Brieu, Sylvie « L’Âme de l’Amérique » (RL2022) – 320 pages

Brieu, Sylvie « L’Âme de l’Amérique » (RL2022) – 320 pages

Autrice: Diplômée de la Sorbonne et de UC Berkeley, Sylvie Brieu est grand-reporter et écrivain, membre de la National Geographic Society et de la Société des Explorateurs Français. Son travail en immersion chez les peuples autochtones du monde entier – Lakota Sioux du Dakota du Sud, Haïda de Colombie Britannique, Kawaiweté du Brésil, Rapanui de l’île de Pâques, Maori de Aotearoa, Kalash du Pakistan etc. a été gratifié de plusieurs récompenses. Elle a créé le projet éditorial et éducatif « Quand s’élèvent nos voix – diversité, dialogue, solidarité » visant à médiatiser les voix inspirantes et les actions créatives d’acteurs du changement, et plus particulièrement de femmes qui ont un impact positif sur leurs communautés. La Commission nationale française pour l’UNESCO lui a accordée son patronage pour son engagement à promouvoir d’autres visions du monde afin d’aller à l’encontre des préjugés et de favoriser le dialogue entre les peuples. Se basant sur son expérience du terrain, elle intervient dans les établissements scolaires et universitaires sur les thèmes de la diversité culturelle, de l’égalité des chances et du mieux vivre ensemble.  (Source : le blog de Sylvie Brieu)

Ecrits :  Birmanie, les chemins de la liberté (2016) –  Quand s’élèvent nos voix. Des Andes à l’Amazonie, une odyssée en terre indienne (2011) – « L’Âme de l’Amérique » (RL2022)

Albin Michel – 01.09.2022 – 314 pages

Résumé:

Terre d’aventures et de liberté, l’Ouest américain fascine avec ses grands espaces, les traditions de ses tribus emblématiques, son mythe éternel du cow-boy. C’est le lieu où l’Amérique a forgé sa légende. Une légende ravivée par le cinéma, la télévision, la littérature, et dont le Montana offre la quintessence.

Des Rocheuses aux Grandes Plaines, des coulisses du parc de Yellowstone à celles du champ de bataille de Little Bighorn, Sylvie Brieu, grand reporter et écrivaine, nous entraîne dans un road-trip captivant à la rencontre d’Indiens, de champions de rodéo, d’auteurs, d’artistes et de spécialistes de la faune sauvage. Leur amour inconditionnel pour un environnement exceptionnel, aujourd’hui menacé, nourrit leur sens très profond de la communauté et leur résistance. Loin des clichés d’une nation individualiste, de truculentes personnalités s’unissent dans des alliances redoutables pour dessiner un « Nouvel Âge environnemental ». L’avenir des Etats-Unis se jouerait-il dans les marges ?

Dans ce livre intime et lumineux, Sylvie Brieu dresse le portrait d’une Amérique rebelle où les femmes jouent un rôle de premier plan, et où la beauté naturelle est le meilleur antidote au désespoir.

Mon avis :

Une magnifique plongée dans l’Ouest Américain. Et une ode à la liberté et aux grands espaces. A la fois un road-trip, une plongée dans la nature et dans la vie des autochtones, dans la tradition des amérindiens et leur vie actuelle. On y vit avec la nature, avec des intellectuels, des rangers, des indiens, des écologistes, des défenseurs de la nature et de la tradition. On vit dans le passé et le présent. A la fois roman et documentaire. Et on vit dans un territoire dans lequel la « légende de l’Ouest toujours vivante »

Et le titre est le reflet du livre. Ce n’est pas seulement un roman, ce n’est pas seulement une rencontre banale entre différents protagonistes, c’est effectivement la communion entre la terre et les êtres qui y habitent, c’est la rencontre avec les esprits des générations qui se sont succédées, avec la terre, le ciel, la lune, le vivant,  qu’il soit homme, animal, minéral, végétal, rivière, arbre… 

