Forlani, Remo « Gouttière » (1991)

Forlani, Remo « Gouttière » (1991)

Résumé : Aujourd’hui elle s’appelle Lucie et connaît l’amour-passion qui donne envie de ne rien faire d’autre que de savourer un bonheur immense et… ronronner. Auparavant, elle avait connu joies et tourments, avanies, vicissitudes, désastres, bref, tout ce qui constitue le lot d’une  » gouttière « . Chatte mal aimée puis perdue, chatte voleuse, en cavale, chatte de dame avec dame, grand fauve sauvage ou chatte névrosée, chatte, en somme , et qui a appris à vivre, elle fait surtout l’apprentissage de la volupté. De toutes voluptés. Aujourd’hui, donc, elle s’appelle Lucie. Elle est aussi  » en personne  » la narratrice avisée et délicate de Gouttière.

Mon avis : Les tribulations d’une petite chatounne abandonnée à la naissance et qui se bat pour s’assurer une place au soleil, au plutôt dans les coussins et la chaleur des humains.. J’ai bien aimé passer un moment avec cette petite chatte qui jour après jour fait tout pour avoir une vie agréable de chatte de quelqu’un, aimée et chouchoutée et du parcours de la combattante pour y arriver…
Extraits :

 « c’est lui qui savait le mieux vivre, qui avait le mieux compris que le Créateur a créé ses créatures pour qu’elles ne fassent que se prélasser sur des coussins, des tapis épais, des vieux tissus moelleux ou dans des couettes, comme Lui — le bon Dieu — se prélasse et se prélassera éternellement sur les nuages cotonneux de son Ciel »

« L’eau de pluie me fait comme des larmes sur mes joues. Mais ce ne sont pas des larmes. Ce n’est que de l’eau de pluie. »

« Sans aller chercher plus loin il y a les quatre pattes et les deux pattes. Comme au départ, les deux pattes, ils ne le savent pas qu’ils sont des deux pattes, pour aller d’un endroit à un autre, ils font comme nous »

Elle avait la maladie de ne pas pouvoir s’arrêter. C’est une maladie d’humain. Pas de chat. Le chat, quand il a trouvé l’endroit qui lui convient, il y reste, il s’y incruste. Son territoire, ça s’appelle …

J’avais peur et je le savais. C’est pire — tout devient pire — quand on se rend compte.

C’est beau un cimetière. C’est comme un square, en mieux. C’est verdoyant et peu fréquenté. Ça a des arbres — des saules — qui pleurent. Et des visiteurs qui pleurent aussi

Alors les chats qui n’ont pas trouvé leur humain, ou qui sont tombés sur des humains incapables de bien s’occuper d’eux et les ont fuis, deviennent des déçus et s’enragent.

Un chat sans maison et sans caresses est un chat sauvage

Et, les insomnies, si tu es une chatte… Nous sommes un animal avec, en tête de nos innombrables qualités, celle d’être énormément dormeur. Il nous faut nos quinze, seize heures de sommeil par vingt-quatre heures. Il nous les faut absolument, sous peine d’humeur exécrable et de dépérissement et de renfrognement du caractère. Un chat sans son dû de sommeil devient irascible, puis furieux, puis fou à lier. Alors si des bruits inexplicables (et les trouilles qui vont immanquablement avec) vous empêchent de dormir…

Le bonheur, ça vous fait exister si fort que les autres se mettent à ne plus exister.

Le bonheur c’est de la succulence à l’état pur. Ça fait de la chaleur partout.

Les chavirements, c’est comme tout, ça dure ce que ça dure. Et après les chavirements, il y a des après. Et… les après… les suites… les séquelles…

Croupir, c’est ne faire rien d’utile ou d’agréable de son temps et en user quand même. Le gaspiller, le dilapider. La différence entre croupir et paresser, c’est que paresser c’est un péché. Capital même. Tandis que croupir… Bref, gaspiller des minutes, des heures à croupir, c’est lamentable

Un lit. Ça c’est quelque chose. Ça ne fait pas partie de ce que les gens cataloguent merveilles du monde. Mais ça devrait.

Qu’est-ce que ça a vite fait de pulluler, les questions, quand on ne dort pas alors que c’est le moment de le faire. Des questions de plus en plus sans réponses.

