Guay de Bellissen, Héloïse «Dans le ventre du loup» (2018)
Auteur : Héloïse Guay de Bellissen a été libraire avant de se consacrer à l’écriture. Le roman de Boddah (Fayard, 2013) – prix Méditerranée des lycéens – , est suivi des Enfants de chœur de l’Amérique (Anne Carrière, 2015). Dans le ventre du loup (Flammarion, 2018) est son troisième roman. Parce que les tatouages sont notre histoire est annoncé (Robert Laffont) pour janvier 2019. Elle publie Le Dernier inventeur à la RL2020.
Flammarion – Littérature française – 07/02/2018 – 336 pages
Résumé : C’est un conte, un conte bien réel. Une jeune femme ouvre les archives du tribunal d’Annecy pour revenir sur le fait divers qui a détruit sa famille, trente ans auparavant. Pourquoi ne lui a-t-on jamais parlé de sa cousine Sophie, victime à 9 ans du « monstre d’Annemasse » ? Elle plonge dans son histoire comme on plonge dans la gueule du loup. Le loup qui la guette depuis l’enfance. Le loup qui a tué, jeune assassin dont la vie a été pulvérisée par un drame. Le loup qui agit silencieusement au sein de chaque famille. Héloïse fait œuvre de vérité, met en images les mauvais rêves, revient dans la maison de vacances où les petites filles vivaient en dehors du temps des adultes.
Revisitant le mythe du Chaperon rouge, Héloïse Guay de Bellissen, dans son roman le plus ambitieux, décrit admirablement le monde noir et solaire de l’enfance, et redonne au fantôme d’une fillette existence, dignité et amour.
Presse : l’Express – le choix de Mazarine Pingeot : https://www.lexpress.fr/culture/livre/dans-le-ventre-du-loup-quand-la-proie-devient-predateur_1990662.html
Mon avis : Soyons clairs… C’est à cause de l’endroit où se déroule l’action que j’ai d’abord été attirée par le roman. Annemasse… je ne pouvais que tilter… la ville où j’ai été au lycée. C’est du « local » et cela interpelle toujours plus que ce qui se passe très loin… Pourquoi ? Peut-être pense-t-on éventuellement reconnaitre des lieux, des gens…
L’auteur va « mener l’enquête » sur une partie de son histoire familiale qui lui avait été cachée : l’assassinat de sa petite cousine, … dont elle ne se souvient plus… C’est d’ailleurs extrêmement curieux de voir la manière dont la petite Sophie, avec laquelle elle avait passé ses vacances s’efface de son univers familial. Suite à la diffusion d’un reportage à la télévision, elle va plonger dans les archives du tribunal et exhumer les secrets de famille, les non-dits.
Et bien j’ai été happée par ce récit et très vite le côté « fait divers » – même si le meurtre d’une fillette est nettement plus qu’un fait divers – passe au second plan, le traitement psychologique des personnages et des situations m’ayant beaucoup intéressé. La démarche de l’auteur va bien plus loin. Elle va nous faire revivre l’enfance de la fillette avant sa disparition tragique mais aussi et surtout la trajectoire du tueur et la construction de sa personnalité, montrer comment de victime il va devenir bourreau. Elle va aussi – et c’est non négligeable – exposer son contexte familial et la manière dont elle a dû gérer ses craintes et cauchemars, générés par le silence des adultes qui l’entouraient et avaient occulté les faits pour la protéger… Ce mur érigé entre elle et sa famille, qu’elle finira par ne plus fréquenter du tout va la priver de construction personnelle. Tout comme le « monstre » c’est l’absence de communication avec le monde adulte qui est au centre de ce livre.
La construction de ce livre est également très intéressante. Elle va, par petites touches, distiller des témoignages de personnes qui ont connu les protagonistes, du meurtrier, des fragments de contes, de légendes, de procès-verbaux, des bouts d’expertise, des souvenirs d’enfance, des extraits de Boris Cyrulnik…
Au pays de l’enfance dévastée on retrouve les contes – Frères Grimm/Charles Perrault (Petit Chaperon rouge, la quête du petit Poucet, Alice au pays des merveilles), des légendes rurales de différents endroits (campagne française, Transylvanie…) et aussi les ritournelles (Il court, il court, le furet) et on assiste à la reconstruction d’une adulte qui avait construit sa personne sur des fondations peu compactes… en refoulant au fond de sa nuit des éléments qui lui auraient évité bien des troubles, des peurs, des angoisses, des trous noirs… Enfin c’est ainsi que je le ressens…
Je suis allée déterrer mon vieux compagnon, le livre de Bruno Bettelheim «Psychanalyse des contes de fées » pour me replonger dans les diverses versions du « Petit Chaperon rouge » ( en bas de l’article quelques extraits)
Extraits :
Son regard est couché sur l’horizon comme un soleil, pourtant la nuit est là, prête à se rompre. Et quand elle tombe, tout tombe avec elle.
