Ruiz, Olivia «La commode aux tiroirs de couleurs» (2020)

Ruiz, Olivia «La commode aux tiroirs de couleurs» (2020)

Autrice : nom de scène d’Olivia Blanc, est une auteure-compositrice-interprète, chanteuse, actrice, réalisatrice et romancière française née le 1er janvier 1980 à Carcassonne.

JCLattès – 03.06.2020 – 197 pages

Résumé : A la mort de sa grand-mère, une jeune femme hérite de l’intrigante commode qui a nourri tous ses fantasmes de petite fille. Le temps d’une nuit, elle va ouvrir ses dix tiroirs et dérouler le fil de la vie de Rita, son Abuela, dévoilant les secrets qui ont scellé le destin de quatre générations de femmes indomptables, entre Espagne et France, de la dictature franquiste à nos jours. La commode aux tiroirs de couleurs signe l’entrée en littérature d’Olivia Ruiz, conteuse hors pair, qui entremêle tragédies familiales et tourments de l’Histoire pour nous offrir une fresque romanesque flamboyante sur l’exil.
 » Un magnifique roman sur l’exil. Un petit bijou.  » Le Parisien  » Une fresque familiale vibrante.  » Version Femina « Un texte délicat, poétique et poignant ». RTL « Par la grâce d’un livre, les racines refleurissent.  » Courrier de l’Ouest « Cette épopée ne s’oublie pas.  » Le Figaro « Le partage est la morale de ce récit ardent ». Le Monde des livres « Un émouvant premier roman autour d’une lignée de femmes frondeuses, marquées par le déracinement ».
Elle « Un superbe premier roman ». Europe 1  » Une réussite.  » Causette « Racé comme du Almodóvar. Un coup d’éclat et un coup de maître. Une écrivaine démente ». Le Point

Mon avis : J’ai adoré ! Un livre sur les racines, sur la transmission de l’histoire familiale. Une histoire de femmes, une histoire sur les non-dits..
C’est l’histoire du déracinement, de l’arrivée de familles qui arrivent d’Espagne … c’est « la retirada » en 1939, c’est la fuite des espagnols vers la France. C’est la difficulté de s’intégrer, c’est un livre sur l’identité, les réfugiés. L’Abuela c’est les souvenirs, c’est les racines, c’est le socle, c’est la mémoire, c’est toutes les femmes en une seule.
Et même s’il y a des drames, il y a cette vivacité, ce soleil, cette marche en avant, cette énergie, les couleurs du Sud. Il y a l’importance de la langue, de l’identité, de l’intégration mais aussi du clan, de la transmission des gènes, des origines, du sang des générations qui coulent dans nos veines. Il y a l’amour, la complicité, les rapports entre femmes, l’importance de la famille…
Cette façon de partager qui me fait penser à certaines des chansons d’Olivia, avec cet amour de l’Espagne, de la famille, de la musique, ce coté tactile et latin des gens qui s’embrassent… Et ces mots de l’enfance, ces touches de souvenirs par des mots espagnols qui émaillent le recit.
Par moments j’ai pensé aux livres de Lydie Salvayre, cette romancière que j’aime tant.

Extraits :

Ça pétarade en moi comme le moteur d’une Harley. Je me reprends. C’est vraiment tout ce qu’elle déteste, la sensiblerie.

Mieux vaut croire au Père Noël et souffrir d’apprendre son inexistence que de ne pas goûter au plaisir de la rêverie infinie qu’il engendre, non ?

C’est si facile de partir quand on ignore que c’est peut-être pour toujours.

Autour de nous, les familles étaient déchirées, se disloquaient en larmes, oubliant la morsure du vent tant celle des cœurs était violente.

J’adorais parler le français, je me sentais toute neuve en le pratiquant ; mais les occasions manquaient.

Je l’aimais bien, mais je trouvais mes rêves beaucoup trop grands pour lui. Cela annihilait toute ambiguïté dans nos rapports, malgré le rosissement de ses joues dès que nous nous effleurions.

