Carr, Caleb «L’aliéniste» (1994)
Auteur : Né en 1955 à New York, Caleb Carr est le fils de l’un des grands noms de la beat generation, Lucien Carr. Fils de Lucien Carr, qui faisait partie du cercle de Jack Kerouac, avec William Burroughs et Allen Ginsberg, Caleb Carr était plus connu pour ses essais et articles que pour son œuvre romanesque, avant le triomphe de L’Aliéniste qui, salué par une critique unanime, figura plusieurs mois durant sur les listes de best-sellers américaines en 1994. New-yorkais de naissance et dans l’âme, Caleb Carr vit dans le Lower East Side, le quartier où se déroule l’action de son roman, dont il a vendu les droits cinématographiques à la Paramount pour un demi-million de dollars. Il poursuit des études d’histoire avant de publier un premier roman en 1979. Spécialisé dans l’histoire militaire, ou encore ce qu’il appelle la « violence organisée », il se fait connaître par des essais et des articles en matière de diplomatie et de stratégie, avant de publier Le Diable blanc (1992 pour l’édition originale), un document biographique salué par ses pairs, et paru aux Presses de la Cité en 1999. C’est cependant vers le roman policier qu’il se tourne avec L’Aliéniste (Presses de la Cité, 1995), qui obtient le Grand Prix de littérature policière et le prix Mystère de la critique, et lui assure d’emblée une place parmi les maîtres du genre. Menée par Lazlo Kreizler, pionnier de la psychiatrie, l’enquête policière se mue en une recherche sur les racines de la violence. Avec L’Ange des ténèbres (Presses de la Cité, 1998), suite des aventures de L’Aliéniste, il nous livre, en même temps qu’un grand roman de psychologie criminelle, un fascinant tableau de New York. Après un thriller d’anticipation, Le Tueur de temps (Presses de la Cité, 2001), et un essai sur les attentats du 11 Septembre, Les Leçons de la terreur (Presses de la Cité, 2002), Caleb Carr ressuscite Sherlock Holmes dans Le Secrétaire italien (Presses de la Cité, 2006).
Adaptation : la mini-série américaine (en 10 épisodes) The Alienist traverse l’Atlantique. (Chaine Polar+ avril 2018) – Adaptée du roman éponyme de Caleb Carr (lauréat du prestigieux Grand prix de littérature policière en 1996), The Alienist se déroule dans le New York brumeux et poisseux de la fin du 19ème siècle. Spécialiste des maladies mentales et expert en psychologie criminelle, le docteur Laszlo Kreizler (interprété par l’allemand Daniel Brühl) est enrôlé par le commissaire général Teddy Roosevelt pour enquêter sur une série de meurtres effroyables de jeunes prostitués. Surnommé l' »aliéniste » pour sa capacité à percer les tourments de l’âme humaine des pires individus, Kreizler va tenter de démasquer le meurtrier, aidé par un journaliste, une jeune enquêtrice et deux policiers. Diffusée depuis la fin du mois de janvier sur la chaîne américaine TNT, The Alienist, qui compte également au sein de sa distribution les comédiens Luke Evans (vu récemment dans le film La belle et la bête), Dakota Fanning (Twilight) et Douglas Smith (Miss Sloane) réalise outre-Atlantique de très belles audiences.
