Salem, Carlos – Un jambon calibre 45 (2013)

Salem, Carlos – Un jambon calibre 45 (2013)

Auteur : Carlos Salem, né en 1959 à Buenos Aires, a multiplié les petits boulots après ses études de journalisme. Installé en Espagne depuis 1988, il vit aujourd’hui à Madrid. Son œuvre est disponible en France chez Actes Sud.
Ses romans : Aller simple – Nager sans se mouiller – Je reste roi d’Espagne – Un jambon calibre 45 – Japonais grillés (Recueil de cinq nouvelles ) Le Plus Jeune Fils de Dieu – Attends-moi au ciel –
Résumé :
Une semaine. C’est le temps dont dispose Nicolás Sotanovsky, un Argentin qui erre dans Madrid de bar en bar et d’amour en amour, pour mettre la main sur Noelia, une rousse qu’il n’a jamais vue. Et s’il ne la trouve pas : POUM ! Serrano, le pittoresque malabar chargé d’exécuter la sentence, a des doigts gros comme des jambons mais un cœur tendre. Pas comme son patron la Momie.
Pour trouver Noelia, Nicolás s’enfonce dans les profondeurs de Madrid, calciné par le soleil d’août, et celles du corps de Nina, douteuse ex-amie de la rousse. À ses basques, un détective raté mais amoureux et un chat de gouttière qui lui triture la conscience.
Sotanovsky n’a aucune envie de rentrer à Buenos Aires, mais il n’a aucune raison de rester en Espagne. Il décide alors de chercher la vérité, même si, comme dit Nina, “La vérité passe par le con. Il n’y en a pas deux pareils et on rêve toujours de celui qu’on ne connaît pas. On le crédite de plus de secrets qu’il n’en a et tu sais quoi ? Il n’a pas de mémoire, on le lave et tout est oublié.” Au lieu de fuir, il reste, à cause d’une bouche, une bouche qui est aussi la vérité, même si elle ment tout le temps.
À mille lieues des thrillers à rebondissements et des intrigues millimétrées, Carlos Salem écrit des romans noirs charnels et sinueux comme le corps d’une femme.
Mon avis : Une fois de plus Carlos Salem m’enchante avec son humour décalé. .Une fois de plus le héros, Nicolas est un anti-héros.  C’est un argentin paumé qui vit à Madrid depuis 6 mois, qui saute de bar en bar, de lit en lit, commence à se rendre compte qu’il n’appartient ni à une communauté ni à l’autre mais aux deux.  Il se retrouve dans une situation dangereuse à laquelle il ne fait pas face comme un héros, car il est un citoyen normal. Il se retrouve sans papiers, menacé par une brute épaisse qui fait 2 mètres et qui a pour nom « Serrano » (comme le jambon)et alors que toute personne normalement constituée n’aurait qu’une idée en tête « fuir », il reste, et va décider de mener l’enquête. Nicolas est un hédoniste au sens ou Salem l’entend; avec humour, il se moque de lui-même.  Il y a comme toujours une part belle à l’érotisme dans le roman de Carlos Salem. Le roman se déroule à Madrid au mois d’août. En août à Madrid, les gens sont « fous » et il n’y a rien à faire sinon l’amour.
Un hommage voilé à un des auteurs préférés de Salem dans le livre, Raymond Chandler. Une réflexion aussi sur la dualité qui nous habite : celui que nous sommes et celui que nous pourrions être. Dans chaque personne lâche se cache un courageux qui s’ignore.
Son roman est un mélange de roman noir et de roman picaresque; il est structuré comme un roman noir mais est en fait un roman d’aventure et ce n’est pas un livre que l’on décore pour savoir « qui a fait le coup ».
Tous les personnages sont importants. Les deux personnages, Nicolas et Serrano sont faits pour s’entendre; l’un est intelligent et l’autre semble être totalement abruti mais en fin de compte, comme dans les romans de Salem, le plus bête finit par donner une leçon de vie à l’autre. Un tueur amoureux d’une veuve, un poursuivi qui donne ses horaires au tueur pour qu’il puisse aller à ses rendez-vous amoureux… Les secondaires sont aussi importants et souvent il réapparaissent au fil des romans.
Sexe, humour, ironie, rythme : on retrouve ce qui fait l’écriture de Salem.  Ici on est dans un rythme de tango mâtiné de blues. On découvre aussi les basfonds de Madrid, la philosophie de la rue, qui s’exprime lors d’un dialogue entre Nicolas et le chat entre autres. Et sur la psychologie de a tristesse et des amours perdues.
Le Maroc est une fois encore présent. Il fait partie de l’univers de Salem qui a vécu près de dix ans à proximité de ce pays, entre Ceuta et Melilla; c’est un passage, un changement de rythme, un début de dénouement.
J’aime aussi le rapport entre le personnage est les animaux. Le chat qui veille sur lui; les deux notions du chat .. le rodeur et le chat « de ministre », le libre et l’asservi, le chat d’extérieur et celui d’intérieur, les deux faces du même animal. Mais attention; ce n’est pas parce qu’on a 7 vies qu’il faut faire n’importe quoi ! Quand au chien, il est pour lui « le grand chien noir » associé à la peur…
Mais des quatre livres de Salem que j’ai lu, c’est celui qui m’a le moins plu.. mais il fait partie de mes auteurs favoris.