Cela ne me faisait pas rêver, moi, tout ce qu’elle trouvait rassurant. Un travail. Un mari. Le sens des responsabilités. Est-ce qu’un cheval sauvage s’inquiète d’avoir les sabots entretenus ?

Comme toute gosse de quinze ans, j’avais besoin d’un cadre. Le mien s’était fissuré de trop de non-dits.

Les lois intra-muros ne sont pas les lois de la rue, ni des lois universelles, ce n’est pas ça la liberté. La liberté, c’est être soi-même dedans et dehors.

Je me dis qu’il est fou et c’est ce que j’aime chez lui. À viser l’impossible on peut atteindre au moins le merveilleux.

Ah oui, savoir d’où l’on vient pour savoir où l’on va.

Avant, je parvenais à m’oublier dans chacun des minuscules fils qui composent le tissu. J’étais l’un d’eux, je voyageais dans le tissage, à m’y fondre, à m’y perdre, pour ne pas penser et mettre tout ce que j’étais au bon accomplissement de mon ouvrage. Je ne sais plus m’abandonner, je suis verrouillée.

D’ailleurs c’est pour ça qu’il danse. Au moins là, il en dit, des choses. Il le dessine avec son corps, ce sac de nœuds qui l’a fait passer à côté de sa vie et qui m’est resté incompréhensible. S’il n’avait pas eu la danse, il aurait implosé probablement, à toujours tout garder comme ça. Pire qu’un Espagnol. Au moins, nous, on communique, on exulte, même si on se détourne du fond, de nos fonds, par pudeur.

Le souvenir, c’est bien quand il te porte. S’il te ralentit ou même te fige, alors il faut le faire taire. Pas disparaître. Juste le faire taire, car à chaque moment de ta vie, le souvenir peut avoir besoin que tu le réveilles pour laisser parler tes fantômes. Ils ont tant de choses à nous apprendre si on se penche un peu sur ce qu’ils nous ont laissé.

Je voudrais disparaître, ou mieux, ne pas avoir existé du tout. Je voudrais qu’aucun futur ne m’attende plus jamais.

Qu’il est lourd le silence quand on n’a pas d’outil pour l’anéantir.

Imagine, si dès le départ l’humanité avait adopté un langage universel comme celui des sourds-muets ! Regarde à quel point cela aurait changé notre vie et celle de tous les gens comme nous. Ceux qui ont quitté leur mère-patrie contre leur gré, je veux dire. Arrivés en France, on aurait pu s’expliquer, leur raconter ce qui se passait chez nous et nous a forcés à nous installer chez eux. Plutôt que de rester prostrés, à s’excuser d’être là, alors qu’on essayait simplement de ne pas mourir !

Comprendre d’où je viens me sauvera peut-être, moi ; rencontrer des personnes qui pourraient m’en dire plus sur mon histoire m’y aidera sûrement.

Pour moi comme pour beaucoup d’immigrés, qui ne sont ni d’ici ni de là-bas, le voyage est une autre résidence, comme la langue est une maison. Le mouvement, chez moi, est un ancrage. Entendre et parler espagnol en revanche, c’est fredonner l’air de ma première berceuse. C’est redevenir l’enfant que j’ai été, c’est être au plus près de ce que je suis. Avant que la vie ne m’esquinte.

Ah, la culpabilité ! En voilà encore une belle, de nos spécialités, qui ne sert qu’à nous faire perdre du temps. Déleste-toi de ça, mi cielo. Tire des leçons de tes erreurs au lieu de t’apitoyer.

Le café nous rappelait que notre différence était une richesse si nous le décidions. Ta mère a fait de sa latinité une force.

Il était dans cet état morose, pas la fatigue d’une bonne grippe, non, la fatigue du cafard, ce spleen si fort qu’il nous écrase les épaules et nous rend marshmallow.

 

2 Replies to “Ruiz, Olivia «La commode aux tiroirs de couleurs» (2020)”

  1. Moi aussi j’ai adoré. Et dévoré.
    Il y a de l’émotion, de l’humour, des couleurs, des odeurs, …. tout un héritage.
    Merci pour ton envoi.

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