Salvayre, Lydie « Autoportrait à l’encre noire » (RL2025) 224 pages

Autrice : Lydie Salvayre, née Lydie Arjona le 15 mars 1946 à Autainville (Loir-et-Cher d’un père Andalou et d’une mère catalane, réfugiés en France en février 1939, Lydie Salvayre passe son enfance à Auterive, près de Toulouse.
Après une Licence de Lettres modernes à l’Université de Toulouse, elle fait ses études de médecine à la Faculté de Médecine de Toulouse, puis son internat en Psychiatrie. Elle devient pédopsychiatre, et est Médecin Directeur du CMPP de Bagnolet pendant 15 ans. Lydie Salvayre est l’auteur d’une vingtaine de livres traduits dans de nombreux pays et dont certains ont fait l’objet d’adaptations théâtrales.
Publications : « La Déclaration » (1990) est saluée par le Prix Hermès du premier roman. En 1991 elle publie « La vie commune », en 1993 « la médaille », en 1995 « la puissance des mouches », « La Compagnie des spectres » (1997) reçoit le prix Novembre (aujourd’hui prix Décembre), en 1997 « Quelques conseils aux élèves huissiers », en 1999 « La conférence de Cintegabelle », en 2000 « les belles âmes », en 2001 « le vif du vivant », en 2002 «Et que les vers mangent le bœuf mort » et « Contre », en 2003 « Passage à l’ennemie », en 2005 « La Méthode Mila », en 2006 « Dis pas ça », en 2007 « Portrait de l’écrivain en animal domestique », en 2008 « Petit traité d’éducation lubrique », en 2009 « BW »(le prix François-Billetdoux), en 2011 « Hymne », en 2013 « Sept femmes », en 2014 Pas pleurer (récompensé par le prix Goncourt 2014), en 2017, elle publie «Tout homme est une nuit», en 2019 «Marcher jusqu’au soir», en 2021 « Rêver debout », en 2023 « Irréfutable essai de successologie », en 2024 «Depuis toujours nous aimons les dimanches », «L’honneur des chiens », « Lydie Salvayre – Écrire entre deux langues (Collectif) », en 2025 «Autoportrait à l’encre noire »
Robert Laffont – 04.09.2025 – 224 pages
Résumé: Un autoportrait clairvoyant, où la littérature paraît comme le seul pays qui compte. Sensibilité, générosité, drôlerie nourrissent le baromètre intérieur d’une de nos plus grandes romancières contemporaines. J’écris parce que je ne sais pas parler. De cela, je suis sûre. Ou peut-être que Lydie Salvayre ne peut pas parler. Dans cet autoportrait qui joue avec le genre, elle interroge son goût de la solitude et les racines de son allergie aux codes sociaux.
Sensibilité, générosité, drôlerie nourrissent le baromètre intérieur d’une de nos plus grandes romancières. Et derrière son humour canaille, elle dessine les paysages du seul pays qui compte à ses yeux, celui de la littérature. « Lydie Salvayre ne se raconte pas pour se flatter, mais pour taper du pied, telle une danseuse de flamenco, dans la fourmilière des convenances, des vanités et des lâchetés.
Mon avis:
En général je ne suis pas très intéressée par les autobiographies mais concernant Lydie Salvayre, je ne pouvais pas passer à coté. Tout d’abord car j’aime cette autrice en tant que femme et je me doutais bien que ce serait une bio hors-normes. Ce fut le cas. Elle se livre, ses peurs, ses sentiments, ses réflexions, et son vécu de psychiatre laisse une empreinte.. et surtout en prime elle adosse sa vie à son amour des livres…
Bien évidemment, elle parle de sa vie, de son passé : parents espagnols réfugiés politiques, famille prolo, père colérique et méchant, mère toujours présente et aimante, enfance pourrie, sentiment d’infériorité, son rapport l’enfance, à la honte, à ses peurs, aux causes sociales, sa conscience politique. Sa famille : son père et sa colère… comme elle le dit « Mon père qui s’encolère … (contre tout…. ), une colère qui va de pair avec la méchanceté et le chagrin… Il y a sa mère (la bonté même) et son « fragnol »; ses deux soeurs…
Et puis il y a Albane… sa petite voisine qui est jeune, qui oppose sa vision du monde, celle de sa génération, la génération Z et qui essaye de lui faire écrire du feel-good…
Elle n’aime pas parler, elle a peur des voyages et déteste ça. Elle parle de son amour pour la solitude, de sa timidité excessive qui la rend maladroite et agressive. Elle parle de sa love story humanimale ( avec sa chienne)
Et puis il y a sa manière d’écrire, que j’aime tellement.