Extraits :

L’espace d’un instant, je crus voir une lueur d’intelligence briller dans son regard. Mais je compris que c’était le reflet d’une voiture qui passait dans la rue
La génération de mon vieux grandit, convaincue que Dieu était argentin. Celle de mon oncle croyait que Dieu n’existait pas, mais que s’il avait existé, il aurait été argentin. Ma génération grandit, persuadée que Dieu n’existait pas. Et que l’Argentine, ça se discutait..

Une photo d’Elle. C’était un polaroïd assez ancien, mais le temps n’avait pas effacé ses traits

Alors, j’avais ramassé mes masques et, après les avoir entassés dans un sac, j’avais filé en Europe pour changer de décor, sans changer la pièce
Elle ne savait pas voler toute seule et j’étais ses ailes. — Jusqu’au moment où elle a pris son envol.
Peu après, je compris qu’il n’y a pas de miracles. Il n’y a que de mauvaises surprises.
Sa brutalité n’était pas seulement dans les coups, mais dans le fait qu’à aucun moment il n’y mêlait colère ou insultes. Il ne semblait pas concerné. Il n’avait pas une rage à libérer ou une dette à rembourser, à tant le coup.

Quand je me réveillai, je sentis que j’avais récupéré ma tête, mais elle était douloureuse jusqu’aux cils. Il faisait encore nuit, une nuit interminable

Je crevais d’envie d’un demi-litre de café. J’avais lu quelque part que le café est le sang des hommes fatigués. Chez Chandler, je crois. Qu’aurait fait Marlowe à ma place ? Il aurait encaissé les coups, certainement. Ensuite, il aurait piétiné sa solitude jusqu’à ce qu’il ait découvert le pot aux roses sans avoir l’air d’y tenir vraiment. La tête de ce brave Marlowe était à l’épreuve des matraques et des faux espoirs. Il voyait toujours au-delà des apparences, mais la plupart du temps, derrière les apparences il n’y avait rien, comme ces jeux de miroirs affrontés qui renvoyaient des images sans qu’il y ait un original au départ.

Je raccrochai. Il ne faisait pas encore jour, mais la nuit romantique pliait bagage avant d’aller se faire foutre

Je ne l’imitai pas, en raison d’un préjugé lié à la virilité, et puis quand je pleure j’aime bien savoir pourquoi. Et cette fois, il y avait plusieurs raisons possibles, mais aucune n’avait suffisamment de poids.

Moi ? Il y a tout juste la place pour mes propres questions, dans mon sac à dos

C’est comme si j’étais deux mecs à l’intérieur d’un corps et qu’aucun ne m’était vraiment sympathique

J’ai l’impression d’être un super-héros raté, un faux Superman doté de deux personnalités, comme le veut la tradition, mais dans les deux je suis un journaliste inconsistant qui frôle la calvitie et la mollesse

L’immeuble où Mar López laissait filer les années et les occasions était une vieille construction grise de rouille et de fatigue

Ou de m’enfuir dans un autre pays d’Europe, c’était injuste de mourir sans avoir vu Paris ni compris que c’était une ville comme les autres

Si quelqu’un voulait peindre l’échec, c’était le moment idéal, le paysage adéquat : une prison sans barreaux ni issue possible, un calendrier dénonçant le temps avec deux mois de retard, des illusions mal rangées dans un coffre-fort encastré, grand ouvert.

