De Giovanni Maurizio «Et l’obscurité fut» (2016)
Les enquêtes de l’inspecteur Lojacono (tome3)
Résumé : À l’image de Naples, écrasée par la chaleur d’un mois de mai estival, le commissariat de Pizzofalcone baigne lui aussi dans une atmosphère étouffante. En effet, l’équipe se débat avec un cas difficile : l’unique petit-fils d’un riche entrepreneur napolitain, aussi respecté que détesté, a été enlevé.
La demande de rançon ne se fait pas attendre, toutefois, entre la mère révoltée contre l’autorité paternelle, le beau-père « artiste endetté » ou la secrétaire diffamée du patriarche, tout le monde semble avoir de bonnes raisons de vouloir toucher le magot.
L’enquête, menée par Romano et Aragona, progresse à tâtons, tandis que Lojacono et Di Nardo sont chargés d’une « simple » histoire de vol dans un appartement.
À première vue, aucun lien ne semble exister entre les deux affaires.
Mais à l’instar des ruelles napolitaines, chaque découverte en fait resurgir une nouvelle…
Mon avis : Et nous revoilà avec notre fine équipe (qui n’est pas sans rappeler celle de la Capestan de Sophie Hénaff). Nos policiers désespérés dévoilent quelque peu leur histoire, leurs cotés sombres et leurs espérances. Les équipes se forment ; on en apprend de plus en plus sur les personnages. Mais je dois dire que je préfère l’ambiance des deux précédents, une ville noire et hivernale. Heureusement, bien que l’action se passe au mois de mai, la noirceur se reflète dans la nuit, les appartements obscurs, les rideaux tirés. La solitude et les secrets. Naples est toujours un des personnages ; l’importance de la police de proximité, de la connaissance du quartier et de la ville pour comprendre les situations, obtenir des infos et résoudre les énigmes… Très bon moment napolitain. Et beaucoup de solitude, chez tous les personnages.
Extraits :
Il y a des nuits.
Des nuits traîtresses, qui s’approchent, tout sourire, comme si leurs intentions étaient pacifiques, alors qu’elles apportent la guerre et la douleur.
Des nuits qui vous enchantent de leur joie feinte, vous séduisent doucement en vous étreignant, puis vous poignardent au cœur à l’improviste, meurtrières obscures, absurdes.
Des nuits suspendues entre un jour et l’autre, inconscientes de ce qui les précède et de ce qui les suivra.
Des nuits capables d’abattre les souvenirs et de construire de nouveaux rêves, aux saveurs bâtardes, qui se parent cependant de nouveaux sens.
Ces nuits-là vous font croire que vous pourrez réconcilier passé et futur, et transformer ce poids qui vous écrase en moteur.
On pouvait lutter contre presque tout, la méchanceté, la stupidité, l’ignorance, et il arrivait même qu’on l’emporte. Mais contre la nature, on ne pouvait pas grand-chose.
Il était au courant de toutes les normalités anormales et étrangetés habituelles qui caractérisaient ce quartier : rien ne pouvait le surprendre, parce qu’il connaissait sa respiration comme celle d’un animal familier et bien-aimé…
Pour avoir peur au point de désirer mourir, il faut du courage. Beaucoup de courage.
Peut-être qu’on ne veut plus vivre, à certains moments, mais pas au point de désirer la mort. Toute la différence est là.
L’obscurité est toujours pleine de bruits. L’obscurité ne reste jamais muette.
Tu es un héros parmi les héros, Batman. Parce que tu as le superpouvoir le plus puissant au monde : le courage.
Ces incapables. Ils n’arriveraient même pas à retrouver leur nez dans le brouillard.
il était quotidiennement confronté à cette épidémie qui faisait rage dans les grandes villes : la solitude. Aucun lieu, répétait-il toujours, ne ressemblait davantage à un désert que les métropoles occidentales, où des femmes et des hommes invisibles traînent leur existence comme les bêtes âgées ou malades, exilées du troupeau. Des proies faciles pour les grands carnivores.
Les lumières de la ville paraissaient des joyaux posés sur un fond de velours noir.
On les reconnaît tout de suite, les héros : ce sont ceux qui sont forts, ceux qui sont capables de broyer le mal dans leur poing et de le jeter.
Ceux qui n’ont pas peur.
Certes, il y avait des pommes véreuses comme elle dans le tas, mais ils étaient authentiques.
D’ailleurs, si j’étais toi, j’appliquerais la règle suivante : moins on parle, moins on dit de conneries.
Cet être doux, affectueux et expansif avait alors regardé autour de lui : un désert. Il avait perdu sa famille et n’avait pas su en fonder une autre. L’homme propose, le destin dispose.
Et il avait trop de souvenirs, désormais si délavés qu’il craignait de les avoir créés exprès pour remplir un vide immense.
La nuit de mai enveloppait la rue comme un parfum exotique, et il lui sembla presque que la douceur de l’air embrumait son regard.
Mais il s’agissait d’un voile de larmes et de mélancolie.
Noir.
Au sommet de la nuit, il y a le noir.
Il ne dure pas très longtemps, heureusement. Peut-être cinq minutes, tout au plus, le temps de quelques respirations et d’un frisson de terreur, quand on se penche sur l’abîme.
Il ne dure pas longtemps, mais il peut laisser sa marque, s’il se prolonge un tant soit peu, s’il parvient à glisser ses doigts à travers la solitude.
Le noir.
Noir.
Le moment de la nuit où les espoirs disparaissent, chassés par la douleur de ce qui se produira.
Le moment de la nuit où le repos se brise en mille fragments de nostalgie, pour se recomposer tel un suaire, dans l’attente fragile de l’aube.
Le noir.
Tout le monde déplorait cet état de chantier permanent, mais il lui plaisait. Elle voyait la ville comme un énorme animal débordant de vitalité, qui changeait sans cesse de peau et se renouvelait avant de devenir trop vieux.
Toujours joyeuse. Et elle riait. Pas parce qu’elle était bête, au contraire. Parce que c’était une femme qui avait souffert, lutté, pleuré. Certains sourires sont comme des diplômes, avant de les exhiber, il faut les mériter.
l’odeur de la mort pesait comme des relents de cuisine.