Soudain plus rien. Quand ça s’installe quelque part, du vide… D’abord, ça rend tout trop grand.

c’est pas parce qu’on va nulle part qu’il faut y arriver en retard

Perdue toute seule avec mon estomac. Il ne criait pas famine, parce que les estomacs n’ont pas de bouche à eux. Mais qu’est-ce qu’il

Et habillée de vêtements jamais gris, jamais couleur vieux murs, trottoirs usés, ciel vasouillard. Avec elle, c’était que des rouges pétaradants, de l’orange orange, du bleu néon. Elle aurait pu faire concurrence au plumage de Vincent Van Gogh

Vivre, c’est savourer, savoir savourer. Qui sait ça sait tout.

Même les animaux les plus tordus, même les plus fourbes singes vicieux, même les caméléons, les chiens dingos des antipodes, les oiseaux nocturnes vampires, même certains insectes qui (à ce qu’on prétend) se mangent eux-mêmes, sont, comparés à la moyenne des humains, de vrais jésus, tout nets, tout simples. Les humains patients de psy ont des complexes, des névroses, des tabous, des empêchements, des blocages, des folies de types divers

elle redevenait une femme aussi pleine de tendresse qu’un cake made in England l’est de raisins secs et de cerises confites

Je lui ai dit le peu qu’un animal peut dire à un humain. J’ai tenté de lui miauler de la consolation, de lui faire entendre que j’étais plus que jamais sa fille, que, moi, jamais je ne partirais

Ça a explosé. Ça laissera des traces. Tout en laisse. Même une feuille morte qui tombe toute légère. Nous sommes criblés de traces. A l’extérieur. A l’intérieur. Criblés. Et c’est ineffaçable, une trace. Vivre, c’est faire avec. S’accommoder de ses traces invisibles comme on s’accommode de ses rides, de ses cheveux blancs, de ces taches jaunes qui apparaissent sur vos mains pour vous prévenir que la mort, à laquelle vous croyez que vous échapperez, vous n’y échapperez pas. Et qu’elle se rapproche. A son pas à elle. Ce qui vient de m’arriver, c’est classique

Une famille je ne savais pas ce que c’était. Je l’ai appris une famille, c’est l’enfer. L’enfer parce que, d’abord et avant tout, une famille — à moins d’être royale dans des châteaux historiques, dans des Buckingham ou des palais des mille et une nuits — c’est inévitablement trop de gens dans pas assez de place.

Dieu ne s’est pas contenté de faire chattes et chats plus beaux, plus aptes à comprendre tout et à tout mieux vivre que ses autres créatures, il leur a donné, en plus, la méfiance.

Rentrer de la campagne ça prend plus de temps qu’y partir. A cause d’un nombre double ou triple de voitures. Comme si elles avaient profité du grand air pour se faire des petits, les autos.

Tant qu’à se donner du mal, autant s’en donner pour se faire du bien, tu ne crois pas ?

Le partenaire, le bon, le solide, il ne vous tombe jamais tout rôti dans le bec. C’est comme le frichti. Avant de trouver ce qui contente le mieux vos papilles et votre estomac…

A mon idée, plus que de tel ou tel chat, plus que de telle ou telle personne, ça doit être de l’amour que je suis amoureuse.

En souriant au matin les jours à beau temps parce que les jours à beau temps sont beaux. En souriant autant les jours à mauvais temps parce que, ces jours-là, on peut — si on est intelligent — se gorger d’air vif qui vous épure narines et intérieurs, se gorger de pluie qui vous lave gratis, de neige qui fait que les rues, les maisons, les arbres se mettent à ressembler à des gâteaux avec du sucre en poudre dessus

La méthode, la seule qui vaille, c’est de ne s’alourdir jamais. Ni du poids des ans, ni de celui de ses peines, ni d’aucun autre. D’au contraire, chaque année, chaque jour, s’alléger. Pour chaque année, chaque jour, gagner de la minceur. C’est si élégant d’être fluette. Et ça doit te faire arriver plus vite au paradis, d’avoir — à l’heure d’y grimper — plus de poids ou presque. Et en cas de pas d’autre monde ?

 

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