On revient en arrière, on vit l’époque pendant laquelle les bisons étaient les maitres des lieux, on vit le moment où l’Ouest devient « le théâtre d’affrontements sanglants. La dernière bataille entre les soldats du 7e de cavalerie et les tribus nomades libres se joue à Little Bighorn », l’exploitation des ressources minières et l’arrivée des étrangers pour travailler dans les mines, la Conquête de l’Ouest qui dure jusqu’en 1890. On vit avec les premiers habitants du lieu, les Indiens, on s’immerge dans leur culture, leur mode de vie, leurs traditions. Leur langue doit impérativement être préservée car elle est l’essence même de leur existence, de leurs traditions, de leur vécu à travers les siècles, depuis leur origine jusqu’à nos jours.
Malheureusement, on se rappelle à chaque instant que ces êtres libres sont maintenant les hôtes bien involontaires de réserves et qu’ils doivent lutter pour préserver leur langue et leur univers. L’autrice rappelle aussi que la violence, la misère, l’alcool font des ravages dans la population indienne et que les mauvais traitements, viols et disparitions concernent en premier lieu les femmes indiennes en Amérique. Ils sont toujours traités comme des citoyens de seconde zone, font l’objet de préjugés alors qu’il ne faut jamais oublier qu’ils étaient là les premiers et se sont fait voler leur terre et tromper par des promesses non tenues.

L’autrice nous montre que les gens vrais, ceux qui portent les valeurs du passé existent toujours : elle les a rencontrés et nous fait partager ces moments de communion et de vérité. Et insiste sur le fait qu’il faut préserver leur culture mais aussi leur environnement. Un environnement riche en faune et flore : les loups, les bisons, les pumas, les grizzlys, mais aussi les poissons, les oiseaux  (le pygargue à tête blanche) ..
Elle nous parle traditions, coutumes, symbolique ( les 4 mats des tapis des Cross, l’âme des chevaux…)
Et on voyage dans des contrées à vous couper le souffle… Car les paysages sont aussi à l’honneur dans ce road-trip… direction le Nord des Rocheuses, le territoire sacré des Blackfeets, le parc international de la paix Waterton-Glacier a été créé en 1932 de part et d’autre de la frontière américano-canadienne
Et une fois encore alerte : industrie et politique font des pressions redoutables et tendent à utiliser des arguments scientifiques spécieux pour ôter aux animaux leur statut d’espèce protégée… C’est le cas des grizzlys par exemple.

Cela fait des années que je m’imprègne chaque fois un peu plus de la culture amérindienne, par les lectures d’auteurs tels que Louise Erdrich, David Treuer, Jim Fergus, Tommy Orange et bien d’autres …

Je remercie infiniment Carol Menville, les Editions Albin-Michel et sa Collection Terres D’Amérique dirigée par Francis Geffard pour ce moment d’évasion dans le Montana, pour cette immersion dans l’ouest Américain, dans la région des Rocheuses, le parc de Yellowstone, sur les terres sacrées des amérindiens.

Extraits:

Plus je foule sa poussière, m’enivre de son air, pagaie sur ses rivières, baigne dans la vitalité de sa culture unique et perce un peu de son mystère, plus je perçois le Montana comme l’incarnation de l’âme de l’Ouest. Il est l’idée même de l’Amérique. Dans ses paysages époustouflants, marqués par les épisodes fondateurs de l’État américain moderne, sont nées et se sont installées des générations d’écrivains prolifiques, sensibles à la luxuriance d’un environnement qui agit comme facteur de cohésion sociale. Des monuments de la littérature comme James Welch, Jim Harrison, William Kittredge et Thomas McGuane ont participé à la déconstruction d’une vision romancée de l’Ouest et à la mobilisation communautaire pour sauver l’un des derniers sanctuaires sauvages des ravages de la déforestation, des mines de charbon, du pétrole et du gaz de schiste. Proclamé « capitale littéraire » des États-Unis par le Los Angeles Times en 1989, le Montana est devenu l’épicentre d’un incroyable bouillonnement culturel. La patrie des auteurs et des artistes engagés.

Depuis quelques années, une espèce invasive caractérisée par ses incivilités et ses imprudences colonise en effet massivement le parc : celle des estivants du monde entier. 

