aujourd’hui de sentir passer les jours. Mais le parfum de cette véranda me guérit des nostalgies des années que j’ai vécues en Mozambique. Et quelles années ce furent ! »

« Je fais provision d’infini, m’enivre petit à petit. Oui, je sais le danger que c’est : qui confond eau et ciel finit par ne plus distinguer vie et mort.  »

« la vieillesse, qu’est-ce que c’est sinon la mort en stage dans notre corps ?  »

« Tu sais semblant d’être de pierre, Et bien, alors : c’est pas fait, la pierre, pour qu’on marche dessus ?  »

« Ceux qui meurent disparaissent tellement loin, c’est comme s’ils étaient des étoiles qui tombent. Ils s’éteignent sans faire de bruit, sans qu’on sache où ni quand

 » Cela m’est pénible de rameuter mes souvenirs. Parce que la mémoire m’arrive déchirée, en morceaux qui ne s’assemblent pas. Je veux le repos de n’appartenir qu’à un seul lieu, je veux la tranquillité de ne pas avoir la mémoire partagée. Etre tout entier d’une m’même vie. Et avoir de la sorte certitude de mourir en une seule fois. Cela m’est pénible d’égrener tant de petites morts, celles que nous sommes les seuls à noter, à l’obscur de notre intimité. »

 » Toi Blanc, tu me feras toujours rire. Tu es une bonne personne. – C’est là que tu te trompes, Nhonhoso: je ne suis pas bon. Ce que je suis, c’est ralenti dans les méchancetés.  »

« Le fatiguaient, oui, les choses sans âme. L’arbre au moins, disait-il, a une âme éternelle : la terre elle-même. On touche le tronc et on sent le sang de la terre qui circule dans l’intime de nos veines.

 » Pour tout vous dire, la vérité est que je ne me sens heureuse que lorsque je me fais eau. Dans cet état, pendant que je dors, je suis dispensée de rêver : l’eau n’a pas de passé. Pour le fleuve, onde qui va sans jamais cesser d’aller, tout est toujours aujourd’hui.  »

« Vous voulez dire que, pour vous, je ne suis pas un homme bon ?

– Tu n’es ni bon ni mauvais. Simplement, tu inexistes.

– Comment ça, j’inexiste ?  »

« J’étais une malade sans maladie. Je souffrais de ces accès de fièvre que seul Dieu endure. Il s’est produit ceci : d’abord j’ai perdu le rire ; ensuite, les rêves ; pour finir, les mots. Tel est l’ordre de la tristesse, la façon dont le désespoir nous plonge dans un puits humide.  »

 » L’écrit était sa seule parole. Elle s’enfermait dans sa chambre, enveloppée dans la pénombre. Le papier était sa seule fenêtre.  »

 

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