Adam, Olivier «Chanson de la ville silencieuse» (2018)

Adam, Olivier «Chanson de la ville silencieuse» (2018)

Auteur : Olivier Adam est né en 1974. Il est l’auteur de nombreux livres dont Je vais bien, ne t’en fais pas (Le Dilettante, 2000), Passer l’hiver (L’Olivier, Goncourt de la nouvelle 2004), Falaises (L’Olivier, 2005), À l’abri de rien (L’Olivier, prix France Télévisions 2007 et prix Jean-Amila-Meckert 2008), Des vents contraires (L’Olivier, Prix RTL/Lire 2009), Le Cœur régulier (L’Olivier, 2010), Les Lisières, Peine perdue, La Renverse et Chanson de la ville silencieuse(Flammarion, 2012, 2014, 2016 et 2018).

Flammarion – 01.2018 – 224 pages

Résumé : Je suis la fille du chanteur. La fille seule au fond des cafés, qui noircit des carnets, note ce qu’elle ressent pour savoir qu’elle ressent. La fille qui se perd dans les rues de Paris au petit matin. La fille qui baisse les yeux. Je suis la fille dont le père est parti dans la nuit. La fille dont le père a garé sa voiture le long du fleuve. La fille dont le père a été déclaré mort. Celle qui prend un avion sur la foi d’un cliché flou. Celle dans les rues de Lisbonne, sur les pentes de l’Alfama. Qui guette un musicien errant, une étoile dépouillée d’elle-même, un ermite qui aurait tout laissé derrière lui. La fille qui traverse les jardins, que les vivants bouleversent, que les mots des autres comblent, la fille qui ne veut pas disparaître. Qui peu à peu se délivre.

Mon avis : Alors j’ai adoré ! Première fois que je lis cet auteur et je vais très certainement en savourer d’autres sous peu ! Gros coup de cœur. Je sais que certains critiques (Le masque et la plume) l’ont descendu en flèche mais je ne suis pas du tout, mais alors pas du tout d’accord. L’auteur, qui aurait souhaité être chanteur, joue avec la musique des mots et c’et une mélodie qui m’a emporté.

Un chanteur poète un peu maudit, idole du pays, disparait après s’être enterré pendant des années en Ardèche. C’est un livre sur le poids de la célébrité, sur la disparition, sur l’absence… mais si au premier abord on peut penser que le personnage principal est le chanteur, c’est de fait sa fille qui est au centre du récit. Une fille de l’ombre, qui est née d’un père qui n’avait pas le temps et d’une mère qui n’avait pas l’envie d’etre mère et qui d’ailleurs est si effacée qu’elle n’a pas de prénom … Un sujet de société sur le monde de la chanson, la création, les paparazzi, l’ombre et la lumière. Un livre aussi sur la disparition, le manque, l’absence. Et comme dans tout deuil sans sépulture, le doute est toujours présent… et s’il était toujours vivant… L’apparition fantomatique d’un chanteur des rues ouvre la porte de l’espoir… et si c’était lui ?

15 ans près la disparition de son père, la fille va partir à Lisbonne après avoir vu sur une photo floue un homme qui pourrait lui ressembler… Une ville qui est pleine de mystères, des quartiers aussi décatis que le chanteur des rues qu’il pourrait être devenu, des ruelles ou il est facile de disparaitre, de se cacher…

Le titre du livre est emprunté à Dominique A. Pour la description de l’artiste, il semble qu’on puisse faire un mélange de plein de chanteurs :   Kurt Cobain, Johnny, Dylan, tous ceux qui composent, tous ceux qui ont sombré dans la drogue et l’alcool, ceux qui donnent tout sur scène au détriment de la vie familiale, de la vie tout court… J’ai l’impression que tout le monde peut retrouver un petit bout de son chanteur… L’auteur fait aussi référence à beaucoup d’artistes vivants ( Biollay, Julien Doré, Delerm, Daho…)  Plein phare sur le côté destructeur de la médiatisation, des critiques, du star-système, des lumières et des paillettes et plus tard acharnement des paparazzi qui vont assiéger sa retraite alors qu’il se ressource avec un rapport fusionnel avec la nature,  puis tenter de suivre sa trace.. J’ai relevé l’importance de l’écorce dans le récit.

La fille elle, est l’opposé de son père. Elle a toujours évolué cachée, dans l’ombre ; elle est le fruit du hasard et mon du désir, et personne ne sait qu’en faire… Elle va toutefois choisir de vivre dans le monde de la création, mais côté coulisses : dans l’édition. Et le rapport avec les mots est un lien avec le père… elle les lit, il les écrit et les chante… Comment fait-on pour se construire à l’ombre d’une légende vivante ? Un livre sur la filiation, le doute, l’enfance en marge…

Extraits :

Ils me sourient, me jugent incorrigible, ne semblent pas deviner que ce soir c’est autre chose. Autre chose que l’effacement qui me tient lieu de caractère.

Une écharde dans la rétine, une autre dans le cœur.

Étendue sur le lit je ferme les yeux pour y voir clair. Les mois, les années se confondent. S’emmêlent. Se superposent. Des strates. Un empilement de voiles. Un film flou, désordonné, qu’on rembobine. Je remonte les saisons, gagne l’amont de rivières, d’où s’échappent des affluents aux sources imprécises. Dérive des semaines en arrière. Nage à contre-courant.

