Riel, Ane « Résine » (2021) 277 pages

Riel, Ane « Résine » (2021) 277 pages

Autrice: née le 25 septembre 1971 à Aarhus, au Danemark, est une femme de lettres danoise, Après des études d’histoire de l’art, elle entame une carrière d’auteure de roman à suspense et de littérature d’enfance et de jeunesse.

Romans traduits en français : Résine – 2021 (Harpiks 2015) – Les fantômes ne pleurent pas – 2023-  (Urværk 2021)

Seuil – Cadre noir – 04.03.2021 – 304 pages / Points – 12.05. 2023 – 277 pages  (Traduit par Terje Sinding)  – Prix Clé de verre 2016 – 

Résumé: 

Une presqu’île, aux confins d’un pays du Nord. C’est là que vit la famille Haarder, dans un isolement total. Jens a hérité de son père la passion des arbres, et surtout du liquide précieux qui coule dans leurs veines la résine, aux capacités de préservation étonnantes. Alors que le malheur ne cesse de frapper à la porte des Haarder, Jens, obsédé par l’idée de protéger sa famille contre le monde extérieur qui n’est pour lui que danger et hostilité, va peu à peu se barricader, bâtir autour de la maison une véritable forteresse, composée d’un capharnaüm d’objets trouvés ou mis au rebut, et séquestrer sa femme et sa fille. 

Du fond de la benne où il l’a confinée, Liv observe son père sombrer dans la folie mais l’amour aveugle qu’elle lui porte va faire d’elle la complice de ses actes de plus en plus barbares, jusqu’au point de non-retour.

Mon avis: 

Un univers oppressant qui devient de plus en plus malsain au fil des pages. Et pourtant au début, l’endroit semble idyllique : une petite presqu’île sur laquelle vit une famille : les Haarden. Il y a le père, Silas et la mère Else, et leurs deux fils, Mogens et Jens. Jensva tomber amoureux de Maria et avoir des jumeaux, Carl et Liv puis une autre petite fille. Tout semble se passer bien jusqu’au décès du père, et la disparition du frère ainé Mogens, qui quitte la maison pour aller tenter sa chance ailleurs.

Jens vit très mal le décès de son père; il était très proche de lui et ils partageaient l’amour de la nature et du bois (Silas était menuisier) et quelques secrets. Les rapports entre Jens et sa mère vont devenir de plus en plus difficiles et la naissance des jumeaux va entraîner un drame et le départ de la mère pour la «civilisation». Elle est pour ainsi dire chassée de la ferme par Jens et ne reviendra que des années plus tard – six ans pour être précise. Quand elle réapparaît elle fait connaissance de sa petite-fille Liv mais ne reconnait plus la maison. En effet son fils est syllogomane, ce qui explique son comportement et sa manière d’agir. Il accumule tout, se barricade, fait de la propriété un camp retranché, et se coupe du monde. Et il ne va pas supporter le retour de sa mère. De plus sa femme Maria a des problèmes de santé : elle finira par ne plus pouvoir se lever de son lit et ne plus parvenir a s’exprimer autrement que par écrit; impuissante elle ne pourra rien faire pour se sauver et soustraire sa fille à la vie qu’elle mène. C’est d’ailleurs par écrit qu’elle gardera le contact avec la petite Liv et il faut espérer que les lettres et les mots qu’elle lui écrit parviendront à la petite de se construire par delà l’horreur. Liv qui vit une relation presque fusionnelle avec son père, son modèle et sa référence dans la vie. Il faut dire qu’elle n’a pas vraiment le choix et manque totalement de repères et de comparaisons avec le monde extérieur.  

Ce roman psychologique repose sur les frères épaules de la petite Liv qui vit dans un environnement dantesque, entre folie et maladie. Son père, qui sombre peu à peu dans la folie est certes un être qui représente le mal mais il est impossible de le détester même si ses actions sont malsaines et font frémir d’horreur car on ne peut que se rendre compte qu’il est dérangé mentalement ; et en même temps il est proche de la nature, et est attaché aux choses, aux êtres, jusqu’à vouloir les figer et les garder pour l’éternité et on sent bien que son objectif est de protéger sa famille, à sa façon. 

Et dans cet univers empreint de mort et de désordre, il y a cette petite fille, qui aime son père et sa mère, ces êtres cassés, qui voit ce qui est beau dans la vie et la nature, ne voit pas le mal qui l’entoure..