Pocket (1996) – 576 pages
Résumé : New York, 3 mars 1896, deux heures du matin. John Moore Schuyler, jeune chroniqueur criminel au New York Times, est appelé d’urgence au bord de l’East River par son vieil ami Uszlo Kreizler. Ce dernier, précurseur brillant de ce qui est aujourd’hui appelé la psychologie – un aliéniste selon le vocabulaire de l’époque -, a découvert le corps horriblement mutilé d’un jeune garçon qui travaillait dans l’un des bordels sordides des quartiers pauvres de New York. Il n’est pas le premier et ne sera pas le dernier… Ce qui laisse parfaitement indifférentes les forces de l’ordre (les victimes étant pauvres et d’origine étrangère) pique la compassion, mais surtout la curiosité professionnelle, de Kreizler : quel genre d’être humain est capable de commettre de tels crimes, et pour quelle raison ? Ayant obtenu le soutien de Théodore Roosevelt, le futur président des Etats-Unis, alors préfet de la police de New York et une vieille connaissance de Kreizler et de Moore, les deux amis ouvrent leur enquête. Leur approche est inhabituelle, pour le moins : en étudiant ces crimes, ils pensent pouvoir brosser le portrait psychologique de l’assassin, imaginer son enfance, ses troubles, et finalement le devancer dans ses projets meurtriers. En cela, ils sont assistés par deux détectives juifs, spécialistes de méthodes criminalistes révolutionnaires comme la dactyloscopie et l’anthropométrie judiciaire, et par une jeune femme ambitieuse qui rêve d’être la première femme officier de police. La petite équipe incongrue suscite l’intérêt, et, très rapidement, la réaction violente d’un groupe de personnes qui entendent utiliser à leurs fins la série de meurtres. Le tueur frappera de nouveau. Une course de vitesse s’engage, où se confondent chasseur et proie… Tableau fascinant de la mégalopole américaine au seuil de l’époque moderne, thriller psychologique des plus subtils, L’Aliéniste est un roman que le lecteur ne lâchera pas avant la dernière page. les étudiant, ils pensent pouvoir brosser le portrait psychologique de l’assassin et l’identifier.
Jean-Luc Douin –Télérama : « Un monde digne d’Eugène Sue. Avec l’ombre de Sherlock Holmes qui plane, non loin de celle de Jack l’Éventreur. »
Mon avis :
Théodore Roosevelt – une petite touche historique – dans son rôle de préfet de police de New York., Laszlo Kreizler, médecin aliéniste et le journaliste Moore sont trois amis de très longue date qui vont être les principaux personnages du roman – avec la jeune Sara Howard, première femme à intégrer les services de police de New-York en tant que secrétaire, qui va s’impliquer dans la résolution de l’affaire et qui a pour souhait de devenir un véritable officier de police, femme capable et reconnue professionnellement.
(Première réflexion qui m’a fait sourire est que je lis ce livre juste après le roman policier de Nicci French « Sombre mardi » et que la problématique d’intégrer des psychologues / psychothérapeutes / criminologues passe toujours aussi mal dans le Londres des années 1930 que dans l’Amérique de 1896. Je referme la parenthèse.)
A l’époque, la presse et la police refusent de traiter certains sujets/cas. De plus, moins on interfère dans les agissements de policiers corrompus, mieux ça vaut. Donc enquêter et faire ressortir une vérité qui va déranger n’est pas du gout de tout le monde. Les milieux de la dépravation, du sexe, des miséreux, des immigrés… Pourquoi se pencher sur ces questions sordides qu’il vaut mieux éviter de voir ? C’est dangereux de bousculer les équilibres mafieux, financiers, religieux et les enquêteurs risquent bien de le vivre à leurs dépens… La collaboration n’est pas vraiment au rendez-vous.
Ce livre traite les débuts de la police scientifique et de l’utilisation du « profilage » pour arriver à cerner les criminels. Dresser le portrait psychologique, prendre les enquêtes à l’envers (le profil des victimes amène au prédateur), chercher le « Pourquoi » Le petit groupe d’enquêteurs indépendants va utiliser des méthodes révolutionnaires à l’époque (utilisation des techniques du français Bertillon et de son 1er laboratoire d’identification criminelle, créateur de l’anthropométrie judiciaire, les empreintes digitales, la graphologie). Il est important de voir à travers les yeux et les valeurs de l’assassin et non en se fondant sur les idées reçues, les valeurs qui nous ont été inculquées. La méthode est l’utilisation des indices pour aboutir à la construction de la personnalité du criminel. On va utiliser des tableaux et diviser de l’enquête par secteurs : Naissance, Enfance et période intermédiaire, Violence et/ou mauvais traitements, Personnalité, Appartenance sociale, Lieux de vie, Caractéristiques des crimes. Tous les petits détails sont scrutés, analysés, projetés dans le passé pour tenter de former une entité qui regroupe les traits de caractère et les déviances de la personne traquée. L’analyse du type de victimes est également prise en compte (des jeunes enfants qui posaient des problèmes à leurs parents, qui avaient des caractères forts, étude des milieux sociaux, des provenances (immigrés européens, noirs, indiens, paysans), appartenance religieuse…
La description des asiles fait froid dans le dos… on ne traite pas les animaux de cette manière maintenant.
