Piñeiro, Claudia «Une chance minuscule» (2017)
Auteur : Claudia Piñeiro est née en 1960 à Burzaco, dans la province de Buenos Aires. Elle est romancière, dramaturge et auteur de scénarios pour la télévision. Elle est publiée chez actes Sud : Les Veuves du jeudi (2009), Elena et le roi détrôné (2010), Bétibou (2013), À toi (2015) . Une chance minuscule est sorti en mars 2017
(272 pages – Titre original : Una suerte pequeña (2015)
Résumé : Marilé Lauría, trentenaire blonde aux yeux clairs, vit dans une banlieue huppée de Buenos Aires. Elle a épousé un chirurgien, habite une résidence cossue au perron garni de rosiers, et fréquente les parents qui, comme elle, confient leur progéniture au sélect collège privé de la ville. Jusqu’au drame qui rebat les cartes de cette existence morne et futile et fait basculer sa vie. La voilà condamnée à fuir comme une voleuse afin de délivrer de sa présence l’être qu’elle aime plus que tout au monde.
Quelques vingt ans plus tard, Mary Lohan, une quinquagénaire rousse aux yeux de jais qui réside à Boston, prend l’avion pour l’Argentine, où l’appelle une mission professionnelle. Au terme du voyage: une petite ville qu’elle ne connaît que trop bien, le souvenir cuisant d’une faute jugée impardonnable qui l’a poussée à tout abandonner et un homme qu’elle craint par-dessus tout de rencontrer.
Probablement aussi la chance majuscule de pouvoir enfin “réparer” la femme rompue.
Cette poignante comédie dramatique explore les liens du sang, la culpabilité et les épouvantables ou merveilleuses facéties du hasard.
Revue de Presse :
Rémi Bonnet, La Montagne/ Le Populaire du Centre : « Ce personnage, sorti de l’imagination de la romancière argentine Claudia Piñeiro, c’est un peu le symbole de toutes ces vies brisées qui végètent dans le noir en attendant enfin de retrouver la lumière. » Entre des mains moins scrupuleuses, cette histoire aurait pu tomber dans le mélo, et tirer des larmes peu honnêtes. Mais l’auteur avance avec une grande pudeur, reconstituant petit à petit les fragments d’une existence éparpillée en mille morceaux. Bouleversant. »
Virginie Bloch-Lainé, Libération : « Dans le cinquième roman de Claudia Piñeiro traduit en français, chance et malchance se partagent le travail. (…). Malgré l’accident, ce livre n’est pas sombre, mais plein de nouveaux départs et de bons compromis. C’est l’histoire d’un couple et le portrait d’un fils solide et confiant. »
Mon avis : Affronter les fantômes de son passé. L’auteur nous entraine dans un voyage dans le temps ; elle retourne sur les lieux de son passé, vingt ans après. Veut-elle vraiment s’y confronter ? Attend-elle que le passé la heurte de plein fouet pour y être obligée ? C’est un roman noir, un roman psychologique ; elle affronte sa culpabilité et va essayer d’expliquer le « pourquoi » de sa fuite. A qui l’explique-t-elle ? à elle ? à d’autres ? Pour qui un auteur écrit-il ? pour lui ? pour une personne en particulier ? La vie est comme l’Histoire avec un grand H : les choses s’enchainent et il n’y a ni destin ni hasard. Analyse de l’âme humaine, portrait psychologique et social. Peut-on oublier en se cachant derrière une autre vie, une autre identité ? Un roman sur la fuite, la solitude aussi. Peut-on enterrer le passé et faire comme s’il n’existait pas ? On plonge dans l’émotionnel. Les personnages sont forts et fragiles à la fois. C’est dès le début la lutte entre le conscient et l’inconscient. Mary retourne au pays en souhaitant ne pas être reconnue mais en même temps elle voudrait bien que sous Mary Lohan on reconnaisse l’ancienne Marilé Lauría
Ecriture intéressante et extrêmement fluide. Une belle réflexion sur les mots et la langue aussi. Le drame est présenté en plusieurs fois… par une entame de chapitre qui revient et s’étoffe à chaque fois.. Elle dose l’information et nous la livre au compte-goutte. Et elle m’a bien accrochée…
Une fois encore, comme dans le livre de Hegland, Jean «Dans la forêt», le nom de l’auteur Alice Munro refait surface… Prix Nobel 2013.. je n’ai jamais rien lu de cet écrivain canadien..
