Mankell, Henning «Un paradis trompeur» (2013)
Résumé : Le froid et la misère ont marqué l’enfance de Hanna Renström dans un hameau au nord de la Suède. En avril 1904, à l’âge de dix-huit ans, elle s’embarque sur un vapeur en partance pour l’Australie dans l’espoir d’une vie meilleure. Pourtant aucune de ses attentes ou de ses craintes ne la prépare à son destin. Deux fois mariée brièvement, deux fois veuve, elle se retrouve à la tête d’une grosse fortune et d’un bordel au Mozambique, dans l’Afrique orientale portugaise. Elle se sent seule en tant que femme au sein d’une société coloniale régie par la suprématie machiste des Blancs, seule de par la couleur de sa peau parmi les prostituées noires, seule face à la ségrégation, au racisme, à la haine, et à la peur de l’autre qui habite les Blancs comme les Noirs, et qui définit tout rapport humain. Ce paradis loin de son village natal n’est-il qu’un monde de ténèbres ?
Mon avis : Toujours aussi inconditionnelle de cet auteur que ce soit dans le polar ou dans le roman. et comme toujours au centre de ses écrits, un problème de société. Roman «africain» de Mankell (qui partageait sa vie entre la Suède et le Mozambique). Et à nouveau un roman sans concession. Au centre du sujet : le racisme, la peur de l’autre. La jeune blanche devient la tenancière du plus grand bordel du Mozambique, un personnage qui a existé. Il y a aussi des images africaines et les traditions, l’arbre dans les racines duquel les fœtus sont enterrés et des personnages bien africains et rigolos (le singe) . Le récit est rythmé par les changements de nom d’Hanna à chaque étape de sa vie. Le passé colonial ne s’efface pas et la distance blanc/noir ne disparaît pas. Plongée dans un monde où défiance et haine se côtoient et le malaise est constant. Le racisme est dans les deux sens et oser essayer de changer les choses est très mal vu et dangereux.
Extraits :
Elle n’est pas belle. Mais entière. Cela émane de toute sa personne.
sa voix qui vers la fin de sa vie n’était qu’un chuchotement. Comme s’il désirait qu’elle conserve ses paroles comme un précieux secret.
Les voyages les plus remarquables sont intérieurs, libérés du temps et de l’espace.
Il parle rarement en vain. Pour lui, les gens sont aussi peu capables d’écouter que la mer est digne de confiance.
Il parlait souvent d’eux. De ceux qui étaient passés avant. Cela l’effrayait : les vivants étaient si peu, et les morts tellement plus nombreux.
Est-ce cela être adulte ? songea-t-elle, en détournant le visage, car elle avait l’impression que sa mère lisait ses pensées. Substituer à l’incertitude de l’enfance un autre inconnu ? Savoir qu’il n’y aura pas d’autres réponses que celles qu’on ira soi-même chercher
– Dieu a créé le changement d’année pour que nous méditions sur le temps passé et sur celui qui nous reste !
Hanna n’oublierait jamais le moment où les lettres avaient cessé de sauter sous ses yeux. Où elles avaient arrêté de grimacer pour former des mots, des phrases, et bientôt des histoires entières qu’elle pouvait comprendre.
Il faut toujours parler à voix basse aux gens qui ont peur, je l’ai appris de ma mère. Celui qui crie en présence d’un malade peut voir sa voix se transformer en lance mortelle.
– Les Noirs ne sont que nos ombres. Ils n’ont pas de couleur. Dieu les a faits noirs pour que nous n’ayons pas à les voir la nuit. Et pour que nous n’oubliions jamais d’où ils viennent.
La solitude. Elle n’apprendrait jamais à la supporter. Elle avait grandi au contact des autres.
Elles nous regardent quand nous avons le dos tourné. Elles craignent nos yeux comme nous craignons les leurs.
Elle attendait, mais au fond elle ne savait pas quoi. Parfois, elle était prise d’un entêtant malaise à l’idée de ne servir à rien. Tout dans cette grande maison était fait par les domestiques noirs. Sa mission était de ne toucher à rien.
« Les Noirs mentent pour éviter de souffrir inutilement. Les Blancs mentent pour se défausser des agressions qu’ils commettent. Et les autres, les Arabes et les Indiens, mentent car il n’y a plus de place pour la vérité dans cette ville où nous vivons. »
« Celui qui vole à autrui sa liberté ne peut jamais s’attendre à être proche de lui. »
Même nés ici, nous sommes en terre étrangère. Ou plutôt devrais-je dire en territoire ennemi.
– Est-ce que c’est cela que je ressens ? Toute cette haine dirigée vers nous autres, les Blancs ?
– Il n’y a pas vraiment de quoi s’en faire. Qu’est-ce que les Noirs pourraient contre nous ? Rien.
– Ils ont quelque chose de plus que nous.
Pour la première fois, il parut interloqué.
– Et quoi ?
– Le nombre.
Nous nous rencontrons ici, et nous vivons sans rien révéler de notre passé. J’imagine parfois qu’une nuit noire, sur le bateau, sans que personne nous voie, nous avons jeté notre passé par-dessus bord, bien lesté.
elle avait déjà remarqué hostilité et tristesse dans les yeux des Noirs. Elle vivait sur un continent triste, où les seuls à rire, et souvent bien trop fort, étaient les Blancs. Mais ce rire, elle le savait, n’était souvent qu’une façon de cacher une peur qui se transformait facilement en terreur. À cause de l’obscurité, de ceux qui s’y cachaient, invisibles.
– Pourquoi avoir honte de ce qu’on oublie ? Devrait-on alors aussi avoir honte de ce dont on se souvient ?
2 Replies to “Mankell, Henning «Un paradis trompeur» (2013)”
Tiens, je l’ai oublié quelque part en route celui-ci… Faudrait bien que je me le remette dans la PAL…
C’est je crois le livre de Mankell que j’ai le moins aimé ,pourtant beaucoup de sentiments forts émanent de ce livre .