C’est dur, on se demande jusqu’où l’autrice va nous emmener dans le malsain et en même temps on s’attache terriblement à la petite fille.

Il faut relever de très belles descriptions de la nature, des trouées de beau au milieu du glauque…

      

Extraits:

Pendant que les garçons jouaient au bord de l’eau, à l’endroit où l’eau et le sable échangeaient leurs caresses, leur père scrutait attentivement le liseré d’algues et de cailloux qui formait une sorte de dentelle irrégulière le long de la plage.

On a découvert des morceaux d’ambre contenant des animaux qui datent de plusieurs millions d’années.
– De gros animaux, aussi ?
– Non, surtout des petits. Mais vous vous rendez compte ? Que l’ambre puisse les conserver aussi longtemps, c’est extraordinaire, non ?
Les garçons hochèrent la tête sans quitter la fourmi des yeux.

Je crois que les cheveux blancs, c’est comme l’herbe. À peine apparu, ça se met à proliférer.

Il m’a appris que les poissons ne se noyaient pas dans l’eau. En revanche, ils étouffaient à l’air libre.
Pour moi, c’était le monde à l’envers.
Il m’a aussi raconté qu’on pouvait abréger les souffrances des poissons en les tuant avant que l’air ne les étouffe. Nous avons attrapé un gros flet complètement plat avec les deux yeux placés du même côté, et mon père m’a montré comment faire. Il lui a donné un coup de massue sur la tête. J’ai trouvé ça horrible.

Ma mère ne parlait pas beaucoup. Sauf quand elle lisait à voix haute ou quand elle essayait de m’expliquer quelque chose. Je crois qu’elle n’aimait pas trop parler. Mais elle adorait lire à voix haute, et j’adorais l’écouter, installée sur son lit, quand elle se plongeait dans le livre qu’elle avait choisi. En fait, je ne sais pas ce que j’aimais le plus, les histoires ou la voix de ma mère.
Parfois je ne faisais pas la distinction entre les deux. J’oubliais sa voix pour me fondre dans l’histoire, ou j’oubliais l’histoire pour me fondre dans sa voix. Elle ne parlait pas fort, mais on pouvait quand même se fondre dans sa voix. Il y avait de l’air dedans.

Et les usages de la résine étaient innombrables. Elle avait des propriétés antibiotiques. Correctement préparée, on pouvait s’en servir pour fabriquer du savon ou de la colle, et on pouvait même l’utiliser comme combustible : en enduisant de résine impure l’extrémité d’un bâton, on obtenait une torche qui brûlait parfaitement.

à l’origine, il y avait l’arbre. L’arbre, et la vie qui coulait à l’intérieur de son tronc.

Jens estimait qu’il était de sa responsabilité de conserver tous ces objets que les gens méprisaient. Il était émotionnellement lié à chacun d’eux. L’idée qu’on puisse rompre ce lien le remplissait de frayeur.

J’ai fini par avoir une grosse boule de phrases naufragées dans la gorge. Des mots brisés et sans rapports entre eux, des amorces interrompues, des conclusions restées en suspens, des lignes trop serrées, des constructions fautives, des gutturales agglutinées.
Mon chagrin était resté bloqué, car je ne devais pas te le communiquer. Et à ton père non plus, car il avait son chagrin à lui. Alors je l’ai gardé en moi. C’était ma façon de te protéger. Ton père a fait autrement.

Le passé et l’avenir formaient un tout. Le temps n’était pas aboli ; il était d’une plénitude plus grande. C’était un ami fidèle qui ne demandait qu’à être là.

Sur l’île, le divorce n’était pas quelque chose de courant. On essayait de tenir bon ; pour éviter les frictions, on faisait éventuellement chambre à part si la maison le permettait. On évitait de parler de ses problèmes, et on ne les évoquait en aucun cas devant des inconnus. Des sujets aussi intimes, on ne les abordait qu’entre amis intimes, et les confidences se limitaient à quelques mots pudiques.

J’ai grandi d’un coup, mais je suis restée petite

Son corps finit par prendre une décision à sa place. Elle s’affaissa par terre. Comme si elle se repliait sur elle-même.

C’est difficile de parler avec les gens quand on ne peut rien dire.

Petit à petit j’ai compris que l’obscurité ne parvenait plus à absorber la douleur. La douleur restait en nous. L’obscurité était pleine. 

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