Hassaine, Lilia « Panorama » (RLE2023) 235 pages

Hassaine, Lilia « Panorama » (RLE2023) 235 pages

Autrice: Lilia Hassaine, née en 1991, est une journaliste française, romancière et chroniqueuse dans l’émission de télévision, Quotidien.

Romans : L’Œil du paon (2019)  – Soleil amer (2021) – Panorama (2023)

Gallimard – Collection Blanche – 17.08.2023 – 235 pages (Dans la sélection du Prix Fnac 2023)

Résumé:

« C’était il y a tout juste un an. Une famille a disparu, là où personne ne disparaissait jamais. On m’a chargée de l’enquête, et ce que j’ai découvert au fil des semaines a ébranlé toutes mes certitudes. Il ne s’agissait pas d’un simple fait-divers, mais d’un drame attendu, d’un mal qui irradiait tout un quartier, toute une ville, tout un pays, l’expression soudaine d’une violence qu’on croyait endormie ». 

Hélène, ex-commissaire de police, reprend du service pour retrouver un couple et leur petit garçon, Milo. Elle rencontre les dernières personnes à avoir été en contact avec eux. Depuis que la France a basculé dans l’ère de la Transparence, ces hommes et ces femmes vivent dans un monde harmonieux, libéré du mal, où chacun évolue sous le regard protecteur de ses voisins. Mais au cours de son enquête, Hélène va dévoiler une vérité aussi surprenante que terrifiante. 

A travers cette contre-utopie, c’est le monde d’aujourd’hui que l’auteur interroge. Ce roman haletant montre des êtres en proie à leurs pulsions et à leurs fêlures derrière leur apparente perfection.

Mon avis: Le moins que l’on puisse dire c’est que le roman donne à réfléchir. Une dystopie glaçante, imaginaire. certes, mais…
A quoi peuvent mener les dérives extrêmes d’une société? Moi qui ne suis pas une grande adepte des dystopies et romans d’anticipation, pour une fois je me suis sentie concernée… et je ne peux dire qu’une chose : lisez-le ! 

Il y a eu l’âge de pierre, l’âge du cuivre, l’âge de bronze, l’âge de fer, et nous voici à l’âge de verre… Pas sûre que j’apprécie cette évolution…

Tout commence le 17 novembre 2049 … dystopie donc… mais c’est pas dans si longtemps..
Précédemment, le 26 octobre 2029, il y avait eu le procès de la justice… la justice du passé (voir premier extrait)… la nôtre donc.
La France vit une période de manifs, d’insurrection.. le climat se dégrade… Sur les réseaux sociaux le hashtag « Revenge Week »  (semaine de la vengeance) se répand comme une trainée de poudre, la transparence citoyenne est plébiscitée, le peuple va prendre les décisions de justice, il va voter sur internet les lois et les verdicts…
Deux choix s’offrent aux habitants : vivre en sécurité dans des zones de transparence ( faut avoir les moyens)  ou dans des zones en marge .
Froid dans le dos ! Vous vous imaginez vivre dans un open-space à parois transparentes? Adieu l’intimité… au profit de la transparence… tout le monde voit chez tout le monde… Pour les amoureux de la liberté, les temps sont durs .. pour les amoureux des livres et du développement photo aussi.
Dans ces conditions comment est-ce possible que 3 personnes disparaissent dans cette zone de transparence dans laquelle tout le monde voit tout? Un endroit dans lequel si on ne montre pas une chose, c’est parce qu’on veut le cacher? Les enquêteurs vont avoir bien du mal à mener leur enquête dans cette univers si lisse (en apparence)
Des questions se posent : la transparence : un bien ou un mal? Protège-t-elle du harcèlement? Permet-elle de vivre heureux? De s’épanouir? Dans un monde sous surveillance permanence, ne devient-on pas fou? Ne sacrifie-t-on pas sa liberté pour vivre sous cloche? Et cette transparence est-elle synonyme de non-violence? de bonheur?
La majorité anonyme cachée derrière des vitres et des écrans m’a toujours terrorisée et je dois dire que cette vision du monde donne à réfléchir. Sous prétexte de la peur, de vouloir se protéger de tout, la part de l’humain est-elle vouée à disparaître …

Extraits:

La justice du passé, celle des magistrats nommés par le pouvoir, celle de la présomption d’innocence et de la prescription, cette justice a failli. Incapable de défendre les plus fragiles, elle s’est vautrée dans des compromissions et des effets de manches. Combien de crimes ainsi ignorés ? Combien de victimes sacrifiées ? Ces victimes, nous les avons condamnées à purger une peine à perpétuité, par notre laxisme envers leurs agresseurs. Mais cette époque est maintenant révolue. »

Les viols, la maltraitance, les abus, les agressions, toutes les violences commises envers les humains et les animaux, ont un point commun : ils se déroulent à l’abri des regards, derrière les murs, dans les chambres des maisons et dans les ascenseurs des entreprises. Les espaces clos sont dangereux. Les murs sont menaçants.

«Au fond, qu’avons-nous à cacher ? Si nous n’avons rien à nous reprocher, pourquoi ne pas accepter de tout montrer ?»