Ces mots qu’il faut me chercher dans le dictionnaire « aposiopèse », « orchidoclaste » « eudémoniste », « dilection », ces mots inventés, les citations qui sont toujours tellement bien choisies et percutantes… et bien évidemment ( normal c’est un autoportrait autobiographique) des références à ses écrits. Elle parle de ses premières lectures (Sans famille, d’Hector Malot), de son amour pour la langue française , des auteurs qu’elle admire; Cervantes et Don Quichotte… Quichotte la bonté personnifiée, qui rêve d’un monde parfait… et qui fait figure d’inadapté selon Cervantes… « Quichotte qui meurt dès lors qu’il renonce aux chimères. »
Extraits: (non je n’ai pas recopié tout le livre mais …)
Nationalité : française quand je lis Pascal. Espagnole quand je lis Cervantes. Apatride souvent.
j’aime parfois parer ma prose de termes rares qui sont à la phrase ce que les bijoux sont aux doigts d’une main
Les portes sont toujours grandes ouvertes à la médiocrité, pour la bonne raison qu’elle est bien moins dangereuse que l’excellence et que, depuis que le monde est monde, les hommes s’en repaissent.
le pire est que, si la médiocrité a toujours existé, elle progresse implacablement sur tous les fronts. Elle est même en passe de conquérir le monde. Si bien qu’être borné, ignorant, menteur, obscurantiste et conspirationniste est regardé presque partout comme un atout, et ce en dépit des démentis réitérés des esprits les plus clairvoyants.
Les personnes connues, ma chérie, sont en résidence surveillée. Non pas sous le contrôle féroce de la police, mais sous celui non moins féroce de leurs followers.
J’écris parce que je ne sais pas parler. De cela, je suis sûre.
Je préfère de loin voyager dans ma tête avec Rimbaud pour guide touristique, excusez du peu !
je continue à penser qu’il y a une bonne littérature qui est en train de crever et une littérature d’élevage, une littérature standardisée, qui se vend formidablement bien.
Oserai-je avouer que j’aime mes amis lorsqu’ils sont loin de moi ?
j’allais revenir sur ma vie, comme on le fait d’un livre qu’on réouvre des années après l’avoir lu distraitement,
Dès qu’on touche à mes livres, à mes enfants de papier, oui, parfaitement : mes enfants de papier, je deviens intraitable.
La concision, c’est le luxe, la quintessence, la substantifique moelle de la pensée. Elle exige un travail de limage, d’élagage, d’aiguisage autrement plus raffiné que le délayage flasque de tes romances qui dégoulinent comme un saint-marcellin trop fait !
Je n’ai pas quitté l’enclos familial pour m’enfermer dans un autre ! me dis-je, furieuse. Et engagée, que je sache, ne signifie pas encagée !
… rien de vivant et de fort ne peut se fonder sans une solidarité humaine qui assure à chacun le libre jeu de sa pensée et le consentement de son cœur. De cela je suis sûre. Rien de bon ne peut se fonder sans un collectif fraternel, sororal, soustrait à ces contraintes et devoirs qui vous annulent ou vous détruisent.
Comment réconcilier le rêve et l’agir ? Comment parvenir à ce mariage ?
Comment parvenir à cet épanchement du songe dans la vie réelle?