Le dimanche matin, les villes sont presque séduisantes. Et si la ville en question est Madrid, le dimanche, en été, au matin, rarement fraîche au mois d’août, on peut presque tomber amoureux de la dame, la courtiser dans ses rues désertes et croire, sans vraiment y croire, qu’elle est célibataire et disponible. Mais il y a toujours des maris possessifs, même s’ils sont absents, qui vous courent après et vous trouvent dans l’armoire inévitable de la ville. Ils ne vous tuent pas, car l’honneur ne rapporte plus comme avant ; il leur suffit de vous rappeler, sans avoir à le dire, que la ville ne sera jamais à vous au-delà du mensonge clair-obscur d’une nuit ou de l’idylle passagère d’un dimanche matin désert

Mais maintenant, je n’arrivais pas à me convaincre que je voulais partir, et je ne parvenais pas davantage à me persuader sincèrement que j’avais envie de rester

Flatter mon ego en disant plus maintenant était une chose, encore fallait-il en assumer les conséquences. Partir ou rester, renoncer à une case sur l’échiquier, à une autre et encore à une autre, jusqu’à ce qu’il n’en reste plus une seule, ou alors m’emparer de l’une d’elles pour édifier ma forteresse en m’appuyant sur quelques-unes de mes faiblesses.

Et je me dis que les femmes ont le pouvoir de nous tuer quand nous partons, de nous éliminer avec plus d’efficacité que n’importe quelle arme, de nous assassiner à jamais sur le seul territoire où nous prétendons rester vivants : celui de leur mémoire.

Mais tous les carrefours me ramenaient au même point : ses jambes fascinantes, sa silhouette sensuelle qui me surprenait, ses seins qui se tenaient sans assistance

Une voix qui portait la mémoire de nuits brûlées dans les incendies de draps inconnus, d’aurores sans questions ni noms. Une voix dangereuse, pour elle-même et pour celui qui l’écoutait de près.

Je l’examinai plus attentivement. Et ne trouvai trace de l’amie à qui j’avais confié tant de tourments et de projets à peine ébauchés1

L’histoire de ma vie change ce soir, j’ignore si c’est en pire, mais elle change

Bien sûr, il n’est pas facile d’assassiner quelqu’un qui fait partie de soi, même si c’est une partie stupide et réprimée. Ça reste sa propriété

je fuis. Mais comme j’y mets beaucoup de paresse, ça ne se voit pas. Et je fuis des souvenirs minuscules mais affûtés ; je fuis pour ne pas livrer bataille ni croire en quelque chose. Je fuis, car même si ça paraît plus dur, rien de plus facile que de remplir deux musettes et de prendre la route…

Elle s’assit dans le fauteuil, les jambes repliées sur sa poitrine, plus ou moins comme était replié mon cœur.

Quelque chose m’empêchait de la toucher, comme une image dans l’eau qui se serait brisée en cercles au contact de mes doigts

Le lit était un pays étranger pour qui n’avait pas de visa et j’en avais été gentiment mais fermement expulsé. Je voulais y retourner, mais à l’évidence je devais auparavant me plier aux démarches administratives de rigueur.

Je me disais tout cela en avançant dans la ville qui ne voulait pas réveiller le lundi. Je ne pouvais pas le lui reprocher.

Tu as gagné un nuage dans le plus beau quartier du ciel

Elle était passée de l’orgueil escarpé au chagrin le plus pur.

Je connaissais le cliché par cœur, mais j’étais penché dessus comme si c’était un hiéroglyphe. Je connaissais aussi le texte, mot par mot, dans la belle écriture de Noelia, les o avec une longue mèche, les e serrés dans la courbe du croisement, les i, dunes légères du trait sous un gros point qui était soleil ou nuage

Elle repartit à travers champ, sa chemise à fleurs on­doyant comme le drapeau d’un pays dans lequel les quatre saisons se seraient appelées printemps

nous avons tous une veuve, que ce soit une femme, un livre ou un moment auquel nous ne pourrons jamais retourner…

Discrètement au début, mais au fil des jours ils finirent par se regarder en face. J’étais à quelques mètres de là, mais j’avais vu que leurs yeux s’en disaient plus que s’ils s’étaient parlé

C’étaient les Marocains émigrés, éboueurs des égouts du rêve européen

La faible lumière rendait tout fantomatique et derrière les hublots apparut la clarté sale du crépuscule qui vira bientôt au noir

J’avais entendu je ne sais où cette ironie cruelle selon laquelle c’étaient les pauvres qui donnaient leur personnalité aux nations : les riches sont pareils partout

Il baissa la tête, plongea dans le chagrin

les années m’étaient tombées dessus comme un cogneur gaucher et furieux

Je suis un vieux boxeur qui ne l’emporterait même plus sur son ombre…

Si on s’immobilisait en silence, on pouvait entendre respirer les plantes.

La vérité passe par le con, Nicolás, dit-elle sans encourager l’accès, sans l’empêcher non plus. Il n’y en a pas deux pareils et on rêve toujours de celui qu’on ne connaît pas. On le crédite de plus de secrets qu’il n’en a et tu sais quoi ? Il n’a pas de mémoire, on le lave et tout est oublié.