Mais ce n’est pas nouveau que je me passionne pour ce type de recherches. J’avais adoré « Les enquêtes du commissaire Kolvair » d’Odile Bouhier (d’ailleurs pourquoi elle a arrêté d’écrire ?), j’aime les polars historiques et psychologiques… Alors tout est réuni dans ce roman … et je viens de découvrir que L’Ange des ténèbres (Presses de la Cité, 1998 / Pocket – 2013 – 736 pages) est la suite de l’Aliéniste… et donc je vais replonger…
Extraits :
Quand personne ne nous regarde, que nous sommes seuls face à nous-mêmes, nous courons, toujours aussi rapides et peureux que naguère, pour fuir les ténèbres que nous savons cachées derrière la porte de tant de foyers apparemment sans histoire, pour fuir les hantises greffées dans la cervelle des enfants par ceux-là même que la nature leur dit de croire et d’aimer, nous courons, plus pressés et plus nombreux encore, vers le mirage de ces potions, de ces médications, de ces prêtres, de ces philosophies, qui nous promettent de terrasser nos frayeurs et nos cauchemars et qui nous réclament, en échange, une dévotion servile.
Une macédoine de cultures et de langages se combinait pour donner au quartier sa couleur immigrée.
Quand ils frappaient les pauvres ou les exclus, une frange de la société dont l’existence même n’était pas reconnue, les crimes décrétés insolubles étaient proprement ignorés de la police. C’est tout juste si elle daignait les constater. Quant à en informer le public, ce n’était pas son affaire.
Il avait traité le drame à sa manière : en posant les scellés sur la sacro-sainte mémoire de sa bien- aimée et en ne l’évoquant plus jamais.
Ses yeux noirs, semblables à ceux d’un oiseau, sautillaient de mot en mot tandis qu’il se dandinait d’un pied sur l’autre en tenant le journal dans la main droite
Seules quelques ampoules anémiées distribuaient une lumière blafarde dans le corridor sans fenêtres.
La progression de la rumeur faisait penser à celle d’une onde fraîche sur des charbons ardents, quand le chuintement de la vapeur remplace le grondement du brasier et apporte un apaisement, provisoire certes mais bien réel, de la suffocante chaleur.
[…] pendant combien de temps encore, non seulement les journalistes et les autorités, mais aussi les citoyens, confondront-ils l’ignorance délibérée du mal avec son inexistence ?
Selon lui, les actes de tout homme étaient influencés, voire déterminés, par ses premières expériences de la vie et il était vain de vouloir analyser ou modifier les comportements d’un sujet si l’on ignorait son passé.
les sujets psychopathes le devenaient à la suite d’une enfance ou d’expériences particulièrement difficiles mais qu’ils n’étaient pas affectés par une pathologie au sens strict.
C’est la chose la plus facile au monde que d’échapper à quelqu’un qui ne vous poursuit pas. Et quand bien même la police se serait intéressée à ces affaires, elle n’aurait jamais pu aboutir car elle n’est pas capable de comprendre les motivations du tueur.
Le tueur est né il y a bien longtemps dans l’individu que tu recherches. Peut-être alors même qu’il était encore au berceau. Mais plus probablement au cours de son enfance.
Son visage était la vitrine des sentiments contradictoires qui se bousculaient en lui.
Un aliéniste, un psychologue, dans une enquête de police ! Mais enfin, Roosevelt, aurais-tu perdu le bon sens hérité de tes ancêtres hollandais ? Tu t’es déjà mis à dos tous les officiers de police de cette ville plus la moitié du Conseil des commissaires.
Ce que nous devons faire – la seule chose que nous puissions faire, à la vérité – c’est brosser une peinture du type de personne qui serait capable de commettre de pareils actes.
les réactions de chacun aux faits importants de la vie ne sont jamais totalement spontanées ; elles sont la manifestation d’années de confrontation avec un milieu, de l’élaboration de schémas à l’intérieur de nos vies qui, finalement, en arrivent à influencer nos comportements.
Roosevelt se faisait un devoir de recruter à l’encontre des habitudes pour briser la mainmise que pouvaient exercer sur la police new-yorkaise des cliques comme celle que dirigeait Thomas Byrnes ou des chefs de District comme « Clubber» Williams et « Big Bill » Devery. Theodore appréciait tout particulièrement le personnel juif qu’il jugeait exceptionnellement honnête, courageux et épris de justice.
un garçon qui gagnait sa vie en se soumettant aux pires dépravations ne cherchait, de son point de vue, qu’à s’affirmer.
l’emploi de femmes à la préfecture de police n’est qu’une expérience – et les expériences échouent souvent !