La stupeur se fraye un chemin dans le lobe occipital, passe dans le sang, globule blanc, rouge, violet des veines, bleuté du cœur, toutes les cellules sont au garde-à-vous. Et les organes, même les plus insignifiants, tapent à la porte de l’inconscient.
Marcher dans les décombres de soi et essayer de reconnaître un nom. Aller se balader du côté des ruines de souvenirs, mais rien, que dalle, le cerveau est bousillé.
Tout le monde a son croquemitaine, sa frousse du noir. Le soir c’était toujours la trouille, la nuit ça rampe, les gamins le savent.
Je reste en suspens, entre songe et cauchemar, prends la flèche du temps et vais me blesser encore un peu avec en ouvrant une petite enveloppe scellée.
Les gamins sont des bouffeurs de mondes.
Il est roublard, bon élève, lèche-bottes à tel point qu’il lécherait volontiers toutes formes de chaussures […]
Maintenant, son ennemi intime c’est l’enfance, parce qu’elle l’a abandonné d’un coup.
Le travestissement, tout le monde y joue sans arrêt, mais ici au tribunal je vois les vrais visages parce que la justice arrache les masques et revient aux origines des choses.
Immortaliser. Avoir une trace, une preuve qu’elle a existé et qu’il était là, qu’il n’a rien manqué du spectacle. Le pouvoir de la congeler, la refroidir sur du papier glacé, coaguler son sourire, avoir sa bouche ouverte quand elle rit, ses dents, ses yeux, sa jeunesse prête à s’amplifier, à prendre du grade. Et ce geste photographique, c’est déjà une forme de souveraineté.
La mécanique de l’obsession. Il repense au moment où elle est apparue dans le bac du révélateur, au miracle de découvrir lentement son portrait apparaître dans l’eau.
Une rencontre c’est l’alliance étrange de deux êtres qui se trouvent au même endroit, au même moment et dont les destins forment un isolement commun.
le crime est un geste, un mouvement du dedans vers le dehors, mais il est aussi une liberté qu’on prend. Entre l’ébranlement et l’éboulement. Se trouve-t-on dans un brouillard silencieux ou dans un vacarme intérieur ?
Son regard peut enfin accoster sur quelque chose de beau, se reposer, un phare. Illumination.
Tu n’auras rien de ce qu’elle était véritablement. Rien.
Cette famille m’a laissé la tête sous l’eau pendant que je me démenais avec de belles angoisses toutes propres, de merveilleuses peurs que personne n’a voulu décrypter.
Cette histoire c’est une histoire de non-dit de part et d’autre, de vacarme silencieux, d’enfance mise à nue, mise à mal, et d’écriture, de mots que les enfants se repassent. Il est passé par ici, il repassera par là.
Mais il y a toujours une personne pour ouvrir les portes d’une histoire.
Perdre son identité c’est devoir en trouver une autre. À découvrir des vérités sur soi, l’origine des peurs, on devient quelqu’un d’autre.
Ce sentiment où un cœur s’égare dans du vide et n’accoste nulle part.
Peur, réticence, brisure, il est au bord de quelque chose.
parfois dans la vie, on est pris dans une spirale qui nous lie à un passé, à un secret, et tout ça, qu’on le veuille ou pas, nous a été, et c’est un fait, transmis
Quelques extraits de Bruno Bettelheim «Psychanalyse des contes de fées » (1976)
« Le petit chaperon rouge »
Mais la version originale de Perrault se poursuit par un petit poème qui tient lieu de moralité : « … les jeunes filles, belles, bien faites et gentilles, font très mal d’écouter toute sorte de gens. » Si elles le font, il ne faut pas s’étonner que le loup les attrape et les mange. Quant aux loups ils se présentent de façons différentes, et, parmi eux, les plus dangereux sont les plus gentils, particulièrement ceux qui suivent les demoiselles dans les rues et même dans leur maison.
un conte de mise en garde qui énonce absolument tout
la peur d’être dévoré est le thème central du « Petit Chaperon Rouge »
aborde quelques problèmes cruciaux que doit résoudre la petite fille d’âge scolaire quand ses liens œdipiens s’attardent dans son inconscient, ce qui peut l’amener à s’exposer aux tentatives d’un dangereux séducteur
dans « Le Petit Chaperon Rouge » où la mère et la grand-mère ne font rien : elles ne protègent pas, ne menacent pas
L’homme, au contraire, tient une place capitale sous ses deux aspects opposés : le dangereux séducteur qui se fait le meurtrier
Le rouge est la couleur qui symbolise les émotions violentes et particulièrement celles qui relèvent de la sexualité
Perrault le loup n’est rien d’autre que le séducteur mâle, on comprend parfaitement qu’un adulte renonce à séduire une petite fille s’il risque d’être vu ou entendu par d’autres adultes
L’affaire : Gilles de Vallière, l’assassin aux cordelettes
Voir : Faites entrer l’accusé https://www.youtube.com/watch?v=QEUuOh0ybKs
Lire article : Psychanalyse sur le conte du petit Chaperon Rouge