Les phrases ne sont plus qu’un enchaînement de mots. Les mots des énigmes. Un assemblage de lettres aléatoire.

Plus rien n’est jamais sorti de chez lui. Même si depuis des dizaines de chansons ont vu le jour. Et n’ont reçu d’autres écoutes que celles des oiseaux, des arbres, des rivières.

Une géographie familière, retranchée, qui toujours me serre le cœur. Me comprime la poitrine. Comme à chacun les terres de l’enfance.

Je vivais cette vie mais elle n’était pas pour moi. Pas au long cours en tout cas. Ça aurait fini par me consumer.

Son visage à la télévision, les extraits de concert où il semblait jouer sa peau à chaque note, les rumeurs, les scandales.

Au fil des années je reconstitue, rejoue les scènes, assemble les pièces du puzzle. À force tout se confond. Les souvenirs précis et ceux inventés pour boucher les trous, colmater les brèches et reconstituer une image lisible, présentable de mon enfance.

Absent dans sa présence même. Habité par autre chose. Le doute. La peur du vide. Puis le trop-plein quand le vide s’éloignait. Trop-plein de notes, de mots, d’arrangements, de textures, d’images. Ce bouillonnement qui ne laissait de place à rien d’autre.

Tu n’es qu’une ombre. Un fantôme. Avec toi je ne suis même plus sûr d’être vivant.

La foule m’oppresse. L’agitation m’inquiète.  Les cris. Les effusions. L’enivrement général. J’ai toujours été mal à l’aise dans les fêtes. Les grandes assemblées. Les rues bondées. Partout je cherche un passage dérobé. Un itinéraire secret.

J’ignore comment est né ce mensonge. Ni pourquoi il y a consenti. S’il s’agissait pour lui de revêtir un masque, d’une façon de se réinventer, de créer un personnage plus grand que lui-même, un double fantasmé. De nourrir son propre mythe. De se forger une carapace, un abri de fiction, et de garder pour lui la vérité de sa vie.

Un texte, un écran qui les protège, les camoufle. Les chanteurs, en concert, c’est leur peau même, leur corps entier, leurs mots, l’intérieur de leur cerveau qu’ils mettent en jeu. Sans filtre. Sans distance. Dans aucune autre forme d’art on avance à ce point nu, vulnérable. Le chanteur sur scène, c’est un don brut. Primitif. Un truc de cannibale.

J’avais lu ces mots prémonitoires. Cette obsession du départ, de la fuite. Cette insistance à disparaître. Ce lexique de l’effacement. Ce sentiment d’une fin proche. J’aurais sans doute dû m’en inquiéter.

 Moi d’ordinaire rivée au silence. Mon écorce. Ma demeure.

N’a pas lancé sa réplique favorite quand on s’adressait à lui pour lui infliger une conversation dont l’objet l’assommait : pardonnez-moi de vous interrompre, mais vous devez me confondre avec quelqu’un que ça intéresse.

 Mon père aimait toujours autant la musique je crois. Elle était sa langue. Une vibration profonde au fond de lui. Elle le constituait, le hantait, le résumait.

 Il y a quelque chose d’acide, d’abrasif, de destructeur à l’intérieur de tout ça, qui finit par me ronger.

Je me disais il fuit la vie, c’est ainsi qu’il s’en sort mais à quoi bon. Si plus rien ne l’atteint, si plus rien ne le touche à quoi bon. À quoi bon vivre comme les pierres, les arbres, les rivières. Je me disais cela mais au fond, je savais bien que ma vie n’était pas si différente. Que je n’étais qu’une ombre, une spectatrice.

Peut-être qu’à force de s’abstraire de lui-même, de se réduire à l’absence, de s’en remettre au silence, de couper tous les ponts, il ne restait plus rien de lui. Peut-être n’était-il plus qu’une écorce.

Je suis cette fille qui n’a pas besoin d’exister pour vivre.

Un murmure, une caresse posée sur des mots mystérieux, à l’éclat bizarre. Des énigmes. Des images dont le sens d’abord échappe, mais qui s’adressent à des régions très reculées en nous-mêmes, insoupçonnables. Des mots qui creusent des galeries, se fraient un chemin, se déploient à notre insu, et nous augmentent, nous élèvent.

De livres et de la vie, qui pour nous se confondent, s’enlacent dans une même respiration, un même mouvement.

Tout a la texture d’un rêve. Son ombre noire dans la nuit. Les maisons endormies, fantomatiques, à demi en ruine. La porte branlante qui se referme derrière lui dans un grincement arthritique. Le calme profond, à présent. Même la mer semble arrêtée. Aucun ressac, aucune rumeur n’assourdit.

Persuadé qu’un artiste ne peut que desservir son art, ce qu’il a de meilleur à donner, ce qui est d’une certaine manière au-dessus de lui-même.

 

(2ème livre choisi pour le « challenge j’ai lu 2018 » ) : Un livre comportant des paroles de chanson dans le titre

One Reply to “Adam, Olivier «Chanson de la ville silencieuse» (2018)”

  1. J’ai déjà lu au moins 3 livres de cet auteur ,je vais lire celui là .J’espère que l’Ardèche n’y aura pas un côté misérabiliste!!

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