Je voyais tout comme à travers une vitre sale : ils étaient là, mais ils ne pouvaient me toucher

J’avais envie de les avoir à côté de moi pour combler ce vide, à la hauteur de ma poche de chemise

l’image d’Elle s’effaçait sur la photo, mais je l’avais effacée bien avant, pour la punir de m’avoir quitté

Le changement d’hémisphère n’avait pas amélioré les choses. Au bout de douze mille kilomètres, il ne me restait qu’un doute : étais-je un sinistre connard ou un imbécile heureux ?

— “J’aime quand tu te tais, car tu es comme absente…” récitai-je. Ça, c’est de Neruda

C’est sentir qu’une larme sans raison balance entre l’œil et l’intérieur, et le pire c’est que vous n’avez pas envie de pleurer, mais vous êtes ému et elle vous échappe sans qu’on sache pourquoi. Ou parce qu’on ne le sait que trop

Et aussi bon qu’il soit, un doute est toujours un mensonge que nous ne distinguons pas nettement

Tu sais quoi ? En vérité, tu es un connard prétentieux qui s’est toujours pris pour quelqu’un, un personnage de roman de gare déguisé en plaidoyer contre la médiocrité. Mais en vérité, tu as passé ta vie à chercher une excuse pour capituler, et tu viens de la trouver. Voilà la vérité

Je suis un collectionneur de naufrages fatigué de ramer, tu sais ? Un type qui passe et s’en va, qui s’en va toujours.

Les jours chantent l’histoire de l’homme au bord de l’homme les jours chantent les matins les jours n’ont pas peur. Fito Páez, La vie est une pièce de monnaie.

Mais j’étais seul avec ma tête et les questions menaçaient, comme le sifflement lointain d’un train qui va bientôt arriver

J’envisageai d’écrire à Nina une longue lettre qui remette à sa place chaque pièce du puzzle de mon cœur, mais je savais que les bords ne cadreraient pas et je renonçai

Quand le soleil serait levé, quand les rues seraient en sueur, pleines de gens pour leur donner un air fréquenté, je partirais sac au dos et sur chaque pavé je laisserais tomber un souvenir de cette folle semaine

car l’oubli est l’activité la plus pourrie quand il est urgent d’oublier, d’effacer un visage inoubliable par pur instinct de conservation, de piéger le puzzle en recourant aux ciseaux d’une mémoire obéissante qui remue la queue quand on l’appelle et qu’on lui donne un os à ronger, un souvenir à ternir, une friandise pelucheuse tirée d’une poche dévastée de l’esprit, une tape condescendante que cette chienne de mémoire, dressée à oublier, accueille avec une reconnaissance et une fidélité toutes canines, maladie typique des chiens, en fin de compte, car les hommes peuvent être reconnaissants, fils de pute, nombrilistes, égocentriques et même décents trois secondes tous les dix ans, mais guère plus. À peine plus..

Le mec disparut du miroir, avec sa sale tête de “je te l’avais bien dit”

un poème est un mensonge qui sonne bien, quelque chose à se mettre, une marchandise si c’est vendable et j’avais passé ma vie à vendre des mensonges

Tout dans cette boîte avait une signification, c’étaient des graines de réponses. Mais j’avais perdu les questions

…brumes de ma découverte, flottant comme des fantômes que je ne voulais pas regarder pour mieux nier leur existence

Il y avait au moins une chose que je savais faire tout seul : me tromper

une tradition veut que les morts, avant le voyage final, aillent cueillir leur vie, la revisiter comme un dernier adieu, la mettre dans un sac et enfin mourir en paix

Chaque courbe de l’écriture était l’écho d’une caresse qui avait sa place dans mon corps, un creux pour nommer un vide, une réponse. Mes doigts en lévitation survolèrent le nom, qui était le mien, comme s’il s’agissait d’un autre dont je pouvais être jaloux à jamais

J’étais indifférent à la géométrie rassurante des trottoirs. Le soleil vertical me refusait toute ombre et mon ombre m’avait laissé tomber

On dormit ensemble, chacun rêvant de sa gouttière, de ses ruelles et de ses femelles dangereuses

Le soleil montait, montait, comme s’il avait trop dormi et cherchait à rattraper le temps perdu
Je vou­lais me sentir propre, au moins extérieure­ment

One Reply to “Salem, Carlos – Un jambon calibre 45 (2013)”

  1. Mais euhhhhhhh arrête de nous donner envie de lire un livre !! j’en ai déjà tellement sur ma pile que je ne sais plus où donner de la tête… ou de la liseuse…

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