Marguier Claire-Lise : Les noces clandestines ( 2013)

Je n’ai aucunement l’intention de vous détromper. Mais je peux vous raconter.
Mon avis : Quand dès la première page je ressens l’envie de noter toutes les phrases pour les retenir, c’est que cela s’annonce bien… Et cela continue. Une écriture magnifique, pour ce roman poème qui est un petit bijou. En attendant le décès de sa grand-mère un homme pour s’occuper refait toute la maison de la vielle dame. Et il crée une pièce « rouge » en sous-sol. Une fois la grand-mère décédée et la pièce terminée, l’homme se met en tête de trouver une personne « parfaite » pour l’y enfermer. Ni un vieux, ni un enfant… il finira par y entrainer un jeune et une relation ambiguë se nouera entre les deux êtres. Un recherche de la perfection, une ode à la beauté, un amour éthéré et absolu, une recherche de la soumission et une recherche de punition. La déification de la beauté, l’éloge des arts, du dessin, de la peinture, de la musique. Le jeu de l’ombre et de la lumière, au propre comme au figuré. Les couleurs, les mots, les sentiments… les mots sont le pinceau qui par petites touches, suggère les images. Syndrome de Stockholm ? On se demande pourquoi ce jeune accepte la situation, se met sous l’influence de cet homme. Personne ne semble concerné par sa disparition, il semble être sans passé. Il ne se livre pas, il est là.. Un cocon malsain et envoutant. Un livre aussi sur le besoin de l’autre, sur le temps, sur l’idéalisation de l’être. Un livre que je recommande vivement, à lire pour la beauté des mots, la musique des phrases, les couleurs de la vie et de la non-vie..
Extraits :
p.11 « C’était juste avant l’automne, cette saison bancale, entre-deux, dont la seule évocation nous jette dans le spleen des poètes.
p. 11 « Rien de pire que d’attendre une fin qui ne vient pas »
p. 37 « Il ne reste plus dans ma mémoire qu’un camaïeu d’impressions fugaces, de couleurs automnales et d’odeur de café, au milieu desquelles j’entrevois, comme les reflets que projette la surface de l’eau, le miroitement de son regard. »
p. 41 « Happé par le monde extérieur, je poussais les heures, les enfilant comme des perles ternes sur le fil de la journée, comme si mon impatience allait faire arriver le soir plus vite. »
p. 43 « Rien de plus qu’une série de brouillons imparfaits, puis, ma foi, de pâles copies comme une œuvre inégalable qu’un peintre tente de reproduire à l’infini, quand seul le hasard lui a donné son caractère exceptionnel. »
p. 52. « J’ai toujours aimé déceler la beauté là où elle se dissimule ; dans les jeux éphémères de lumière, dans la note pure d’un verre qui tinte, dans le mouvement silencieux d’un voilage. »
p. 78 « Mais sentir sa conscience se dérober malgré mes murmures comme des suppliques me vidait de moi-même, me réduisait à ma seule ombre. »
p. 78 « Plus je voulais faire un rempart de mon corps pour lui insuffler de ma santé, plus son être tout entier, rendu à sa seule survie, me repoussait au-delà de barrières infranchissables. »
p. 84 « Il ressemblait à quelqu’un qui a tellement attendu qu’il a oublié l’objet de son attente pour ne plus vénérer que l’attente elle-même. »
p. 90 « Quant à moi, je me tenais à distance raisonnable des livres, ainsi que je l’avais toujours fait, conscient du danger qu’ils représentent, ne lisant que le strict minimum et ne commettant jamais l’erreur de croire au caractère inoffensif du insignifiant d’entre eux. En lire la première ligne vous asservit jusqu’à la dernière, et même longtemps après. Entre leurs pages, vous n’êtes plus maître de vous-même ; vous vous abandonnez sans conditions à l’esprit d’une plume plus forte que vous, susceptible de vous emmener dans des travers sombres et glauques, de vous faire admettre des idées fausses sans que vous ne cilliez. »
p. 91 « Les livres sont des pièges mortels et pervers où s’égare la raison, et qui se cachent sous des allures nobles de pourvoyeurs de connaissances. »
p. 111 « Il n’y a pas de hasard, disait le poète, que des rendez-vous. »
p.117 « Les heures disparaissaient sans que j’en eusse conscience, dévorées sans doute par les futilités de l’existence dans lesquelles je me dépêtrais. »