Décidément, il ne sert à rien de vieillir.
Et l’on ne guérit pas de sa mémoire.
En résumé : tout ce qui relève du superflu, chez nous, n’existe pas. Il nous reste le pouvoir de le rêver, ce dont nous abusons, mes sœurs et moi.
couillu chez lui et sous-bite au-dehors
Je me rends compte cependant que j’ai, d’une certaine façon, hérité de sa disposition à la colère. Mais, à la différence de mon engendreur, j’ai des colères abstraites, des colères de ma pensée contre d’autres pensées, des colères spéculatives qui ne m’amènent jamais à vociférer, à taper du pied ou à frapper du poing sur la table, mais à griffonner des phrases-orties qui piquent et qui brûlent, des phrases-fouets qui cravachent la langue, des phrases-coups-de-poing qui cognent sans pitié, des phrases énervées qui piaffent et s’impatientent avant de se ruer à bride abattue sur… Après quoi, habituellement, je m’encolère de m’être ainsi encolérée.
Il est des choses qu’il ne faut absolument pas dire, car elles viennent troubler les douceurs de l’ignorance !
Il y a quelque chose de pire que d’avoir une mauvaise pensée, c’est d’avoir une pensée toute faite, disait Charles Péguy.
« Qui appelles-tu mauvais ? – Celui qui veut toujours faire honte.
Que considères-tu comme ce qu’il y a de plus humain ? – Épargner la honte à quelqu’un.
Quel est le sceau de la liberté conquise ? – Ne plus avoir honte de soi-même. »
(Nietzsche – Le gai savoir)
Ces livres vont devenir mon refuge,
Ma gourmandise préférée après le chocolat, (…)
Pas pleurer ! C’est son slogan. Ne jamais dire oui à la tristesse mécontente ni à la rancune amère, encore moins à la mort. Rester droite. Rester digne. Bien se comporter avec les autres. Y adelante ! (Et en avant !)
Je me souviens enfin, comme si c’était hier, du regard infini qu’elle posa sur moi avant de fermer les yeux pour toujours, un regard empli d’une bonté, d’une tendresse et d’un mystère inexprimables, un regard dont je fus pénétrée jusqu’au cœur.
Son regard infini est posé sur moi au moment même où j’écris ces lignes. Et j’ai le sentiment qu’il me protège encore et que, en même temps, il m’oblige.
Car le livre n’est en rien, à ses yeux, cette chose dévitalisée qu’on range sur une étagère une fois consommée. Le livre n’est pas lettre morte, parure de bibliothèque, babiole inanimée. Le livre est pour lui lettre vive, vitale, ardente, percutante.
J’écris un pied dans la langue parfaite des classiques français sagement apprise à l’école, un autre dans la langue de la rue, désentravée, malicieuse, effrontée, créative, librement espagnolisée par ma mère, riche d’entorses au bien-dire et d’expressions dites vulgaires, en guerre avec les articles trop définis et s’insurgeant contre l’ordre obligé sujet-verbe-complément.
L’écriture s’avère être à la fois mon arme et ma douleur. Les plaies d’enfance au lieu de se fermer se creusent davantage lorsque je les écris. Des souvenirs fantômes me reviennent la nuit.
Car mon père était un étranger.
Étranger à la France, étranger à lui-même, étranger à sa propre famille.
Étranger, c’est-à-dire non accueilli, j’ai lu ça quelque part.
Complètement dépaysé au sens littéral du mot
Virginia Woolf a écrit dans Orlando que la gaucherie s’accompagne souvent d’un amour pour la solitude.
Ne disait-on pas que le charme résidait précisément dans ce brin de folie que chacun porte en soi, ce brin de folie qui chez certains prenait la dimension d’un arbre (mais les psychiatres étaient là pour l’abattre) et chez d’autres s’étiolait, puis s’atrophiait jusqu’à mourir ?
Photo : Prise au Salon du livre de Genève en 2019