En observant le ballet tapageur de la civilisation, j’ai le sentiment d’un décalage permanent entre deux univers, deux dimensions spatio-temporelles : l’un survolté, l’autre apaisé ; l’un éphémère, l’autre pérenne. Le chant de la terre s’entend à peine dans un contexte où l’impatience rivalise avec un besoin irrépressible de vivre des émotions toujours plus fortes.
La beauté deviendrait-elle une denrée de consommation rapide ? Comment les Indiens s’accommodent-ils de cette profanation du sacré ? Pendant des millénaires, les ancêtres des Shoshones et des Bannocks ont collecté des minéraux à Mammoth Hot Springs, utilisés pour leur peinture blanche. D’autres tribus comme les Assiniboines, Blackfeets, Cheyennes, Chippewas, Comanches, Crows, Flatheads, Nez-Percés et Shoshones ont chassé, pêché, cueilli des plantes, organisé des cérémonies ou troqué dans les environs.

le turbo-fladry. Il s’agit d’un fil électrifié sur lequel sont fixées des bandes rectangulaires rouges en nylon reliées à une batterie solaire. Les loups ont une peur instinctive de ces drapeaux en mouvement avec le vent. Les plus téméraires, ceux qui s’approcheront de la clôture, recevront une décharge électrique. Ce dispositif temporaire est fourni gratuitement aux ranchers qui en font la demande.

À l’origine de toute vie, il y a Tsa-pay-ta-bee-yope-ah, le Créateur, conte un écriteau sur le mythe de la Création. Il donna naissance au Soleil, puis à la Terre et à la Lune qu’il prit pour épouses. Il conçut également Napi, le premier Vieil Homme, et lui confia des pouvoirs spéciaux pour l’aider à accomplir ses missions sur Terre. En ces temps-là, les humains et le Peuple des Étoiles vivaient ensemble sur la Terre. C’était le temps où toutes les créatures pouvaient communiquer entre elles : plantes, pierres, arbres, animaux et humains. Mais bientôt les humains devinrent jaloux du Peuple des Étoiles. Lorsque des enfants humains tuèrent un enfant étoile, le Peuple des Étoiles se réfugia dans le ciel, implorant le Créateur d’inonder la surface de la Terre afin de tuer tous les humains. Il plut alors pendant des jours. Finalement, Napi et quelques animaux se retrouvèrent au sommet d’une montagne, connue aujourd’hui sous le nom de Chief Mountain. Napi prit au lasso les nuages pour arrêter la pluie et faire apparaître un arc-en-ciel. Il demanda aux animaux de plonger dans l’eau afin d’en retirer de la boue, qu’il utilisa ensuite pour insuffler la vie à nouveau. Les animaux prirent la forme d’humains afin de partager avec eux leurs dons spéciaux. Le Créateur appela les Blackfeets Niitsi’tapi, « le Vrai Peuple ».

Aujourd’hui, la génération du “moi”, individualiste et matérialiste, est très perturbatrice. Les gens sont perdus et en colère. Tout cela fait partie du trauma intergénérationnel. L’Amérique a essayé de nous fondre dans le moule de la compétitivité au détriment de la solidarité, de la coopération et du partage, qui sont pourtant l’essence de notre mode de vie. Nous avons oublié le sens du pardon, qui est la clé de l’espoir. Nous avons oublié que l’étoile du Nord est notre nombril dans l’univers. La culture traverse une phase de tourmente. Nous essayons de la maintenir en vie en nous guérissant et en guérissant la communauté. C’est un réel défi mais nous avons une expression : Eee Gaw Kee Mawn, autrement dit : “Fais de ton mieux en toute circonstance”.

Les Blackfeets croient aux Êtres terrestres ainsi qu’aux Êtres du Dessus (le Soleil, la Lune, les Étoiles, le Tonnerre, le Ciel et les Esprits du Ciel) et aux Êtres de l’Eau (le Faiseur de Froid et son aide le Faiseur de Vent, les Castors, Rats musqués, Loutres et autres animaux vivant dans l’eau ou à proximité ainsi que les Esprits de l’Eau).

– La spiritualité est indissociable de la société. De nos jours, les Crows suivent trois types de philosophie : nativiste, chrétienne fondamentaliste et catholique. Pour les nativistes, toute prière est bonne quelle que soit la religion. Dans la société crow, on devient un leader spirituel sur la base de ses actions et non de sa religion.

Je donne toujours un dernier conseil à mes clients : occupez-vous de tout ce que vous allez léguer à vos enfants qui n’a pas de valeur monétaire. Ces choses n’ont pas de valeur économique mais elles ont une valeur intrinsèque…” »

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