La nouvelle démocratie française n’est pas une dictature : vous êtes libres de vivre en sécurité dans les quartiers transparents, ou d’habiter dans des zones de non-droit en marge des villes. La Transparence est un « pacte citoyen fondé sur la bienveillance partagée et la responsabilité individuelle », d’après le préambule de la Constitution de 2030.

On entre chez les gens comme par effraction, on fracture les serrures d’un simple coup d’œil.

On préfère désormais les tablettes numériques, plus légères, plus pratiques. Surtout, elles permettent de lire la dernière version en date d’un ouvrage : depuis que les auteurs peuvent retoucher leur texte après publication, le livre n’est plus cet objet poussiéreux, figé dans le passé, il évolue, s’adapte à l’époque. Les maisons d’édition ont même recruté des modérateurs professionnels, chargés de retravailler et de nettoyer certains passages à la place de l’auteur. Trois versions d’un même ouvrage (une version brute, pour les universitaires, une version abrégée, pour les impatients, et une version normalisée, pour les plus sensibles) sont aujourd’hui disponibles grâce aux nouvelles tablettes.

Le like est l’équivalent numérique de la croquette pour chiens, me répétait mon père, professeur de philosophie au crâne dégarni.

Je battais en retraite dans ma chambre, épuisée et vaincue, il n’y avait que les livres pour me consoler. Mes auteurs préférés me serraient dans leurs phrases, m’enveloppaient dans leurs silences, je comprenais qu’il existait des enfers et des terres hostiles, mais aussi des refuges, des îlots de tendresse, des amours absolues et des compagnons fidèles.

Avec la transparence, on ne trouve plus de pièces obscures. Alors oui, il reste le numérique… mais c’est pas la même chose. Avec l’argentique, chaque photo est unique. En fonction du temps de pose et du temps de réaction, elle n’aura pas le même contraste, pas la même teinte. Et puis ces images sont vivantes, elles vieillissent tout comme nous, certaines jaunissent, d’autres blanchissent..

Autrefois, les avocats prétendaient qu’il valait mieux cent coupables en liberté qu’un seul innocent en prison. Ces niaiseries de prétoire sont derrière nous. Le doute doit désormais bénéficier aux victimes… et seulement aux victimes.

Quand j’étais jeune prof, je me plaignais des bavardages… Aujourd’hui, je me plains du silence. Ce silence, partout…

Je ne vois pas ce qu’il y a de top dans une orientation sexuelle, c’est la tienne et tu as le droit de mener ta vie comme tu l’entends. Je ne pense rien du fait qu’une femme soit bi, tout comme je ne pense rien du fait qu’elle soit noire ou asiatique, ce n’est pas ma grille de lecture des gens…

Je repense à ma mère, qui ornait tous ses livres de dessins dans la marge. C’est tout ce qu’elle m’a laissé, alors qu’elle est vivante.
Une vivante-morte, ça existe aussi.

Pour qu’un incident puisse se produire, il faut deux ingrédients : la liberté et l’ennui, deux denrées en rupture de stock.

Rien n’est plus criminel que la perfection, dans ce qu’elle a de figé, d’achevé, de définitif. Je vois tous les jours des écoliers sûrs d’eux, qui perçoivent le monde comme un quadrillage, où la ligne de démarcation entre le bien et le mal est absolument claire. Chez eux, nulle place pour le doute, l’incertitude ou l’ambiguïté. Leur rigorisme moral m’effraie.

Les ados s’écrivent sur les messageries sécurisées et sur les réseaux sociaux, ils ne s’appellent jamais. Leur génération juge les coups de fil intrusifs, en plus d’être inutiles.

Les enfants ont disparu des rues, ils ne jouent plus au ballon et passent leurs journées avec des casques de réalité virtuelle vissés sur le crâne. Ils partent en vacances dans des paysages éphémères et construisent des châteaux de sable sur des plages virtuelles face à des océans artificiels.

Depuis la Révolution, il nous est devenu difficile d’enquêter. Nous devons agir sans agir, opter pour des méthodes irrégulières voire illégales, sans quoi nous ne pourrions pas faire notre travail. C’est tout le paradoxe de cette situation, l’utopie d’une société sans secrets nous condamne au mensonge.

Seul le verre permet cela ! Il incarne à la fois l’ouverture et la fermeture. On peut voir au travers mais il est impénétrable. Il sépare l’intérieur de l’extérieur sans obstruer la vue. Le verre est l’incarnation du compromis, cette valeur que nous chérissons tous. Il se brise facilement mais ne se dégrade pas, ne se décompose pas ; il réussit l’exploit d’être aussi solide que fragile. Il est ce matériau qui voudrait échapper à sa condition et qui rêve d’immatérialité, de pureté, de nuages.

2 Replies to “Hassaine, Lilia « Panorama » (RLE2023) 235 pages”

  1. Je viens de le finir et j’ai adoré !
    Et tout comme toi, les dystopies ne sont pas vraiment ma tasse de thé.
    D’ailleurs, si j’avais su, avant de le commencer, que ça en était une, je pense que je ne me serais jamais plongée dans cette lecture.
    Et maintenant, je le recommande aussi autour de moi.

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