Gros coup de cœur pour ce livre.
Extraits :
Je récite cette définition de mémoire, et je la leur fais apprendre de mémoire. By heart, comme on dit en langue anglaise. Une traduction qui n’est pas littérale, bien au contraire. La mémoire versus le cœur.
J’essaie avec l’une puis avec l’autre. La troisième personne éloigne, elle crée une distance protectrice. La première m’approche du bord de l’abîme, elle m’invite à sauter. La troisième me permet de me cacher, de rester deux pas plus en retrait, de ne pas regarder le vide, même lorsque je l’évoque.
Mais pas mon rêve à moi, car je n’avais pas de rêves personnels. Alors je m’étais approprié les rêves des autres. En fin de compte, ce rêve n’était pas si mal, qu’y avait-il à attendre de plus de la vie ?
En général je ne suis pas pressée. Cela fait bien longtemps que j’ai perdu l’habitude d’être pressée. Pressée pour quoi faire ? Pressée d’arriver où ?
“Agréable”, c’est un mot tiède, qui ne dit pas grand-chose. Mais je n’en trouve pas d’autre. Comme pour nice en anglais. Deux mots pratiques mais dépourvus d’enthousiasme.
Quand deux personnes qui se connaissent à peine se rencontrent, les silences sont difficiles à supporter ; je n’ai jamais bien saisi pourquoi, mais c’est comme si l’air qui flotte entre leurs deux corps devenait pesant.
Mais je ne suis pas forte, je ne l’ai jamais été et je ne le suis pas davantage aujourd’hui malgré la carapace que j’ai mise autour de moi, alors que je me suis blindée pour ne plus souffrir autant.
J’ai effacé beaucoup de souvenirs de ces années. Par tous les efforts déployés pour oublier ce qui me faisait souffrir, j’ai oublié des détails inutiles mais inoffensifs du quotidien, des noms de rues, de magasins, de relations, des liens de parenté. Malgré tout, ces efforts se sont avérés inefficaces car, bien que soulagée de certains souvenirs, ma blessure reste, ce qui ne la rend que plus cuisante, comme si elle occupait une scène vide et que tous les projecteurs convergeaient sur elle.
j’ai tout fait pour les oublier, je les ai tués en moi ; mais eux, m’ont-ils tuée ? N’y a-t-il donc personne qui me voie ?
J’aime l’histoire, c’est ma passion, comprendre le pourquoi des choses, leurs causes et aussi leurs conséquences. Enfin, surtout leurs causes.
Il y a des actions qui ne sont pas dignes qu’on leur cherche des raisons. Il y a des actes qu’aucune raison ne peut justifier.
Je parviens ainsi à me vider la tête pendant quelques instants et à me reposer. À penser sans ressentir.
C’est peut-être ce que font beaucoup d’écrivains, ils s’inventent un lecteur anonyme, pour ne pas se sentir intimidés par les gens qui vont les lire et les juger, pour échapper à la tentation de renoncer à écrire pour éviter de trop s’exposer. Ils se convainquent de cet anonymat du lecteur car, même si à l’autre bout de l’écriture il y a bien quelqu’un, il peut s’avérer préférable de ne pas savoir qui est réellement cette personne.
Quand on vide une maison, qu’il s’agisse de la nôtre ou de celle de quelqu’un d’autre, on a de fortes chances de réveiller de vrais fantômes, de découvrir des secrets qui n’étaient pas si bien gardés, d’être bouleversé par une révélation, ébranlé par un objet qui prend soudain une signification différente.