La plupart des gens n’apprécient pas le changement, même s’il constitue un progrès
nous devions nous efforcer de nous défaire de toute idée préconçue sur le comportement humain. De voir le monde non avec nos propres yeux, ni à l’aune de nos propres valeurs, mais à travers ceux du meurtrier. Son expérience, le contexte de sa vie, c’était cela qui comptait.
Il y a des moments dans la vie où l’on a l’impression d’être entré dans le mauvais théâtre au milieu de la représentation.
Au hasard, j’émis l’hypothèse qu’il venait de citer la Bible, et il confirma, ajoutant qu’il ne cessait pas de s’étonner du nombre de références à la purification qu’on trouvait dans les textes sacrés. Il précisa aussitôt qu’il ne croyait pas que notre homme souffrait nécessairement de manie ou de démence religieuses (bien que cette sorte d’affliction caractérisât plus de tueurs fous que n’importe quelle autre forme d’aliénation mentale). S’il citait ce passage, c’était plutôt pour souligner, de manière assez poétique, que le meurtrier était écrasé par des sentiments de péché et de culpabilité, pour lesquels l’eau constituait l’antidote métaphorique usuel.
L’écriture elle-même révèle-t-elle des traits de caractère ? Beaucoup de graphologues estiment que toute personne, et non pas seulement les criminels, trahit sa personnalité dans l’acte d’écrire, indépendamment des mots qu’elle écrit.
L’esprit est-il une ardoise vierge à la naissance ou avons-nous une connaissance innée de certaines choses ?
[…] notre esprit fonctionne sur la base de l’intérêt personnel, de la survie de l’organisme, et la façon habituelle que nous avons de satisfaire cet intérêt prend définitivement forme quand nous sommes enfants ou adolescents.
Une imagination excessive peut conduire à la construction de mensonges et à l’envie irrésistible de les faire croire aux autres
Renoncer à ces habitudes reviendrait à renoncer à lui-même.
Le mot « gens », pour lui, ne renvoie qu’à des images d’humiliation et de souffrance, aussi normalement que le mot « train » évoque pour toi le mouvement.
L’organisme ne connaît à l’origine qu’une seule pulsion : survivre.
Les idées familières ont la vie dure, et leur mort peut désorienter.
on ne peut véritablement saisir une personnalité adulte sans connaître d’abord son expérience individuelle.
tant que le problème sera jugé insoluble, personne ne sera accusé d’être incapable de le résoudre
la sagesse populaire se hisse parfois au niveau de l’analyse psychologique la plus fine
il espérait effacer un trait insupportable de sa propre personnalité en supprimant des êtres qui étaient le reflet de l’enfant qu’il avait été
La corruption dans cette ville est comme l’hydre mythique, sauf qu’elle a un millier de têtes au lieu de sept.
Principes de James :
- « Le caractère prend comme du plâtre », cita-t-il en levant l’index, « pour ne plus jamais ramollir. »
- « L’habitude nous condamne tous à livrer la bataille de la vie selon les lignes de notre éducation ou de nos premiers choix, à tirer le meilleur parti d’une pratique inadaptée, parce qu’il n’y en a pas d’autre qui nous convienne, et qu’il est trop tard pour recommencer. »
Infos : thèse Littérature et aliénisme : poétique romanesque de l’Asile (1870-1914) : http://docnum.univ-lorraine.fr/public/NANCY2/doc545/2010NAN21011.pdf
Croyances : le nagi, ou esprit, de chaque homme est gravement affecté non seulement par la façon dont cet homme meurt, mais aussi par ce qu’il advient de son corps immédiatement après sa mort. Voyez-vous, avant d’entreprendre son long voyage vers la terre des esprits, le nagi s’attarde un moment près du corps – pour se préparer à partir, pourrait-on dire. Le nagi est autorisé à emporter n’importe quel bien que l’homme possédait, et qui l’aidera pendant le voyage ou qui agrémentera sa vie dans l’au-delà. Mais le nagi emprunte aussi la forme qu’avait le corps au moment de la mort.
(livre choisi pour le « challenge j’ai lu 2018 » ) : Un livre sur les troubles psychologiques