La maternité, si vous ne la prenez pas comme quelque chose de naturel, d’irrémédiable, elle vous inspire trop de questions.
Sa présence pesait toujours, comme un silence
Des actes apparemment insignifiants auxquels on ne prêterait aucune attention si leur enchaînement ne causait pas des malheurs.
Pour quelle raison. Pour quoi faire. Pour quelle finalité. Il n’y a pas de réponse. Pas d’issue. La feuille de route de notre vie indique cette étape, quelque part sur notre chemin et, quoi que nous fassions, nous devrons quand même l’affronter.
Quels ravages peut bien laisser en nous un chagrin bien réel mais que l’on nous interdit de laisser paraître et de ressentir ouvertement ? D’immenses ravages. Car ce chagrin silencieux et clandestin blesse plus que celui que l’on peut laisser éclater au grand jour.
Il existe différentes sortes de mères. Il y en a qui, lorsqu’elles se rendent compte qu’elles peuvent gâcher la vie de leurs enfants, cherchent une façon de l’éviter.
Mais le suicide était une mort très particulière, qui n’est pas sans effets pour ceux qui restent. Une mort qui porte une dédicace, qui les fait se sentir responsables d’avoir été si près, de ne pas s’être rendu compte de ce qui était sur le point d’arriver et de n’avoir pu l’éviter.
Si quelqu’un dépend de la gentillesse d’un inconnu, c’est que ceux qui l’entourent ne sont pas des gens sur lesquels il a pu compter.
Ce qui s’est passé, les faits en eux-mêmes, ne peuvent en effet être réparés. Ils sont bien là, ils sont arrivés, on n’y peut rien changer. Ils existent pour toujours. Mais dans le passé. Aujourd’hui, demain et l’année prochaine dépendront de la façon dont vous allez vivre et de ce que vous comptez faire à partir de maintenant. Le mal est là, la douleur est bien là, mais ce qui vous attend dépendra des chemins que vous choisirez d’emprunter. Vous ne pourrez pas éradiquer ce mal, mais vous pourrez faire de cette douleur qui vous empêche de vivre aujourd’hui une douleur apaisée, de plus en plus facile à supporter, à accepter, une douleur qui deviendra un vague à l’âme que vous traînerez toujours mais qui vous laissera continuer de vivre. Une douleur qui se rappellera de temps en temps à votre bon souvenir, comme dit Munro, mais qui, un beau matin, vous laissera sortir faire un tour sans se sentir obligée de vous accompagner.
Nous parvînmes à une communion qui un jour nécessita que nous nous embrassions et que nos corps s’unissent ; si l’inverse s’était produit, cela n’aurait peut-être pas fonctionné.
Bien qu’il ne soit plus là, je crois que je le connais un peu plus chaque jour. Et je souris en réalisant, alors qu’il est pourtant mort, à quel point il continue de m’accompagner, de faire des choses pour moi, pas depuis l’au-delà auquel je ne crois pas, mais à travers ces choses qu’il a faites et laissées ici, en ce bas monde, avant de s’en aller, ces choses que je ne parviens à distinguer que maintenant.
Tous les gens réagissent de façon différente devant l’abîme qui s’ouvre un jour devant eux, ils savent qu’ils ne peuvent plus faire un pas en avant, sinon ils tomberaient, mais les options, les différents chemins qui s’offrent à ceux qui se trouvent au bord du précipice sont généralement beaucoup plus nombreux qu’ils ne se l’imaginent.
C’est peut-être cela, le bonheur, un instant où l’on est là, tout simplement, un moment quelconque où les mots sont de trop car il en faudrait trop pour le raconter.
2 Replies to “Piñeiro, Claudia «Une chance minuscule» (2017)”
Je te suis, séduite…
Je l’attaque ce soir !